Bernadette Clément, une place dans l’histoire de Cornwall
[LA RENCONTRE D’ONFR]
CORNWALL – Première mairesse francophone de Cornwall, issue d’une minorité visible, Bernadette Clément a gravé son nom dans l’histoire de la municipalité et suscité de nombreuses réactions positives depuis son élection. Quelques jours après sa victoire, ONFR s’est entretenu avec l’heureuse élue.
« Au soir de votre victoire, vous disiez ne pas vraiment réaliser l’enthousiasme généré par votre élection. Où en êtes-vous aujourd’hui?
Je commence à réaliser! (Elle rit) Mais cela me met aussi plus de pression! Disons que pendant la campagne, la possibilité d’être la première femme francophone, noire, élue maire n’était pas un sujet de discussion. Mais quand j’ai vu les réactions, ça m’a frappé! Je me sens d’autant plus responsable que mon mandat soit un succès pour confirmer que les femmes doivent s’intéresser à la politique et sont capables d’être élues et de bien œuvrer.
Quelles sont les réactions qui vous ont le plus touchée?
Depuis mon élection, je reçois tellement d’attention! Et ce que j’aime particulièrement, c’est qu’on parle de façon positive de Cornwall.
« Je me souviens de cette dame, dans un foyer pour aînés, qui voulait vraiment voir une femme élue maire, dans sa municipalité de Cornwall, de son vivant »
Je me souviens de ces deux petites filles, pendant la campagne, qui me ressemblaient, avec leur peau brune et leurs cheveux frisés. Une d’entre elles a touché mes cheveux et m’a dit qu’elle les aimait. Puis, elle a ajouté : « Moi aussi, je vais faire une course à la mairie! ». (Elle s’interrompt) Ça m’a beaucoup touchée!
Vous avez été conseillère municipale pendant 12 ans, ça change quoi de devenir mairesse?
C’est une question de leadership. Les quatre dernières années, j’ai parfois été frustrée, car on allait dans dix directions différentes. Je sais qu’on ne sera pas toujours tous toujours d’accord, mais j’aimerais apporter un esprit d’équipe et qu’on travaille sur une vision à long terme pour Cornwall qui dépasse la simple durée de nos mandats.
Selon vous, en quoi les femmes font-elles de la politique autrement?
Je pense que les femmes sont fortes sur l’écoute, le consensus, le travail d’équipe. Je ne dis pas qu’elles sont meilleures, mais elle pense différemment.
Depuis plusieurs années, nous sommes trois femmes autour de la table. Même si nous ne sommes pas toujours d’accord, il y a des sujets sur lesquels on se rejoint, en matière d’enfance, de famille, de services récréatifs ou de budget. Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes des femmes, mais c’est ce que je constate.
Vous dites vouloir inspirer les jeunes femmes à se lancer en politique. Selon vous, qu’est-ce qui bloque aujourd’hui?
Il y a eu du progrès. Quels que soient les partis politiques, on sent une ouverture. Et chez les électeurs, il y a aussi un engouement. Mais il y a encore trop de barrières!
Les deux principales sont les obligations familiales et l’aspect financier. C’est difficile de se lancer en politique quand on a des enfants et un travail. Ça prend également de l’argent pour mener une campagne. Moi, je suis célibataire et sans enfant. Et même si je ne suis pas riche, comme avocate, j’ai des ressources financières. Mais ce n’est pas le cas pour beaucoup de jeunes femmes.
Quelles seraient les pistes de solution?
Il faut soutenir financièrement les jeunes femmes qui sont intéressées à se lancer en politique. Il faut aussi changer la façon dont on fait de la politique. Des réunions municipales le soir de semaine, ce n’est pas facile pour tout le monde!
Non, mais je dois reconnaître qu’avec l’utilisation accrue des médias sociaux pendant cette campagne, j’ai eu quelques commentaires désobligeants.
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous lancer en politique municipale?
Je viens d’une famille où on aime parler de politique. C’est un sujet de discussion autour de la table. Mais c’est vers 39-40 ans que j’ai vraiment commencé à y penser.
Quand Domtar a fermé ses portes à Cornwall [en 2005], je me suis demandé ce qu’allait devenir ma ville. Je me suis dit que je voulais être autour de la table pour décider. À l’époque, il n’y avait aucune femme au conseil!
La politique municipale m’intéresse particulièrement parce que c’est le niveau de gouvernement le plus proche des gens. Quand tu te lèves le matin et bois un verre d’eau, que tu prends la route ou les transports en commun… Ce sont tous des services municipaux qui sont au cœur de la qualité de vie des citoyens.
Quels sont vos modèles politiques?
Si je dois penser à un modèle, ce serait la journaliste francophone Huguette Burroughs [1949-2005]. Bien qu’elle soit aveugle, elle écrivait son journal avec un ordinateur parlant et est même devenue conseillère municipale [de 2003 à 2005]. Je l’ai un peu aidée pendant sa campagne. J’admirais sa capacité à surmonter ses défis. C’était une conseillère municipale très compétente.
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous installer à Cornwall, il y a 27 ans?
C’est mon travail au sein de la clinique juridique. J’ai été tellement bien accueillie, surtout par la communauté francophone, que ça m’a convaincue de m’installer ici. J’ai vu qu’il y avait beaucoup à faire! Dans les grandes villes, on a l’impression que c’est plus fermé. Ici, il y avait la possibilité de s’impliquer, d’aider. Et puis, Cornwall est idéalement placé entre Montréal, où se trouve ma famille, et Ottawa où je suis amenée à travailler.
Vous n’hésitez pas à vous identifier comme Franco-Ontarienne. D’où vient cet attachement à votre communauté d’adoption?
Ça vient de comment j’ai été accueillie ici! Les francophones ont été si chaleureux. Ils m’ont tout de suite adoptée!
Il y a beaucoup d’énergie dans la communauté franco-ontarienne de Cornwall. Il suffit de regarder le concours LOL [concours d’humour jeunesse lancé par l’Association canadienne-française de l’Ontario de Stormont, Dundas et Glengarry]. Les gens sont impliqués, les directions d’école dynamiques…
Il y a aussi des défis, bien sûr. Nos attentes ne sont pas toujours très élevées, on n’ose pas demander nos services en français. C’est la raison pour laquelle l’offre active est si importante. On doit tout de suite indiquer la possibilité d’être servi en français. On le fait à la clinique juridique, mais j’aimerais que le secteur privé le fasse aussi.
Plusieurs municipalités de l’Est ontarien ont justement adopté des règlements d’affichage commercial bilingue obligatoire pour donner une visibilité au français. Seriez-vous prête à suivre cette voie?
Ce n’est pas une priorité et ça fait longtemps qu’on ne parle plus d’un tel projet. Je préfère insister sur le projet Bonjour/Welcome qui permet, quand on a une capacité bilingue, de dire clairement que les services sont disponibles en français. Nous recevons beaucoup de touristes du Québec, pour nos pistes cyclables, nos campings, on doit aussi développer notre documentation touristique dans les deux langues.
Comme mairesse, vous aurez affaire avec le nouveau maire de Stormont-Sud, Bryan McGillis [réélu après sa défaite de 2014] qui s’était distingué, en 2012, par sa dénonciation de la politique bilingue de l’Hôpital communautaire de Cornwall. Comment comptez-vous vous y prendre?
Cet épisode m’a beaucoup troublé, comme toute la communauté franco-ontarienne de Cornwall, mais il est derrière nous. La communauté francophone et l’hôpital ont très bien réagi et ont traité ce dossier avec beaucoup de doigté.
Je ne suis pas inquiète. Je connais M.McGillis et je pense que nous aurons plus de points communs que moins.
Vous avez été candidate pour le Parti libéral du Canada dans Stormont-Dundas-South Glengarry en 2011 et 2015. La politique fédérale est-elle encore dans un coin de votre tête?
Non, cette porte est fermée, même si ces deux campagnes m’ont beaucoup appris sur ma région. Aujourd’hui, je veux me concentrer sur la politique municipale qui m’intéresse davantage.
Mais je ne veux pas non plus devenir une politicienne professionnelle. Je vais continuer à être directrice générale de la clinique juridique à temps partiel, car je pense que c’est important de ne pas faire que de la politique.
Ayant été candidate libérale, étant franco-ontarienne, comment jugez-vous le bilan du gouvernement fédéral aux langues officielles?
Quand on fait campagne, on a plein de bonnes intentions, mais quand on est élu, on est limité, car les dossiers peuvent entrer en compétition. Il y a toujours mieux à faire pour les langues officielles, mais je suis, en général, assez satisfaite. Je pense toutefois que les francophones doivent continuer à mettre la pression. »
LES DATES-CLÉS DE BERNADETTE CLÉMENT
1965 : Naissance à Montréal
1988 : Baccalauréat du Programme de common law de l’Université d’Ottawa
2006 : Devient conseillère municipale à Cornwall
2011 : Candidate du Parti libéral du Canada dans Stormont-Dundas-South Glengarry
2017 : Devient directrice générale de la clinique juridique de Stormont, Dundas et Glengarry
2018 : Devient mairesse de la municipalité de Cornwall
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.