Campagne de vaccination : l’échec de l’Ontario face au Québec
Alors que les Québécois présentent actuellement un taux de vaccination à une dose de 78 % chez les adultes, l’Ontario espère atteindre 65 % seulement d’ici la fin mai. Comment expliquer un tel écart entre les deux provinces voisines? Pour des experts, le manque de préparation ainsi que l’absence de communication combinée au manque de leadership de Doug Ford expliquent le retard ontarien.
Sur une population de 100 000 habitants, l’Ontario se classe troisième parmi les provinces canadiennes avec un taux de 56 925,82 doses administrées derrière l’Alberta et le Québec, selon les chiffres du 26 mai du site COVID-19 Tracker Canada. Chaque province et territoire du Canada reçoit un nombre de doses au prorata de sa population.
En Ontario, la troisième étape du déconfinement qui pourrait commencer au début du mois d’août prévoit que 75 à 80 % des adultes aient reçu une dose et 25 % une seconde dose. Près d’un mois plus tard, au Québec, on prévoit atteindre 75 % des 12 ans et plus vaccinés avec deux doses. Si la campagne de vaccination suit sa cadence actuelle, l’Ontario devrait vacciner 40 % de sa population en haut de 18 ans ainsi que les deux tiers de sa population de 12 à 17 ans en un mois juste pour rattraper la Belle Province.
« En termes d’envergure, il (l’Ontario) a plus de travail à faire, mais de l’autre côté, il a plus de moyens, alors il devrait être capable de faire comme le Québec », avance le professeur de l’Université d’Ottawa, Lavagnon Ika, spécialiste en campagne de vaccination de masse.
Pour ce dernier, l’Ontario a échoué sous trois aspects face au Québec : le manque de coordination entre les autorités de la santé et le gouvernement, le manque d’organisation et de planification de la campagne de vaccination et le manque de leadership de Doug Ford et de son bureau.
« La coordination entre les autorités de la Santé publique, le bureau du premier ministre et les gens qui font la vaccination sur le terrain semble poser problème. Or quand on a affaire à un projet aussi complexe que la vaccination de masse, il faudrait que la coordination soit des plus unies. »
Par ailleurs, des Ontariens auraient tenté de se faire vacciner au Québec en raison de la vaccination plus rapide dans la Belle Province.
« Des résidents de l’Ontario ont tenté de se faire vacciner au Témiscamingue, mais lorsqu’on leur a expliqué que ce n’était pas possible, ils ont très bien collaboré », a indiqué à ONFR+ le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Abitibi-Témiscamingue.
Certains Ontariens qui ont aussi des résidences au Québec ont profité du fait de leur présence dans les deux provinces.
« Nous avons eu quelques personnes en provenance de l’autre côté de la rivière qui ont reçu un vaccin en Outaouais. Cependant, il y en a que très peu. Ce nombre demeure minime », a précisé de son côté le CISSS de l’Outaouais.
Les deux CISSS ont toutefois précisé qu’il s’agissait d’une petite minorité.
La mauvaise stratégie avec AstraZeneca
Au Québec, le gros de la vaccination est passé par le portail de vaccination Clic Santé. Un système centralisé, ce qui n’est pas le cas en Ontario.
« Je pense que le fait que le Québec ait centralisé la prise de rendez-vous a énormément aidé parce que ça permet d’avoir une bonne idée de ce qui se passe sur le territoire québécois dans son ensemble. L’Ontario n’a pas forcément une vue d’ensemble, si il en a une, ce n’est pas évident de savoir ce qu’elle est », affirme le professeur Ika.
Pour le virologue Hugues Loemba, la décision de suspendre la distribution du vaccin AstraZeneca avant de l’autoriser seulement pour les secondes doses illustre les problèmes de la vaccination dans la province.
« Il y a des gens qui auraient pu bénéficier du AstraZeneca. J’ai des patients qui m’ont téléphoné en me disant qu’ils étaient très contents d’avoir eu le AstraZeneca. Les patients qui l’ont pris connaissaient le risque de 1 sur 100 000 d’avoir une thrombose. Il y en a qui ont pris ce risque-là sachant qu’il avait plus de chance d’avoir des complications de la COVID-19 qu’une thrombose. »
Pour ce dernier, le manque de planification, l’ouverture de la vaccination trop rapidement à certaines catégories d’âges et le manque de vaccination dans des secteurs clés comme les écoles et les milieux de travail expliquent le retard de l’Ontario.
« Dès le départ, on n’a pas eu cette vision que le Québec a eue de faire, soit d’emblée de donner une première dose à tout le monde. Il n’y a pas eu de vision et de planification dès le départ… Ça n’a pas aidé que le gouvernement n’ai pas pu gérer la vaccination, car il était pris avec la troisième vague, car les deux vont de pair. On s’est retrouvé dans un labyrinthe », explique le médecin de l’hôpital Montfort.
Une communication qui fait défaut
Dans les dernières semaines, le gouvernement Ford a souvent dû reculer sur certaines décisions qu’il avait prises. Par exemple, la décision d’accroître les pouvoirs de la police et de ne pas ouvrir les aires de jeux d’eau. Sans compter le fait que le chef conservateur a vivement critiqué la gestion de Justin Trudeau concernant l’approvisionnement en vaccins et la sécurité à la frontière.
Pour la politologue Geneviève Tellier, ce type de stratégie de communication rappelle le mauvais côté de Doug Ford.
« Il y a deux Doug Ford. Celui au début de la crise qui était très à l’aise devant les médias et qui avait compris le rôle qu’il jouait, mais depuis cet hiver, il est revenu à ses anciennes habitudes… J’ai l’impression avec M. Ford que tout a dérapé avec la troisième vague. Ça ne va pas comme il veut et on a l’impression qu’il ne sait pas trop quoi faire et c’est un peu inquiétant, car il devrait avoir une équipe qui serait capable de lui dire quoi faire », souligne la professeure de l’Université d’Ottawa.
Pour cette dernière, c’est le jour et la nuit lorsqu’elle regarde la direction que prend François Legault et son ministre de la Santé Christian Dubé.
« La grosse différence est dans le plan de communication. Ils sont proactifs. M. Legault a changé ses points de presse… On change et on varie pour attirer l’attention des journalistes et de la population et on ne sent absolument pas ça en Ontario. À tel point que c’est la Santé publique régionale qui se prononce des fois, car il y a un vide. Ce n’est pas le gouvernement provincial qui a l’instinct de le faire. »
Pour Mme Tellier, la comparaison Ontario-Québec est plus que crédible, car ce sont les deux provinces les plus similaires l’une à l’autre.
« J’ai l’impression que les Ontariens se posent en ce moment c’est : comment ça se fait qu’on est la province la plus populeuse, la plus riche et qui a un savoir indéniable, mais qu’on n’est pas capable de faire mieux? »