Pandémie et cancer : « Un impact considérable et des retards de diagnostic », selon une spécialiste

Dre Stéphane Laframboise, gynécologue-oncologue à l'hôpital Princess Margaret Cancer Center (University Health Network)
Dre Stéphane Laframboise, gynécologue-oncologue à l'hôpital Princess Margaret Cancer Center (University Health Network). Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Dre Stéphane Laframboise est gynécologue-oncologue franco-ontarienne. Elle travaille dans le plus grand centre de cancérologie du Canada, l’hôpital Princess Margaret Cancer Center (University Health Network). Elle est également professeure adjointe en obstétrique et gynécologie à l’Université de Toronto.

LE CONTEXTE :

La Journée mondiale contre le cancer tombe, ce vendredi, pour la troisième année consécutive dans un contexte pandémique. Selon les projections du Comité consultatif des statistiques canadiennes sur le cancer, 91 000 personnes étaient atteintes d’un cancer en 2021, dont presque le tiers en est décédé.

L’ENJEU :

Le constat est largement partagé par les spécialistes. Avec la pandémie et toutes les mesures de fermetures et de limitations qui s’y attachent, un impact considérable, autant qualitatif que quantitatif, a été observé vis-à-vis de l’accessibilité et des services liés aux soins pour les patients atteints de cancer.  


« Tout d’abord, est-ce que les personnes atteintes d’un cancer sont plus à risque ou plus vulnérables s’agissant de la COVID-19?

On considère que les patients sous traitement ou nouvellement mis sous traitement ont un certain degré d’immunosuppression. Ceux par exemple qui sont sous soins chimiothérapiques qui nécessitent en principe trois semaines avec des traitements et suivis hebdomadaires, voire quotidiens, sont considérés comme immunosupprimés pendant toute la période du traitement. Ils sont donc à risque par rapport à toute infection et pas seulement par rapport à la COVID-19.

La qualité ou la quantité de ces soins hebdomadaires, voire quotidiens, a-t-elle été impactée négativement par les fermetures décidées pour cause de la pandémie?

Absolument. Notre centre, comme la plupart des hôpitaux au Canada, a connu des coupes et des limitations d’accès aux salles d’opération et aussi des conséquences concernant les délais d’admission à cause des hospitalisations liées à la COVID-19, surtout au moment des pics pandémiques. Ceci dit, le programme dédié au cancer dans notre hôpital est toujours resté une priorité. En interne, nous avons notre propre système de priorisation selon l’urgence des cas pour traiter les patients ou donner la priorité aux intentions chirurgicales.

Est-ce qu’il y a eu pendant la pandémie des diminutions au niveau de cet important outil de prévention qu’est le dépistage précoce du cancer?

On n’a pas les statistiques pour ça, mais je pense, d’après mon expérience, qu’il y a un impact considérable et des retards du côté des diagnostics. Faut-il blâmer les patients ou l’accès aux services? Je ne suis pas là pour juger, d’autant plus que les facteurs explicatifs sont multiples. On a vu par exemple des patients qui n’ont pas vu leur médecin traitant pendant deux ans parce qu’ils ont peur de la COVID-19 et préfèrent rester chez eux, d’autres parce qu’ils n’ont pas pu y accéder.  

Quand est-il du personnel? Y a-t-il une pénurie dans les centres de cancérologie due à la pandémie qui a mobilisé, et continue de mobiliser, beaucoup de ressources humaines?

Évidemment, c’est l’une des contraintes qu’on a eues. Il nous arrivait de voir une infirmière quitter la salle d’opération parce qu’elle était appelée à aller en soins intensifs réservés à la COVID-19. Il y a également le problème, qui lui est national, du burnout touchant surtout les infirmières et infirmiers qui sont, depuis longtemps, en première ligne face à la COVID. On constate par exemple qu’une partie prend sa retraite plus tôt ou prolonge son congé, ou encore quitte les soins hospitaliers pour les soins communautaires ou autre parce qu’elle n’en peut plus.

Quel est le défi actuel de la recherche contre le cancer?

Toujours le même : les budgets et les accès aux budgets. La recherche dans ce domaine nécessite de l’argent et les subventions y sont très compétitives. Il y a beaucoup de chercheurs qui font du bon travail, mais qui n’ont pas les sous pour agrandir leurs équipes ou poursuivre les travaux de laboratoire par exemple. »