« Casser le mythe du cowboy blanc d’origine européenne » – Amadou Ba

L'historien Amadou Ba. Gracieuseté
L'historien Amadou Ba. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]


QUI :

Historien, professeur à l’Université Nippissing et chargé de cours à l’Université Laurentienne, Amadou Ba signe un ouvrage jeunesse intitulé John Ware, le cowboy noir de l’Ouest canadien, aux éditions AB.

L’ENJEU :

Selon lui, c’est en sensibilisant massivement la jeunesse aux enjeux d’inclusivité que la société canadienne pour approfondir ses valeurs solidarité. L’histoire des Noirs au Canada devrait être bien plus présente à l’école.

LE CONTEXTE :

Février est traditionnellement le Mois de l’histoire des Noirs. Cette période permet de mettre en avant la contribution des communautés noires à l’histoire de l’Ontario et du Canada.


« Pourquoi avez-vous décidé de vous adresser aux jeunes dans votre dernier livre John Ware, le cowboy noir de l’Ouest canadien?

Jusque-là, j’écrivais pour les adultes, mais j’ai réalisé qu’il était très important de s’adresser également aux jeunes. J’ai choisi le personnage de John Ware pour son parcours atypique. Né esclave en Caroline du Sud en 1845, il a appris le métier de cowboy au Texas pour finalement être recruté par de grands propriétaires albertains de l’Ouest canadien, de 1882 à sa mort en 1905.

C’était, pour moi, une façon de casser le mythe du cowboy blanc d’origine européenne. Il y avait des cowboys noirs, afro-canadiens. Ware était le plus connu à cause de sa force physique et de ses exploits. Il incarnait aussi des valeurs humaines et de diversité qui font échos à la jeunesse d’aujourd’hui. C’est une histoire que je voulais faire découvrir aux jeunes qui n’ont pas l’occasion découvrir à l’école ce genre de parcours ou de personnages en milieu minoritaire. C’est important car ce sont eux les adultes de demain et on veut qu’ils soient mieux que nous aujourd’hui. Le savoir est une construction dans laquelle l’inclusivité à toute sa place.

Les personnages historiques noirs canadiens et leurs contributions occupent-ils une place suffisante dans l’éducation en Ontario, selon vous?

L’histoire des Noirs est une histoire de 400 ans en Ontario et au Canada où on trouve beaucoup de choses : de grandes figures, des contributions musicales, militaires, sportives… Toute cette histoire est absente des curriculums scolaires. Si nous voulons aller vers cette société multiculturelle, diverse et inclusive que réclament le monde politique et les associations, il faut tout mettre en œuvre pour que les jeunes soient sensibilisés à cette histoire, se l’approprient et grandissent avec, pour que ce soit beaucoup plus facile dans les années à venir.

Deux ans après la crise raciale et les manifestations Black Lives Matter, la province a-t-elle fait des progrès tangibles dans la lutte contre le racisme et les discriminations?

C’est difficile de répondre à cette question à l’heure actuelle, car on n’a pas assez de recul. Toute la mobilisation autour du mouvement Black Lives Matter a montré qu’il fallait écouter ce que les gens avaient à dire et que les gouvernements devaient prendre cela au sérieux. Nous sommes toujours dans ce tournant dans lequel les gens ne veulent plus voir d’injustices, de racisme, de discriminations. Les politiques et la justice sont tenus d’entendre ce message et de faire quelque chose. Cela a beaucoup progressé dans les mentalités et l’opinion publique mais, pour dresser un constat général, il faudra lire des rapports qui démontrent concrètement ce qui a réellement changé dans les faits.

Le racisme systémique revient régulièrement au-devant de la scène. Est-ce un fléau insurmontable?

Avec la volonté, le sérieux et les valeurs humaines, il n’y a rien d’insurmontable. Mais les imaginaires sont très têtus. Nous sommes en face de longues histoires, parfois de 400 ans, imprégnées dans les mentalités, les cultures, les ADN de certaines personnes. Donc il faut véritablement prendre le problème au sérieux à tous les niveaux, incluant l’éducation, afin qu’on puisse aider les jeunes d’aujourd’hui et qu’ils prennent par la suite le flambeau. C’est une question de génération et de relève.

Quel sens donner au Mois de l’histoire des Noirs? Peut-il contribuer à une meilleure compréhension entre les cultures?

C’est une occasion d’apprendre sur les Afro-Canadiens et leur histoire. C’est une histoire parfois tragique mais qui a aussi de belles pages. C’est une occasion aussi de se questionner sur notre société, devoir comment aller vers une société plus équilibrée, inclusive, solidaire, à la fois de façon individuelle et collective. Au-delà des discours et des conférences, c’est surtout le moment de poser des actes dans le sens de la lutte contre les discriminations.

En quoi l’histoire est-elle un vecteur puissant pour faire passer ce message d’inclusion et de tolérance?

L’histoire est cruciale car elle nous montre ce qui s’est passé avant et comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui. Elle joue ainsi le rôle de garde-fou en nous montrant comment éviter les erreurs du passé. En tant qu’historien et enseignant, je pense que nous avons le devoir de faire de la recherche et de la pédagogie sans relâche, tout en sachant que des personnes ne vont pas comprendre car nous sommes dans une société où ne voit pas ces choses-là mais on vit leurs conséquences. Si je parle d’esclavage aujourd’hui, il n’y en a pas mais il y a ses conséquences : l’infériorisation, la domination, le non-respect de l’autre à cause de sa couleur, etc. C’est très important de le réaliser et de le comprendre pour ne pas le laisser se perpétuer. »