Céline Baillargeon-Tardif, une architecte de la solution
[LA RENCONTRE D’ONFR]
CORNWALL – Céline Baillargeon-Tardif œuvre dans le milieu communautaire depuis plus de 30 ans en tant que gestionnaire de projets aux niveaux local, régional et provincial. Aujourd’hui, directrice générale de l’ACFO-SDG, elle est la personne derrière la création du Concours – LOL Mort de rire. Dans son travail auprès de la communauté francophone de Cornwall, Mme Baillargeon-Tardif n’a eu qu’un seul leitmotiv, celui de « répondre aux besoins des gens. »
« Vous fêtez 10 ans à la tête de l’Association des communautés francophones de l’Ontario pour la région de Sturmont-Dundas et Glengarry (ACFO-SDG) en 2024, mais où a véritablement commencé votre carrière dans le communautaire?
Au début, j’ai suivi une formation en éducation spécialisée et j’ai eu l’opportunité de travailler avec des personnes en situation de handicap pour un conseil scolaire. J’ai également passé du temps dans une garderie, mais je n’y ai pas trouvé les défis stimulants que je recherchais. C’est pourquoi j’ai pris la décision de retourner aux études et de m’inscrire à l’Université de Sherbrooke, au Québec, où j’ai étudié la psychoéducation. Cela a ouvert une nouvelle voie pour moi : la pédopsychiatrie. Pendant huit ans, j’ai travaillé au Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke, principalement auprès d’enfants autistes. En 1989, j’ai suivi mon conjoint à Cornwall.
Je me souviens d’avoir eu l’impression que je devais recommencer à zéro sur le plan professionnel, mais c’est aussi à ce moment-là que j’ai découvert ma passion pour le travail communautaire.
Même si mon environnement professionnel évoluait, deux valeurs ont toujours été au cœur de ma vie. D’abord, répondre aux besoins des autres, c’est ce qui me fait me lever le matin. J’ai cherché à rester proche de cette clientèle particulière, qui nécessitait une attention spéciale, quelque chose que je n’avais pas trouvé dans les garderies classiques.
Par la suite, j’ai développé de l’intérêt pour l’animation culturelle. Cela m’a conduit à devenir directrice générale du Centre culturel Les trois petits points. En septembre 1991, j’ai eu l’opportunité de diriger le Centre J’aime apprendre devenue CAF+ en 2006, un centre de formation pour adultes en alphabétisation, où j’ai eu le privilège de travailler pendant 20 ans.
En dehors de l’objectif principal de lutter contre l’analphabétisme, qu’est-ce qui vous a attiré dans cet engagement?
Ça m’a tellement allumée!
Ce n’est pas une clientèle avec des handicaps physiques ou mentaux, mais c’est une clientèle qui a souvent rencontré des handicaps sociaux. Ils n’ont pas eu les mêmes opportunités en matière d’éducation ou d’apprentissage que d’autres. Pourtant, c’était une clientèle que j’appréciais énormément. J’aimais chercher des idées, concevoir des projets pour les soutenir du mieux que je le pouvais.
Au début, nous avons commencé à créer un programme de formation à distance, bien avant qu’il ne devienne le programme de formation à distance de l’Ontario dans son ensemble.
J’avais créé l’équivalent du GED, le General Educational Development, que nous appelions le DED. De nombreuses personnes analphabètes avaient atteint un niveau d’analphabètes fonctionnels, alors nous pouvions leur offrir l’opportunité d’obtenir un diplôme d’études secondaires pour faciliter leur intégration sur le marché du travail. C’était un projet que j’avais presque oublié. L’année dernière, lors de ma visite en Alberta pour récupérer mon prix Boréale, Mona Audet, la directrice générale de Pluri-elles au Manitoba, m’a rappelé ce projet. Elle m’a expliqué qu’ils l’avaient utilisé pour aider des membres de l’armée canadienne. Tu vois, ce sont ce genre de projets qui m’ont toujours passionnée et ça m’a fait tellement plaisir d’entendre ça.
En 2014, vous êtes devenue la directrice générale de l’ACFO-SDG et vous avez créé le Concours – LOL Mort de rire. Comment vous est venue cette idée?
À l’époque, la présidente de l’ACFO m’avait contactée pour travailler sur un nouveau projet, et on constatait que la scène de l’humour en Ontario n’avait pas été suffisamment exploitée. C’était un créneau que les jeunes pourraient exploiter, et de là est né le concours. On m’a engagée pour travailler sur ce projet et, depuis, je n’ai pas arrêté.
C’est là, la deuxième chose qui m’est très importante. La première chose qui m’allume, c’est de répondre aux besoins. Puis, c’est en lien avec la sécurité linguistique, le sentiment d’appartenance, la construction identitaire pour les jeunes. Mais ce qui m’allume surtout, c’est de pondre des idées qui vont rejoindre les gens. Alors, je n’ai jamais eu l’impression de travailler.
Comment expliquez-vous la vitalité francophone de Cornwall?
Les ACFO sont toujours des organismes revendicateurs, et je me suis souvent dit : ‘On peut aller plaider notre cause pour que quelque chose s’organise en français, mais on peut aussi mobiliser les gens, montrer que les francophones existent, qu’ils sont bien vivants.’
Et ça, ça a eu un impact sur la Ville de Cornwall.
À nous de le faire. C’est à nous de montrer que nous sommes présents. Nous allons chercher ce dont nous avons besoin, puis nous semons de petites graines ici et là. Bien sûr, il faut savoir prendre la parole avec raison, mais il reste beaucoup de travail à faire, c’est certain.
Il y a-t-il quelque chose qu’on ne sait pas de vous?
J’ai été formatrice-instructrice en natation. Ma clientèle était composée d’instructeurs que je formais, mais aussi de tous ceux qui avaient peur de l’eau, des femmes enceintes, des personnes ayant fait un AVC, une crise cardiaque, ou des personnes avec un handicap physique ou mental.
Vous avez travaillé avec des enfants, des jeunes, des adultes et, depuis peu, avec des personnes âgées. Vous vous intéressez à tous les âges. Est-ce que c’était prévu dans votre plan de carrière?
Rien n’était prévu (Rires). L’ACFO partage les locaux avec le Centre Charles-Émile-Claude (CCEC) depuis des années, un centre multiservices pour personnes âgées francophones à Cornwall. En 2021, la directrice générale est partie en congé de maternité et on m’a demandé d’être la directrice par intérim. Je me suis dit : ‘En plus, c’est déjà de mon âge, alors allons-y.’
C’était juste après la pandémie et j’ai découvert des gens isolés, ce qui a été révélateur pour moi. On est passé de peut-être 150 membres à 400 membres actifs qui passent chaque semaine pour les activités, et on a même rajeuni la clientèle.
Je suis officiellement directrice générale depuis novembre 2023. Je suis vraiment ravie du travail que l’on fait, et c’est vrai que je me regarde dans le miroir et je sais que je suis là-dedans. Je fais partie de ces petites dames (Rires). Je me crois plus jeune si je ne me regarde pas dans le miroir (Rires).
La géographie de Cornwall la place à la jonction du Québec, de l’Ontario et des États-Unis, et avec la communauté mohawk d’Akwesasne, répartie sur ces trois territoires. Comment s’organise la cohabitation dans cette région?
Ce que l’on veut, évidemment, c’est avoir une bonne relation, alors je voulais organiser des activités ensemble. On a eu l’idée de confectionner une courtepointe, en utilisant des techniques traditionnelles et modernes francophones et autochtones. Véritablement, je cherchais une excuse pour que l’on se rencontre.
La raison d’être du projet, c’est d’oublier nos différences et de partager un moment, de discuter, et c’est ce qui s’est passé lors de notre événement. Pour moi, l’approche que l’on doit avoir doit être unique.
D’un autre côté, notre relation avec les anglophones canadiens, les Américains et les Autochtones est tellement spécifique à notre région que la collaboration est de mise. On n’est pas seulement dans une relation basée sur l’apprentissage, mais on est beaucoup plus dans la célébration.
Ceux qui vous connaissent vous décrivent comme une personne toujours prête à aider, comme en témoigne la réputation de l’ACFO-SDG. Comment avez-vous réussi à établir un tel lien de confiance avec la communauté?
Je pense que c’est grâce aux gens qui m’entourent, des personnes qui ont envie d’être dans la solution, qui font partie de la solution. Et c’est cela que je retiens fondamentalement dans toute ma carrière : répondre à un besoin, aider l’autre, avec des personnes comme Sonia Behilil, notre directrice des opérations à l’ACFO, mais aussi avec des gens comme Justin Chénier, Renée Baillargeon, Ethel Côté et Espérantine Desardouin. Nous avons tous envie de trouver une solution. Vous savez, il est extrêmement rare que quelqu’un entre dans mon bureau et que nous ne trouvions pas de solution à son problème. Je crois qu’il y a une solution pour tout. C’est ce que je suis et c’est ce que j’aime être.
Lorsque vous réfléchissez à vos trente années de carrière dans le domaine communautaire, que retenez-vous?
Je pense que partout où je suis allée, j’ai créé un programme qui a perduré dans le temps. Je pense au programme de natation et de sports d’hiver pour les personnes handicapées. En pédopsychiatrie, le programme que j’avais mis en place pour la clientèle borderline et autiste. À Cornwall, peut-être le programme de formation à distance en alphabétisation.
Comment expliquez-vous le succès du Concours – LOL Mort de rire?
La première fois, nous avons été financés par Patrimoine Canada pour les cinq comtés de l’Est, puis la deuxième année pour le Centre-Sud, Ottawa et les cinq régions, et ensuite pour le Centre-Ouest et le Centre-Sud. La troisième année, c’était pour le Nord. Ainsi, sur trois ans, nous avons pu développer le projet dans toute la province. Maintenant, cela fait deux ans que nous nous rendons dans l’est du Canada. Nous irons au Québec, en Colombie-Britannique et au Manitoba.
Édith Dumont m’avait dit, dès la troisième ou quatrième année du projet, que « jusqu’à présent, c’est le meilleur projet de construction identitaire et de sécurité linguistique que je vois ». Donc j’imagine que, quelque part, cela a répondu aux attentes. Dans le cadre du programme, les jeunes dépassent leurs craintes, car personne ne remet en question leur accent. C’est vraiment incroyable.
Le succès de ce projet est peut-être lié aux partenaires aussi. Lorsque j’ai lancé le Concours LOL, j’ai cherché les bons partenaires, comme la Fondation Dialogue, les Rendez-vous de la francophonie ou encore Juste pour rire et l’École nationale de l’humour. Aujourd’hui, c’est toujours un projet fort de l’ACFO, qui est maintenant pancanadien et pourrait même s’internationaliser.
Comment voyez-vous la francophonie à Cornwall dans dix ans?
À mon avis, on sera plus présents, malgré les pertes qui ont été révélées ces dernières années.
Même avec la Ville, on a une ouverture pour la première fois depuis longtemps. Avec Mathieu Fleury comme chef de l’administration, ils vont peut-être mettre en place un comité de la francophonie et l’ACFO va s’assurer d’être là. On en avait bien besoin. On est vraiment heureux.
Depuis plusieurs années, vous êtes en quelque sorte devenu l’organisme consultatif et actif sur la question de l’immigration francophone à Cornwall. Comment cette problématique a-t-elle acquis une telle importance au sein de vos activités?
Je pense que, quelque part, l’immigration francophone, ça va être la survie des francophones et je pense que nous en sommes conscients. Les gens qui s’installent ici ont des choses à nous apporter aussi. Ils ont cet esprit d’entrepreneuriat. Ils vont commencer un emploi, mais tout de suite ils sont dans la création d’une entreprise et ils ont le guts de dire : ‘je peux réaliser mon rêve’. Nous, on se doit de les accompagner. »
LES DATES-CLÉS DE CÉLINE BAILLARGEON-TARDIF :
1953 : Naissance à Thetford-Mines (Québec)
1989 : Déménage à Cornwall
1991 : Directrice générale du centre de formation pour adulte J’aime apprendre
2014 : Mise sur pied du Concours LOL – Mort de rire
2014 : Directrice générale de l’ACFO-SDG
2023 : Directrice générale du Centre Charles-Émile-Claude
2023 : Récipiendaire du prix Boréal leadership pour sa contribution à l’épanouissement de la francophonie dans la région de Cornwall-Alexandria
2024 : Célèbre 10 ans à la tête de l’ACFO-SDG et 10 ans du Concours LOL – Mort de rire
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.