Chaos en Haïti : la diaspora de l’Ontario prône l’urgence d’un retour au dialogue
TORONTO – Haïti est en proie à un chaos total qui profite aux gangs de rue. Enlèvements contre rançon, meurtres, corruption et banditisme sont le quotidien d’un pays à feu et à sang dont le pouvoir amorce un inquiétant virage sécuritaire, sur fond de référendum contesté. Aggravée par la pandémie de COVID-19, cette crise institutionnelle, économique et sociale est insupportable pour la diaspora de l’Ontario qui fête ce mardi, le cœur lourd, le 218e anniversaire du drapeau national.
Les préparatifs virtuels sont fin prêts. Aujourd’hui est un jour de fête pour les Haïtiens de l’Ontario. On honore un drapeau, une histoire, une résilience, celle de la première république noire indépendante de l’histoire. Mais la célébration a un goût amer alors que le pays caribéen, en état d’urgence depuis deux mois, convulse et s’enfonce dans la crise, manifestation après manifestation.
« Si on ne profite pas de ces occasions qui nous donnent un peu de baume au cœur et nous permettent de relever la tête, de voir un peu du positif, ça devient invivable, d’autant qu’on n’a pas beaucoup de prise sur ce qui se passe sur le terrain, là-bas », confie Patrick Auguste, co-animateur de l’événement sur Facebook.
Pour celui qui est par ailleurs vice-président de la Coalition des noirs francophones de l’Ontario, la sortie de la crise que traverse Haïti, un État sans parlement depuis un an, doit se jouer à un niveau mondial.
Canada : un rôle à jouer
M. Auguste pense que le Canada et la communauté internationale devraient « persister à amener un vrai dialogue avec deux-trois options sur la table » pour faire émerger la solution « la moins problématique pour tout le monde ».
Et de planter le décor : « On a d’un côté le peuple qui estime que le président a fini son mandat, de l’autre un président qui s’accroche jusqu’en 2022. Il aurait pu dire « je m’en vais un peu avant » mais, au lieu de ça, il a fermé la porte au dialogue. Les pays étrangers peuvent le forcer au compromis pour débloquer la situation. »
« Entre les gangs et des soupçons sur la police, personne ne se sent à l’abri », poursuit-il. « Le pouvoir est vu comme une source d’enrichissement et d’impunité. On se fout que le peuple n’ait rien à manger. On ne peut pas continuer comme ça ».
Depuis la fin de son mandat, intervenue en février 2021, Jovenel Moïse s’est maintenu au pouvoir, s’estimant dans son bon droit jusqu’en février 2022, à cause du report d’un an de sa prise de fonction. Mais en quatre ans, le président n’est parvenu à reconstruire ni la confiance, ni l’économie du pays. Et la nomination d’un sixième premier ministre depuis 2017 laisse sceptique bien des Haïtiens qui occupent régulièrement le pavé de la capitale Port-au-Prince, dans des manifestations émaillées de violence.
La colère monte d’un cran à l’approche du référendum constitutionnel, qui pourrait aboutir, fin juin, à la suppression du sénat et du poste de premier ministre.
« Le peuple haïtien vit avec un stress mortel, abandonné aux gangs, à l’insécurité physique et alimentaire » – Amikley Fontaine
« Pendant ce temps, les gens meurent de faim », s’alarme Amikley Fontaine. « Le peuple haïtien vit avec un stress mortel. Il est abandonné aux gangs, à l’insécurité physique et alimentaire », se désole le président de la Fondation Sylvénie Lindor décrit un enlisement inexorable de jour en jour.
« Ce qui se passe en Haïti, c’est le pire », affirme M. Fontaine. « Une centaine d’individus sont enlevés chaque jour et se font généralement tuer car les ravisseurs demandent des rançons qui dépassent l’imagination. »
Depuis des mois, il réclame, lui aussi, un renforcement de l’action de la communauté internationale : « Le G7 doit aider Haïti à sortir de ce marasme politique, économique et humanitaire. »
« La mort est devenue banale et les gens monnaie d’échange » – Gabriel Osson
« La situation est telle que nous semblons de l’extérieur devenir immunisés par les crimes au quotidien et l’inaptitude du gouvernement actuel à circonscrire les attentats, à contrôler les gangs et à relancer l’économie », regrette l’écrivain franco-torontois Gabriel Osson, lui aussi d’origine haïtienne. « Une amie me disait il y a quelques mois « nous avons plus peur de mourir des mains des gangs que de la COVID », c’est tout vous dire. La mort est devenue banale et les gens monnaie d’échange. »
Solidarité oui, assistanat non
Amikley Fontaine voudrait voir se manifester une plus grande solidarité entre l’Ontario et le peuple haïtien qui inciterait le Canada à une diplomatie plus volontariste. Mais il ne se fait pas d’illusion : « Quand il y a des problèmes ou des soulèvements, c’est l’ambassade américaine qui intervient, ou celle de France. »
Il met aussi en garde contre les effets pervers de l’aide humanitaire, qui n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. « Envoyer des aliments et des vêtements ne suffira pas à sortir le pays de cette crise. L’assistanat n’encourage pas l’économie locale, l’agriculture, l’entrepreneuriat… Il faut encourager les jeunes à reprendre l’espoir, via des organisations haïtiennes sur place, qui connaissent le terrain. »
M. Auguste estime que la diaspora elle-même pourrait être force de proposition et d’influence dans ce contexte, à condition qu’elle se mobilise et parle d’une seule voix. « On pourrait peser davantage en regroupant toutes les organisations de tous les pays dans une même structure, car, pour le moment, on avance en ordre très dispersé, que ce soit au Canada, en France, au Chili ou en Floride. »
Un congrès de la diaspora, qui se tiendra en juillet prochain à Orlando (Floride), pourrait, selon lui, impulser une telle initiative.