Chartrand Lumber, entreprise centenaire à Rivière des Français

L'enseigne de Chartrand Lumber au 96 rue Notre-Dame Est, à Rivière des Français. Crédit image: Rachel Crustin

[VIRÉES D’ÉTÉ]

RIVIÈRE DES FRANÇAIS – C’est en 1923 qu’Ernest Chartrand a commencé à opérer sa première scierie. Se doutait-il qu’un siècle plus tard, ses arrière-petits-enfants seraient à la tête de son entreprise? Aujourd’hui, H & R Chartrand Lumber Ltd est un employeur et citoyen corporatif important dans la municipalité de la Rivière des Français. ONFR+ a rencontré la copropriétaire, Amy Schoppmann.

Il reste quelques ballons sur la devanture de la petite bâtisse lorsque nous entrons dans le bureau de Chartrand Lumber. C’est que quelques jours plus tôt, propriétaires, employés, élus municipaux et citoyens de Rivière des Français se réunissaient pour souligner le centième anniversaire de l’entreprise. Amy Schoppmann estime que plus de 200 personnes se sont présentées à la fête.

« Les gens étaient très fiers de nous. On a eu beaucoup de compliments et d’encouragements. Ils apprécient notre soutien à la communauté, les différents événements dans lesquels on s’implique. »

La mairesse de la Municipalité de la Rivière des Français, Gisèle Pageau, a profité de l’occasion pour remettre une plaque de reconnaissance à la famille Chartrand pour un siècle d’implication dans la communauté. Les arrière-petits-enfants d’Ernest Chartrand pourront l’accrocher au mur du bureau, à côté des autres prix reçus à travers les années.

Une autre reconnaissance reçue par la famille Chartrand pour son implication sociale, en 2022. Crédit image : Rachel Crustin

Une histoire de famille francophone

Même si l’entreprise ne s’affiche qu’en anglais sur sa page Facebook, l’identité francophone est présente au quotidien. Environ 50 % des clients et 70 % des employés sont francophones, selon Amy Schoppmann.

Elle et son frère Gary Chartrand représentent la quatrième génération de propriétaires. Le choix de reprendre l’entreprise en 2019 était mûrement réfléchi.

« Au secondaire, mes parents m’ont encouragée à aller au collège, à avoir une éducation et à voir ce que le monde a d’autre à offrir. Je suis devenue infirmière. J’ai pratiqué pendant dix ans. Je savais qu’au moment où mon plus jeune allait commencer l’école, j’allais avoir plus de temps à offrir à l’entreprise. J’étais prête à revenir. »

Quelques archives familiales dans les bureaux de Chartrand Lumber. Crédit image : Rachel Crustin

Maman de quatre enfants de huit à 11 ans, la femme d’affaires est optimiste quant à la possibilité de voir une cinquième génération à la tête de Chartrand Lumber. « Mon aîné est capable de conduire n’importe quel équipement dans la cour. Il a hâte d’avoir un emploi. »

Le jeune ne manquera pas de projets, s’il décide effectivement de rallier les rangs de l’entreprise familiale. Il y a deux ans, les propriétaires ont acheté le terrain de l’autre côté de la rue afin de développer un nouveau service, la production de produits finis. Pour l’instant, Chartrand Lumber vend un produit brut aux entreprises de construction et aux particuliers. La ressource principalement exploitée est le pin blanc, mais elle offre aussi du pin rouge, selon la demande.

Pour cette première expansion depuis l’arrivée de la quatrième génération, il faut beaucoup de planification et de patience. Mais le terrain est défriché, la machinerie est achetée et les plans sont prêts. On peut donc s’attendre à voir ce rêve concrétisé dans les prochaines années.

Les défis d’aujourd’hui

Elle est bien loin, l’époque où Ernest Chartrand et son équipe partaient bûcher avec leurs chevaux et leurs scies à main. Aujourd’hui, la licence de Chartrand Lumber permet d’exploiter 300 hectares de la forêt de Sudbury chaque année, dans les coins de Saint-Charles, Noëlville et Killarney. Les billots sont ensuite apportés à la scierie du 96 rue Notre-Dame Est à Noëlville.

Chartrand Lumber s’approvisionne en pin dans la forêt de Sudbury et ramène les billots à sa scierie de Noëlville. Crédit images : Rachel Crustin

« Ça fait 100 ans que le monde bûche les mêmes forêts. Donc, il faut aller de plus en plus loin, ça coûte de plus en plus cher pour apporter le matériel à la scierie », explique Amy Schoppmann.

Il faut naviguer entre la vitesse à laquelle le marché se transforme et le besoin de prévoir ses opérations environ un an à l’avance. Il faut aussi planifier le budget et faire attention aux dépenses. Heureusement, 95% de l’entretien du moulin peut se faire directement par les employés.

Les employés de Chartrand Lumber connaissent bien le moulin et peuvent le réparer eux-mêmes dans la plupart des cas. Crédit image : Rachel Crustin

La conscience environnementale doit aussi faire partie des plans d’exploitation. Chaque année, l’entreprise reçoit une formation sur les espèces menacées et se fait évaluer pour assurer le respect des règles.

« Les règlements changent chaque année. Il faut être plus conscient des espèces en danger comme les tortues, par exemple. Selon les conditions de la forêt et ce qu’on trouve quand on arrive, ça va déterminer si l’on peut garder toute notre coupe allouée. Il faut payer pour toute la région quand même. C’est plus profitable de tout bûcher le bloc le temps qu’on est là, à cause de ce que ça nous a coûté de bâtir les chemins pour se rendre. Alors, quand on perd une section à cause des espèces en danger, ça nous enlève une grosse partie de terrain et il faut aller chercher ces ressources ailleurs. »

La tortue mouchetée, ou Emydoidea blandingii, est l’une des espèces menacées de l’Ontario. Crédit images : Getty Images / mynewturtle

La pénurie de main-d’œuvre qualifiée est un autre enjeu majeur pour l’industrie du bois.

« Nous sommes seulement à une heure de route de Sudbury, une ville minière. Les salaires sont plus élevés dans les mines que dans la forêt. Alors il y a un gros manque de main-d’œuvre spécialisée », indique la copropriétaire de Chartrand Lumber.

Rencontrée alors que les feux de forêt faisaient rage plus au nord, Amy Schoppmann ne semblait pas inquiète pour sa production. Elle souligne que le feu de forêt le plus proche est celui survenu en 2018 sur le territoire de la Première Nation Henvey Inlet.

Amy Schoppmann a repris les rênes de l’entreprise familiale en 2019, avec son frère Gary Chartrand. Crédit image : Rachel Crustin

Questionnée également sur le fait d’être une femme dans un milieu d’hommes, elle se souvient.

« Quand j’ai commencé, il y avait des hommes que ça faisait plus longtemps qu’ils travaillaient au moulin que d’années depuis que je suis venue au monde. Ils n’étaient pas toujours réceptifs. Mais c’est un changement. Les gens sont habitués à travailler à leur façon. Au final, on s’est toujours bien entendus. »

De son propre aveu, la gestion des ressources humaines fut son plus grand défi lorsqu’elle et son frère ont repris l’entreprise. Mais le travail d’équipe a pris le dessus. 

« Je ne voudrais jamais posséder une très grande entreprise. On est tellement chanceux de connaître nos clients réguliers. On a vraiment une bonne relation avec la communauté, nos clients et nos employés, qui ne sont pas juste des numéros. »

Implication dans la communauté

En plus d’employer jusqu’à 20 personnes au printemps et 35 en hiver, la famille Chartrand s’implique de différentes façons dans la vie de Rivière des Français, un intérêt qui s’est transmis de génération en génération.

Le 26 août prochain, ce sera la deuxième campagne de financement annuelle au parc Joe Chartrand de Noëlville. Alors que de toutes nouvelles structures de jeux viennent d’être installées, les propriétaires de Chartrand Lumber souhaitent ajouter des toilettes publiques.

De nouvelles structures de jeux viennent d’être installées au parc Joe Chartrand, avec une section pensée spécialement pour les enfants vivant avec un trouble du spectre de l’autisme. La famille Chartrand amasse des fonds pour ajouter des toilettes publiques dans le parc. Crédit image : Rachel Crustin

En 2021, déçue de l’annulation du défilé de Noël à cause des mesures sanitaires, Amy Schoppmann a eu l’idée d’organiser un défilé inversé.

« Nous avons décoré notre cour entière, d’une entrée à l’autre. Il y avait des arbres de Noël, des chars allégoriques… Les gens étaient à l’intérieur de leur véhicule. Nous suivions les règlements. Il y a eu environ 200 autos. Les gens ont été impressionnés, et nous avons eu le mandat de le refaire. »

La nouvelle tradition se poursuivra cette année pour une troisième édition, même sans les restrictions pandémiques.

Le défilé inversé de Chartrand Lumber vu par un drone. Crédit image : capture d’écran Youtube Donald Alex McDougall

L’entraide est une valeur bien présente à Rivière des Français. « On travaille très bien avec d’autres petites entreprises. C’est un des avantages d’être dans une petite communauté. On peut emprunter des machines, on s’entraide tous. »

Voilà pourquoi, après 100 ans, Chartrand Lumber est toujours une entreprise locale de Noëlville.

« Mon frère et moi, nous sommes la quatrième génération à prendre la relève. Nous n’avons aucune intention de partir », conclut Amy Schoppmann.

Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.