Christian Pilon, un Métis franco-ontarien pour le partage du savoir autochtone
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
OTTAWA – Christian Pilon a grandi à Azilda, non loin de Sudbury et plus tard près du lac Supérieur. Issu d’une famille de chasseurs et de pêcheurs, il est aujourd’hui un voyageur, fabricant de canot traditionnel Anishnabé qui vit à Ottawa. Ce Franco-Ontarien porte le nom spirituel de Briseur de siège. Portant en lui le devoir de partage, il raconte qui il est et ce que signifie être Métis, fier de son histoire et de ses racines ancestrales.
« Comment vivez-vous au quotidien votre double identité franco-ontarienne et métisse?
En fait, pour moi, ce n’est pas une double identité. C’est juste mon identité. D’ailleurs, être Métis, ce n’est pas juste une chose. On n’est pas juste une chose dans la vie. Mes ancêtres étaient de France et ont marié des Anishnabés, donc les Métis. J’explique ça comme des combattants hybrides : on a pris le meilleur du côté autochtone et du côté européen, puis on l’est a mis ensemble. Malheureusement, nous sommes aussi rejetés des deux côtés, soit tu es trop blanc d’un bord, soit tu es trop indien de l’autre.
Tout ça pour dire que mon identité, c’est d’être entre les deux. En tant que Métis, je suis le pont naturel entre les deux côtés et je comprends les deux côtés.
Ça a son lot de difficultés et là où moi je me sens vraiment bien, c’est dans la forêt. Là-bas, pas de stéréotypes, pas de préjugés, pas de racisme.
C’est en partie pour cette raison que je construis des canots d’écorce de bouleau, pour fonder et bâtir des liens. C’est un cadeau de nos ancêtres Anishnabés. Ils l’ont partagé avec les Français à l’époque. On est toujours dans le canot, nous les autochtones, et on veut pagayer ensemble.
Quelle est votre situation personnelle au regard des difficultés que peut rencontrer la communauté autochtone. Avez-vous été victime de discrimination?
Oui, et des deux côtés. On me disait, une fois que les plus racistes envers les Noirs étaient les Noirs, puis les plus racistes envers les Autochtones, c’était les Autochtones. Ça semble drôle et pourtant la violence latérale existe réellement. Dans l’Est ontarien, il a souvent été question de ça, même si c’est un peu partout, pour être honnête. J’ai déjà entendu dire que les Métis de l’Est ça n’existait pas.
Avec les non-Autochtones à l’école, c’était quand les élèves ont su que j’étais Autochtone : ils m’ont repoussé. Enfant, je le voyais bien, que j’étais différent, je regardais des photos de moi, puis je me disais « wow », ça a l’air que je ne suis pas comme les autres, mais je ne l’affichais pas.
Quand avez-vous eu réellement connaissance de votre identité autochtone?
Tard, c’est simple, on n’en parlait pas chez nous. C’était secret, mais je savais qu’on était différent. Ce n’est pas tout le monde qui parle aux animaux et aux arbres. Quand j’étais jeune, durant les fêtes de famille et quand la boisson faisait effet, ça parlait et j’en apprenais un peu plus. Mais c’est seulement quand mon arrière-grand-mère est décédée – la matriarche – que j’ai commencé à en savoir plus sur ma culture. Alors, c’est une dure réalité, mais on a été assimilé, du fait d’avoir caché notre identité. Je devais avoir 28 ans vraiment, quand j’ai commencé à chercher des réponses.
Dans notre petite ville d’Azilda, lorsque nous étions enfants, on nous demandait si on était des Italiens ou Portugais, alors nous répondions oui.
Par contre le français, c’est ma première langue même si on parlait un peu le michif, qui est un mélange de vieux français et de langue de la région.
Vous voyez le drapeau métis, le signe de l’infini sur un drapeau bleu, eh bien pour moi, ce signe à l’air d’un masque et nous l’avons porté longtemps ce masque. Ce signe, de deux boucles, représente les deux cultures, européenne et autochtone, pour en créer une seule, la nation métisse. Mais n’empêche qu’on passe inaperçu.
Après avoir découvert votre culture, comment cela s’est traduit dans votre quotidien?
Il y a eu plusieurs étapes, mais aujourd’hui c’est le fun, quand je rencontre mes cousins et mes cousines qui ont des enfants. Les jeunes savent que quand il y a l’oncle Christian, on va aller dans le bois (Rires).
Mais, c’est réellement grâce à ma participation dans l’émission Destination Nor’ouest, qu’une porte s’est ouverte. J’y ai rencontré des autochtones qui m’ont reconnu comme l’un des leurs. Puis j’ai rencontré Marcel Labelle, mon aîné. C’est lui qui m’a montré comment bâtir un canot d’écorce, parmi tant d’autres choses. Construire des canots c’est une belle activité que je fais auprès des écoles et des jeunes.
Je ne peux pas retourner en arrière, mais c’est la raison pour laquelle je partage beaucoup de ma culture aujourd’hui. Notamment avec mes projets de canots. Je participe à des cérémonies et j’y amène du monde, pour leur donner plus de temps que moi j’en ai eu. L’autre chose que je réalise, c’est que je n’ai pas besoin de rattraper ce que je n’ai pas appris durant l’enfance, parce que ma base est là, elle a toujours été là. C’est juste qu’elle ne m’a pas été expliquée, mais je l’ai vécu quand même. Notre culture est basée sur la nature, observer, apprendre et écouter, c’est l’enseignement dont on a besoin.
L’enseignement que j’ai reçu vient de Marcel en grande partie. Je me souviens qu’il me disait : « Tu prends les enseignements que tu entends et les amènes dans la nature. Si tu ne les retrouves pas dans la forêt, c’est que cet enseignement fait partie de ton assimilation. Si tu les retrouves dans la forêt, tu es au bon endroit ». C’est une directive qui me suit toujours.
Quelles sont les valeurs qui vous tiennent à cœur? Le lien à la nature est-il une valeur autochtone?
C’est en étant être humain qu’on a un rapport à la nature, dans le fond nous sommes des animaux, mais nous l’avons oublié. On assume qu’il faut aller au fin fond de la nature pour s’y connecter, mais en fait ce n’est pas nécessaire, c’est aussi simple que développer une relation avec une plante dans ta maison.
J’anime une émission sur APTN, le Réseau de télévision des peuples autochtones, La terre en nous, et j’essaie d’expliquer nos liens avec la nature entre autres.
Quand tu vas dans la forêt, ne regardes pas un arbre comme si c’était juste un arbre, ou un oiseau comme un simple oiseau. Regardes comme si c’était toi, comme tes relations, tes frères, tes sœurs et tu verras ta perception changera complètement, puis tu vivras différemment aussi.
On a cette volonté de prendre, prendre, prendre, alors qu’il faut demander la permission. Je prends le temps d’observer et d’écouter. Quel arbre veut participer et quel arbre veut m’offrir ses racines? Il faut un moment de réflexion avant de prendre, il faut être conscient.
Quels conseils donneriez-vous aux gens, qui voudraient se rapprocher des valeurs autochtones?
La spiritualité. Le simple fait qu’on est vivant fait de nous des êtres spirituels. Ressentir, c’est être spirituel. Il faut écouter et ralentir. Un ami m’expliquait que nous avons sept cadeaux, deux yeux, deux oreilles, deux narines et une bouche. Pourtant, on commence toujours par parler, on utilise la bouche. On devrait en fait regarder dans un premier temps, regarder les gens, les oiseux, la terre, la planète, peu importe. Puis écouter et sentir l’autre, avant de parler.
Puis tu sais, du monde vient nous voir en demandant ce qu’ils peuvent faire pour les Métis, les Inuits, les Premières Nations. Et je leur réponds souvent : « Vous vous trompez, nous autres, on est là, pour vous aider ». Nous avons déjà notre culture, nos traditions, nos cérémonies, notre langue. Nous avons tous des cultures et des pratiques, mais la culture autochtone est peut-être un tremplin à la découverte de soi.
On parle de réconciliation, mais, là je ne parle pas seulement avec les Canadiens, mais aussi entre l’homme et la femme, entre les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Il reste beaucoup à faire. On nous demande de partager bien des enseignements, et de guider les autres, mais nous devons guérir de nos pertes. À chaque évènement tragique, nous devons faire notre deuil.
Vous avez fait de nombreuses émissions pour la télévision afin de transmettre votre culture et votre histoire. Quels sont vos projets?
Ça fait 17 ans que je fais ça. J’ai rencontré beaucoup de monde et j’ai eu des retours très positifs. J’ai rencontré des élèves, qui aujourd’hui sont des parents et qui se souviennent. J’ai un devoir de partager mon savoir. Si je meurs demain, je ne pourrai pas le partager. Plusieurs de mes anciens élèves maintenant à l’Université m’écrivent parfois, soit pour avoir des nouvelles, soit dans le cadre de leurs études. Souvent ils ont besoin qu’on se rencontre, mais si tu n’es pas loin on va prendre une marche et on va aller dans le bois. C’est très important, pour que je transmette ces valeurs.
Aujourd’hui avec ma fabrique de canots, je fais aussi des paniers, des bracelets, des bijoux. J’ai fait surtout ça pendant la pandémie, mais quoi qu’il en soit, j’essaie d’utiliser tout ce que l’arbre m’a donné.
Je suis dans une compagnie de théâtre montréalaise qui est la première compagnie francophone et autochtone. Puis à Ottawa, je joue pour la compagnie La vieille 17, où je fais partie d’une troupe et on joue une pièce intitulée Delphine rêve toujours. C’est une pièce réalisée par des autochtones et des allochtones.
J’anime des web-séries et je fais des émissions. Puis sinon, je me laisse guider, où je m’en vais ça je ne le sais pas! Une chose est sûre c’est que je suis redevable à la communauté. Mon nom spirituel, Briseur de sièges, c’est un nom donné par un aîné, et c’est mon talent, c’est qui je suis. Moi, je brise des sièges culturels, des stéréotypes et des préjugés envers la nation. Tout le monde à un nom spirituel, même toi. On est tous indigènes de quelque part. »
LES DATES-CLÉS DE CHRISTIAN PILON :
1975 : Naissance à Ottawa
1997 : Obtention d’une ceinture noire en Art-Martiaux
2004 : Émission 180, retour sur un moment traumatique de la vie de Christian
2005 : Destination Nor’Ouest – 100 jours en canot d’écorce de Montréal à Winnipeg
2010 : Rencontre avec son aîné Marcel Labelle
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.