Le casse-tête universitaire de l’Ontario français

L'Université d'Ottawa.

[CHRONIQUE]
L’université franco-ontarienne est-elle à la portée de la main? Lors d’une conférence de presse à Queen’s Park, le mardi 11 février, le RÉFO, la FESFO et l’AFO ont conjointement appelé à la fin du modèle du bilinguisme pour les universités en Ontario. Il serait temps d’envisager une nouvelle façon d’opérer. Le RÉFO a d’ailleurs souligné un « large consensus » concernant une université indépendante et unilingue auprès de la communauté. Or, cette option ne fait pas que des heureux.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Les nombreux détracteurs du projet d’une université de langue française citent souvent le financement manquant pour un tel objectif. La question en embête plusieurs. Avec des compressions importantes dans le financement des universités, l’heure n’est pas aux nouveaux projets auprès des gouvernements. Afin de résoudre l’énigme monétaire, le RÉFO et ses partenaires flirtent avec le modèle québécois alors que les chiffres récents ont montré à voir que les universités anglophones reçoivent 29% des deniers publics destinés aux universités alors que les anglophones ne forment que 8% de la population québécoise.

Malheureusement, cet argument est, au mieux, maladroit et, au pire, malhonnête.

À elle seule, l’Université McGill comporte plus d’étudiants que la totalité de la population postsecondaire franco-ontarienne. Ensemble, les trois universités anglophones du Québec comportent autour de 88 000 étudiants! Le fait demeure que Concordia, McGill et Bishop’s ont un pouvoir d’attraction énorme auprès des étudiants internationaux. Tout compris, les universités de langue anglaise hébergent autour de 30% à 35% de la population étudiante québécoise.

On a le droit de douter qu’une université franco-ontarienne réussisse de grandes pirouettes gymnastiques en recrutement auprès de la population anglophone comme le font ces institutions pour les franco-québécois!

Bref, la réflexion sur les coûts est incomplète et demeure la plus grande faille du rapport. Toutefois, une étude pilotée par Queen’s Park pourrait pousser davantage la réflexion.

Plusieurs questions demeurent

Le rapport du RÉFO est solide, mais il fait surgir plus de questions que de réponses. Pour ces groupes de pression, un « comité transitoire » doit nécessairement être mis sur pied pour aboutir à la création d’une institution de langue française dès 2018. Or, cela risque de mettre la charrue devant les bœufs.

On connaît les arguments économiques. Toutefois, je cherche à soulever un autre côté du débat. Celui de la menace de perte d’emplois. Cette peur a notamment lors alimenté le débat des années 1990 lorsque de nombreux intellectuels de l’Université d’Ottawa se sont opposés à une telle entreprise. Il faut calculer si le risque de perdre ces emplois vaut bien la chandelle d’une université de langue française. N’oublions pas que la formation d’étudiants n’est qu’un des nombreux aspects d’une université. La recherche demeure la vocation principale de ces institutions. Quel serait l’impact d’une restructuration des universités en Ontario français?

Comment convaincre les institutions actuelles de lâcher le morceau? Les investissements du gouvernement pour l’éducation bilingue font saliver les loups universitaires des quatre coins de la province. À présent, ces institutions s’opposent à tout aménagement qui toucherait tant à leur béton qu’à leurs budgets. C’est en partie ce qui explique la position maladroite d’Allan Rock il y a quelques mois concernant ce sujet.

Une suite logique?

Il n’en demeure pas moins que l’Ontario fait figure d’une véritable anomalie dans le paysage canadien-français. Avec plus d’un demi-million d’habitants, les Franco-Ontariens n’ont aucune université à charte indépendante de langue française. L’Université de Hearst est la seule institution qui s’approche de ce but.

Du côté de la population étudiante, une nouvelle université de langue française a le potentiel d’avoir un corps étudiant supérieur à l’ensemble des universités de langue française à l’extérieur du Québec et même trois fois celle de l’Université de Moncton.

C’est un argument de taille.

Une institution de la sorte permettrait la création d’un lieu de vivre ensemble en français, ce qui est nécessaire pour la pérennité de la population de langue française. Un espace culturel universitaire de la sorte peut permettre de combler les énormes lacunes qui existent dans certains campus. Une marche du côté du collège universitaire Glendon où on ne peut même pas s’acheter un café en français en convaincra plus d’un. Enfin, elle pourrait mettre un frein à la guerre d’effectifs que se lancent les institutions bilingues pour les étudiants francophones.

Or, ce fantasme demeure celui d’un groupe de pression, et, jusqu’à présent, ne réussit pas à percer les murs de la législature.

Manque de leadership

Que dire d’ailleurs du manque de leadership flagrant du gouvernement dans ce dossier? La ministre responsable des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, rembobine si fréquemment sa cassette qu’on a l’impression qu’il y a un écho dans la salle. C’est systématique : les libéraux refusent de camper leur position, préférant une valse d’hésitation qui ne peut que faire grincer les dents. La volonté politique n’est pas là, et le gouvernement va s’amuser à se cacher derrière les « contraintes budgétaires » pour justifier ce manque de courage.

On a vraiment l’impression que John Robarts et Bill Davis n’ont jamais quitté la législature.

Rappelons que ces anciens premiers ministres provinciaux n’ont bougé sur le dossier de l’Ontario français qu’en pleine crise. Lors des années 1960, Robarts voulait sauver le Canada de la rupture avec le Québec. De fait, il pilote avec son ministre de l’Éducation, Bill Davis, les projets de loi 140 et 141 qui donnent droit à l’établissement d’écoles publiques de langue française dans la province. Bill Davis, qui à lui seul devrait détenir le record Guinness pour le nombre de crises scolaires, ne bougeait sur la question qu’à la veille des élections, de référendums, ou lorsqu’il démissionne en 1984.

Le timing actuel fait en sorte que les libéraux auront quatre ans pour ignorer la communauté avant d’avoir à y réfléchir de nouveau. Le RÉFO et ses partenaires veulent une université 2018, ils risquent plutôt, s’ils ont de la chance, d’obtenir une commission d’enquête à quelques semaines des élections… si la soupe demeure chaude d’ici là.

Une montagne à gravir

Le RÉFO et ses partenaires ont, pendant de nombreuses années, fait des efforts honnêtes et louables pour mener à terme ce projet. Sur ce, et très sincèrement, chapeau. L’opposition demeure, toutefois. C’est un Everest qu’il faut escalader lorsqu’on tient compte l’opposition qu’il existe à une université de langue française. C’était le cas durant les années 1970, 1990, et ce l’est encore aujourd’hui, et ce le sera dans vingt ans si cette lancée demeure lettre morte.

La volonté politique inexistante au gouvernement fait en sorte que le rêve d’une université franco-ontarienne en 2018 ne se réalisera probablement pas. Cela dit, la province devrait prendre note de l’effort herculéen du RÉFO en étudiant et en mettant sur pied une commission d’enquête pour prendre le relais.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.