Cinq souhaits pour le patrimoine franco-ontarien en 2025
Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.
[CHRONIQUE]
Alors que vient de débuter l’année 2025, souhaitons-nous le meilleur. Pour cette première chronique de l’année, je vous partage cinq vœux que je nous souhaite pour une année réussie en patrimoine franco-ontarien.
Davantage de financement
L’argent, c’est le nerf de la guerre, dit l’adage bien connu. Pour que le milieu du patrimoine franco-ontarien se porte mieux en cette nouvelle année, rien de plus naturel que de lui souhaiter davantage de financement, pour qu’il puisse mieux réaliser son mandat, continuer d’organiser des activités et mieux sensibiliser la communauté.
À l’heure où les effets de l’inflation continuent de peser lourd, où le financement stagne depuis des années (lorsqu’il ne recule pas), un financement adéquat en faveur d’organismes de défense du patrimoine ou encore en faveur de sa valorisation, de sa préservation et de la restauration est essentiel pour la pérennité du patrimoine franco-ontarien.
Encore plus de désignations
Pressées par un ultimatum du gouvernement de l’Ontario qui avait indiqué qu’un moratoire serait imposé sur les désignations patrimoniales bientôt, les municipalités se sont activées l’année dernière afin de faire désigner en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario des bâtiments qui se trouvaient parfois depuis des années sur leur inventaire du patrimoine.
Le gouvernement Ford a repoussé l’échéance (qui devait initialement être le 31 décembre 2024) pour accorder un délai de deux ans supplémentaires aux municipalités pour effectuer des désignations patrimoniales. Cet élan ne doit pas s’estomper. À la Ville d’Ottawa, les désignations patrimoniales ont triplé l’an dernier par rapport à la moyenne historique et cela a inclus des bâtiments franco-ontariens. Continuons.
D’autres livres publiés
Quelques essais sur l’histoire franco-ontarienne ont été publiés au courant de la dernière année, de quoi regarnir nos bibliothèques de nouvelles études sur notre passé. On s’en souhaite d’autres cette année.
L’année dernière avait bien commencé avec un essai qui a attiré l’attention, celui d’Hugues Théorêt sur l’Ordre de Jacques-Cartier, dit « La Patente » (publié aux éditions du Septentrion). La publication des actes de colloque tenus en 2022 à l’Université d’Ottawa sur S.O.S. Montfort, Le moment Montfort dans la francophonie, est également un essai de choix à se procurer (éditions des Presses de l’Université d’Ottawa). En fin d’année, c’est un collectif d’études autour de l’histoire plus que cinquantenaire de l’hebdomadaire franco-ontarien Le Voyageur qui est arrivé en librairie (coédition Prise de parole et Société historique du Nouvel-Ontario).
Même les enfants ont eu droit à un livre qui pourrait les intéresser. Les éditions David ont publié un roman jeunesse sur le vol au Château Laurier, à Ottawa, du portrait de Sir Winston Churchill (résolu l’année dernière). Un roman dans lequel le militant du patrimoine franco-ontarien Michel Prévost apparaît comme personnage!
De nouvelles reconversions de bâtiments patrimoniaux
À Ottawa, un fait marquant de la dernière année en patrimoine a été la reconversion de deux bâtiments patrimoniaux. En effet, l’ancien couvent Saint-Jean-Baptiste (dit Collège dominicain), de même que la Maison de la Providence Notre-Dame-de-la-Providence, à Orléans, ont été acquis respectivement par le Conseil des écoles catholiques du Centre-Est et la Ville d’Ottawa. Le premier sert depuis la rentrée de l’automne dernier comme nouveau campus d’école secondaire à l’ouest immédiat du centre-ville d’Ottawa, tandis que le second accueillera des demandeurs d’asile célibataires d’ici le printemps prochain.
Ces deux bâtiments du patrimoine religieux avaient été mis en vente (quelque peu secrètement) par leurs communautés religieuses, qui les ont vendus au secteur public. Non seulement la reconversion de bâtiments existants plutôt que la démolition est une bonne pratique pour l’environnement et la réduction des gaz à effets de serre, il permet (du moins temporairement) de sauver un bâtiment patrimonial qui aurait pu facilement se trouver en ligne de mire du pic des démolisseurs.
Le défi de reconversion de bâtiments du patrimoine religieux en masse ne fait que commencer et ces deux exemples heureux de la dernière année ne doivent pas être les derniers. Dans les prochains mois ou années, la reconversion de la maison-mère des Filles de la Sagesse à Vanier, du couvent Mont-Saint-Joseph dans Rockcliffe Park ou encore du couvent du Sacré-Cœur dans le vieil Ottawa-Est sont des projets en cours qui bénéficieraient de s’inspirer de l’exemple de l’ancien Collège dominicain et de la Maison Notre-Dame-de-la-Providence.
L’émergence d’une relève
Ce souhait ne se concrétisera pas en une année. Comme pour la question du financement, c’est un problème récurrent et complexe. L’absence de relève en patrimoine se fait sentir de plus en plus avec ses militants vieillissants. Je vous donne un exemple. En avril dernier, au moment où il recevait un prix pour son implication communautaire dans la francophonie, j’écrivais une chronique sur Louis Patry, vice-président fondateur de la Société franco-ontarienne du patrimoine et de l’histoire d’Orléans (SFOPHO). Dans sa dernière livraison, le bulletin de la SFOPHO nous apprenait que monsieur Patry, 79 ans, cessait son implication communautaire après plusieurs années de bénévolat. Monsieur Patry a beaucoup redonné à la communauté et il est parfaitement en droit de se reposer après de nombreuses années de valeureux services. Or, qui prendra le bâton du pèlerin? Quand émergera une relève? Pendant les derniers douze ans, monsieur Patry a veillé au grain et a sensibilisé élus, médias et entreprises privées pour que l’accent sur Orléans soit réaffiché sur les panneaux, à une époque où il s’effritait. Après un renversement de situation grâce à ses efforts, j’aperçois déjà que l’accent recommence tranquillement à être oublié sur les panneaux. Tel le mythe de Siphyse, il semble que ce combat en soit un perpétuel pour les Franco-Ontariens.
Monsieur Patry a fait sa part, mais pour qu’une relève émerge en patrimoine comme je nous souhaite pour cette année, il faut lui donner des moyens pour réussir. On ne compte pas de programmes postsecondaires en français en Ontario, contrairement au Québec. C’est déjà un obstacle. Ensuite, l’absence d’opportunités est un frein énorme pour l’émergence d’une relève patrimoniale franco-ontarienne. Trop de bénévolat est attendu auprès des jeunes pour que ce soit pour eux une option réaliste de s’engager. Hormis quelques postes d’archivistes ici et là dans quelques universités, les options d’emplois sont quasi inexistantes.
Ceux qui s’intéressent et défendent le patrimoine franco-ontarien sont surtout d’une génération vieillissante, qui a fait carrière ailleurs qu’en patrimoine et qui incarne mal le renouveau. Mais sans de nouvelles conditions matérielles favorables pour elle, la relève tant attendue en patrimoine n’apparaîtra pas.
En résumé, mes cinq souhaits illustrent aussi bien mes espoirs que mon réalisme quant aux défis qui attendent le patrimoine franco-ontarien en 2025.