Combat judiciaire pour inscrire sa fille dans une école francophone

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OTTAWA – Inscrire son enfant en immersion équivaut-il à l’inscrire dans une école de langue française? Une mère de famille d’Orléans tente d’inverser une décision judiciaire de première instance pour permettre à sa fille d’aller à l’école en français.

Si la rentrée 2020 revêt un caractère particulier, voire stressant, pour les enfants qui devront s’adapter aux normes sanitaires mises en place pour lutter contre la COVID-19, la situation est encore plus complexe pour la fille de Melissa Leclerc.

L’élève de six ans doit entrer en première année. Mais en cette période de rentrée, elle doit rester à la maison.

La cause : une décision judiciaire de première instance qui demande qu’elle soit inscrite au programme d’immersion française de l’école élémentaire John Young, à Kanata, comme le souhaitait son père. Un jugement que conteste, aujourd’hui, Mme Leclerc.

« Je suis un produit de l’école de langue française, ce qui m’a permis de devenir parfaitement bilingue. Je veux offrir la même opportunité à ma fille. L’immersion, ce n’est pas la même chose et je crains qu’elle perde sa langue maternelle ou qu’elle n’ait pas le même niveau en français si elle va en immersion. »

Un choix depuis le départ

Ce choix d’envoyer son enfant dans une école francophone avait toujours été clair, dit-elle.

« Comme nous vivions à Kanata, notre choix s’était porté sur l’école Maurice-Lapointe », explique Mme Leclerc.

Une décision qu’a reconnu son ex-partenaire devant la cour, selon le jugement qu’a pu consulter ONFR+. Mais après six ans de vie commune et une séparation en 2015, Mme Leclerc a déménagé à Orléans et donc proposé à son ex-conjoint, toujours à Kanata, de trouver une école à mi-chemin pour les deux parents.

La résidente d’Orléans, Melissa Leclerc. Gracieuseté

Quand est venu le temps d’inscrire leur jeune fille au jardin d’enfants, Mme Leclerc a choisi l’école élémentaire publique Louise-Arbour, dans la Petite-Italie, contre l’avis de son ancien partenaire qui, même s’il travaille au centre-ville, doit composer avec des horaires peu flexibles qui l’obligeraient à porter sa fille très tôt dans un service de garde avant l’école.

L’an passé, leur fille a fréquenté le jardin une semaine sur deux, quand elle était chez sa mère. Mais cette année, alors qu’elle doit entrer en première année, les choses sont bien plus compliquées.

Le temps de transport plus important que la langue

Appelé à trancher ce litige, le juge Mark Shelston a finalement donné raison au père de la jeune fille, insistant sur l’impact de longues heures de transport sur le bien-être de l’enfant, tout en reconnaissant que ce problème existera les semaines où Mme Leclerc en aura la garde.

« Dans un dossier de droit familial, le juge doit toujours rechercher l’intérêt véritable de l’enfant », explique Gabriel Poliquin, du cabinet d’avocats CazaSaikaley, qui représente Mme Leclerc pour son appel devant la cour divisionnaire. « Mais ce que nous contestons, c’est que le juge a privilégié le facteur du temps de transport contre l’aspect linguistique et culturel, estimant qu’un programme d’immersion peut répondre aux besoins d’un jeune francophone. On sait pourtant très bien que les programmes d’immersion ne permettent pas la même transmission du français et accroissent les risques d’assimilation. »

Dans sa décision, le juge estime que les besoins linguistiques de la fille de Mme Leclerc seront comblés par le programme d’immersion et que l’aspect construction identitaire et culturel francophone pourra être assuré à la maison maternelle.

La cour devrait prochainement confirmer si elle accepte ou non d’entendre l’appel de Mme Leclerc.

« Il y a urgence, car la rentrée se déroule actuellement, alors on essaie de faire vite. Ce que nous demandons, c’est que la cour entende l’appel et le sursis de la première décision », précise Me Poliquin.

En attendant, Mme Leclerc dit avoir proposé à son ex-conjoint de revenir au plan initial d’inscrire sa fille à l’école Maurice-Lapointe.

Le risque d’un précédent

Mais quoi qu’il arrive, cette mère franco-ontarienne n’a pas encore pris de décision quant à l’idée de poursuivre ses démarches, advenant un accord pour une inscription dans une école francophone de Kanata.

« Je n’ai jamais été particulièrement militante, mais quand une chose comme ça arrive, ça vient te chercher. On parle du droit à l’éducation en français et je constate qu’il y a des lacunes dans le système. Comment peut-on ne pas traiter l’aspect linguistique et culturel comme très important? Et comment se fait-il que perdurent les préjugés selon lesquels l’immersion, c’est comme l’école de langue française? Je ne voudrais pas que mon cas puisse servir d’argument dans d’autres situations similaires. »

L’avocat Me Poliquin tempère toutefois ce risque.

« Les arguments dans cette affaire pourraient être utilisés dans un cas semblable, mais ce jugement ne lie pas les cours et en droit de la famille, les décisions sont rendues au cas par cas », dit-il. « De plus, il y a l’arrêté Perron contre Perron [2012] qui a déjà indiqué qu’une école homogène francophone est préférable pour un enfant de la minorité linguistique, ce dont la décision en première instance ne semble pas avoir tenu compte. »