Commissaire aux langues officielles : le tour des Maritimes?
OTTAWA – Le gouvernement libéral a jusqu’au 17 juin pour annoncer la personne qui succédera à Graham Fraser au poste de commissaire aux langues officielles du Canada. Ces derniers mois, plusieurs voix dans les provinces de l’Atlantique s’élèvent pour que la personne choisie vienne des Maritimes, alors que le processus de sélection suscite des interrogations.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Avant même le départ de M. Fraser en décembre dernier, la Société Nationale de l’Acadie (SNA), par la voix de son ancien président devenu sénateur, René Cormier, avait commencé à militer pour la nomination d’un francophone des Maritimes au Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada. Son remplaçant par intérim à la présidence de l’organisme, Xavier Lord-Giroux, poursuit la même campagne.
« Il n’y a jamais eu de commissaire issu des provinces de l’Atlantique depuis la fondation du commissariat. Ils ont toujours été choisis soit au Québec, soit en Ontario. On ne remet pas en question le travail qu’ils ont fait, mais on pense que ça pourrait être intéressant d’avoir une lunette acadienne car la réalité est différente ici, avec certains régions très homogènes. »
Sur les six commissaires qui se sont succédé depuis la création du poste en 1969, quatre sont issus de l’Ontario et deux du Québec.
« Nous pensons que c’est le temps! », appuie le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Kevin Arseneau. « Le Nouveau-Brunswick est la seule province bilingue au Canada et nous pensons que quelqu’un qui viendrait d’ici, par exemple, aurait une perspective différente qui pourrait profiter à toute la francophonie canadienne. »
Le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, juge la demande légitime.
« La réalité est différente dans ces provinces, notamment en matière d’accès aux services en français ou pour les employés de la fonction publique fédérale dans les bureaux régionaux qui veulent travailler dans la langue de leur choix, par exemple. Peut-être que depuis Ottawa, cette réalité échappe un peu au radar. Cela pourrait apporter une nouvelle perspective et un nouveau souffle. »
Si plusieurs dans les Maritimes poussent pour voir l’un des leurs choisis donc, l’Ouest reste de son côté totalement silencieux, ce qui désole le professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver, Rémi Léger.
« Les francophones de l’Ouest sont pourtant des groupes historiques, avec des histoires particulières dans l’ensemble canadien. De plus, les francophonies contemporaines dans l’Ouest, marquées par la diversité et l’exogamie, sont l’avenir pas très lointain pour le reste de la francophonie. »
Plusieurs noms des Maritimes
Parmi les noms cités, la directrice générale de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANÉ), Marie-Claude Rioux, a confirmé à #ONfr avoir postulé.
D’autres noms circulent également comme celui de l’ancien président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Gino LeBlanc, celui de l’ancienne journaliste et présidente de la Fondation nationale de l’Acadie, Françoise Enguehard, celui du directeur sortant de l’Observatoire international des droits linguistiques, Michel Doucet ou encore, celui de la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont.
En entrevue avec #ONfr, la commissaire d’Entremont avait préféré esquiver la question de son éventuel intérêt.
https://youtu.be/oqplfQ1abbs
Pour M. Arseneau, la représentation régionale devrait entrer en compte à chaque nomination.
« Il y a actuellement une règle tacite d’alterner entre un francophone et un anglophone. Je trouve ça un peu bizarre car il y a beaucoup moins d’anglophones en milieu minoritaire. Ce serait plus juste d’instaurer une certaine alternance par région, ce qui permettrait aussi aux anglophones du Québec d’être représentés. »
Le député acadien de Nouvelle-Écosse, Darrel Samson, appuie l’idée d’une composante régionale.
« On nomme des juges à la Cour suprême du Canada et des sénateurs selon des critères régionaux, alors pourquoi ne pas en tenir compte dans le processus? », questionne-t-il.
Le politologue Martin Normand trouve la proposition intéressante.
« La proximité physique du gouvernement fédéral fait que les réseaux d’Ottawa, Toronto ou Montréal, sont souvent privilégiés pour des nominations aux postes d’agents du parlement. Mais pour le commissaire aux langues officielles du Canada, c’est d’autant plus important d’avoir une représentation régionale que ce poste est vu comme un relais entre les communautés et le gouvernement fédéral pour porter certaines revendications. »
Pas d’unanimité
Le choix d’un représentant acadien à la tête du CLO ne fait toutefois pas l’unanimité en Acadie. L’ancienne présidente de la SANB, Jeanne d’Arc Gaudet, préfèrerait plutôt que le choix se porte avant tout sur une femme.
« C’est un poste très important qui nécessite des compétences et des qualités humaines, ainsi qu’une très bonne connaissance de la Loi sur les langues officielles. Mais cela étant dit, je pense qu’il faudrait aussi prendre en considération l’alternance homme-femme avant de regarder la province d’origine. »
Mme Gaudet souligne que, hormis Dyane Adam et la commissaire par intérim actuelle, Ghislaine Saikaley, le poste a toujours été occupé par des hommes.
La commissaire d’Entremont ferait, là encore, selon Mme Gaudet, une très bonne candidate.
« Elle possède beaucoup de compétences et n’a pas peur d’aller sur la place publique quand il faut dénoncer des injustices. Mais il y a d’autres candidates aussi auxquelles je pense… »
À l’extérieur des provinces de l’Atlantique, le nom de l’ancienne ministre ontarienne, Madeleine Meilleur, a notamment été évoqué, aux côtés de ceux de François Boileau et Benoît Pelletier.
Processus transparent?
La nomination du prochain commissaire aux langues officielles du Canada par le gouvernement doit se faire selon un nouveau processus, plus « ouvert, transparent et inclusif », selon les termes répétés en boucle depuis l’avènement du Parti libéral du Canada (PLC) au pouvoir en octobre 2015.
Si une liste de finalistes aurait déjà été dressée, selon ce qu’a appris en coulisses #ONfr, la décision finale reviendra au premier ministre Justin Trudeau, lui-même.
« La nomination de M. Fraser n’était pas partisane et elle a été assez bien acceptée par tous les partis politiques. On saura si le gouvernement Trudeau respecte son engagement de transparence une fois la nomination annoncée. Mais comme c’est le premier ministre qui aura le dernier mot, il y aura forcément une part de subjectivité », glisse M. Normand.
Parmi les candidats évoqués, plusieurs sont considérés comme proches du PLC ou du parti libéral de leur province, comme M. LeBlanc, ou les anciens ministres provinciaux libéraux, M. Pelletier et Mme Meilleur.