Affaire Don Cherry : « Des propos contre les francophones, ça ne serait pas passé non plus »

Don Cherry, à gauche de l'écran. Source: Capture écran Sportsnet

OTTAWA – Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour que les multiples dérapages de l’analyste vedette de hockey, Don Cherry, conduisent à son congédiement? C’est la question que se posent bien des francophones.

Les propos de Don Cherry sur les immigrants, ce samedi, ont été la controverse de trop. Après avoir officié pendant presque 40 ans, l’analyste vedette de hockey s’est fait montrer la porte pour des « propos divisifs qui ne représentent pas nos valeurs », a souligné son employeur, Sportsnet. Mais plusieurs y ont vu un deux poids deux mesures.

« CBC avait donné un permis de francophobie à Don Cherry, mais celui-ci a oublié qu’au Canada, seuls les francophones constituent une minorité qu’on peut dénigrer à volonté », résume Alain Noël, politologue à l’Université de Montréal, dans un gazouillis.

Car M. Cherry est un habitué des controverses. Dans le quotidien La Presse, ce mardi, l’éditorialiste Paul Journet rappelle les nombreux dérapages de l’ancien joueur et entraîneur de hockey en ondes.

Pour M. Cherry, les femmes « ne devraient pas travailler comme journaliste dans les vestiaires » et « babillent durant les parties au lieu de suivre l’action, tellement que ce sont systématiquement elles qui sont frappées au visage par les rondelles perdues ». Les francophones? « Trop peureux pour jouer sans visière », « responsables de l’essentiel des problèmes de drogue au hockey mineur » alors que « contrairement aux gens de Sault-Sainte-Marie, ils ne parlent pas la « bonne langue » du Canada ».

L’analyste s’était également distingué pour ses propos climatosceptiques et pour avoir reproché aux Européens de « voler les places des jeunes Canadiens dans le hockey mineur » et d’être « nuisibles dans la Ligue nationale de hockey ». Il s’était également prononcé contre la fin des mises en échec au niveau pee-wee, bien que cette décision vise à protéger leur cerveau.

Nouvelle dynamique

Spécialiste de la psychologue du sport, le professeur à l’École de service social de l’Université d’Ottawa, Nicolas Moreau réfute pourtant l’idée d’un deux poids, deux mesures.

« Je trouve ça triste d’opposer un groupe discriminé comme les francophones hors Québec à un autre groupe discriminé comme les immigrants. Je pense que si les propos de M. Cherry, samedi soir, avaient visé les francophones, ça ne serait pas passé non plus. »

Car pour M. Moreau, le contexte social a changé.

« Ce n’est pas le premier fait d’armes de M. Cherry, mais aujourd’hui, avec l’ère des réseaux sociaux, la pression est beaucoup plus forte et ce type de commentaires ne passent plus. De même, dans l’arène politique, ce genre de discours d’homme blanc âgé contre les minorités n’est plus accepté. Le contexte social a changé et le sport n’y échappe pas. Il est le reflet de la société. »  

M. Moreau en veut pour exemple d’autres cas similaires à travers le monde, notamment au Brésil et en France où des commentateurs avaient tenu des propos déplacés dans l’affaire du joueur de soccer Neymar, visé par une plainte pour viol avant que celle-ci ne soit classée.

« C’est un geste fort de mettre une icône comme Don Cherry à la porte, mais je pense aussi que ça permet à Sportsnet de se faire du capital social là-dessus. Ils ne prennent pas trop de risque alors qu’il devait être à trois ou quatre ans de la retraite. »

CBC et Sportsnet muets

Reste qu’il est pour beaucoup dérangeant que de tels propos aient pu être tolérés aussi longtemps, notamment par un diffuseur public. Car jusqu’en 2014, la soirée du hockey et le segment Coach’s Corner de Don Cherry étaient produits par CBC, avant que Sportsnet ne prenne le relais.

Joint par ONFR+, un porte-parole de CBC a éludé la question dans un échange de courriels.

« Toutes les décisions qui ont été prises à propos de Don Cherry quand CBC détenait les droits de la Ligue nationale de hockey ont été prises, à ce moment-là, au cas par cas. Comme aucune personne qui était impliquée dans ces décisions n’ait encore à l’emploi de CBC, il serait injuste pour nous de parler en leurs noms. »

Le professeur de l’Université d’Ottawa se montre critique envers CBC, mais tente une explication.

« CBC tirait parti de ses commentaires, mais il y avait aussi un mécanisme inconscient, comme on le décrit en sociologie, d’acceptation de ces discours-là. Le public lui-même avait assimilé ces propos, ça faisait partie de l’inconscient collectif, mais les choses ont beaucoup changé ces dernières années. »  

Toujours est-il que Don Cherry n’a, quant à lui, pas changé. En entrevue avec la radio torontoise Newstalk 1010, hier, il n’a pas exprimé le moindre regret quant à ses propos.

Sportsnet a décliné la demande d’entrevue d’ONFR+, nous renvoyant à son communiqué de lundi dans lequel le réseau se dissociait des récents propos de Don Cherry tout en leur remerciant pour son travail.