Constitution canadienne : le français toujours inférieur à l’anglais
OTTAWA – Faire d’Ottawa ou de l’Ontario des ville et province bilingues… Les projets ambitieux ne manquent pas pour 2017. Mais à l’orée du 150e anniversaire du Canada, ne faudrait-il pas aussi régler une anomalie qui date depuis 1867? C’est en tout cas l’avis des participants à la journée d’études organisée à l’Université d’Ottawa, vendredi 6 novembre : « Une Constitution officiellement bilingue pour le Canada en 2017? »
Beaucoup l’ignorent, mais la Constitution canadienne, acte fondateur du pays, ne représente pas la dualité linguistique de celui-ci.
« C’est l’un des secrets les mieux gardés de l’univers constitutionnel », plaisante Alain François Bisson, de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
Deux versions françaises existent, une de 1867 et une de 1982, mais aucune n’a été officiellement adoptée, si bien que la Constitution canadienne en anglais continue de prédominer devant les tribunaux.
« Il est quand même étonnant qu’en vertu de la Loi sur les langues officielles, nos lois doivent être bilingues quand la Constitution de notre pays elle-même ne l’est pas », s’est questionné le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser.
Si certaines parties de la Constitution existent dans les deux langues, d’autres ne sont toujours pas disponibles, explique le spécialiste du droit constitutionnel, Sébastien Grammond.
« Des parties importantes de la Constitution canadienne ont été adoptées au Royaume-Uni et donc, seule la version anglaise est officielle. C’est inacceptable sur le plan des principes, mais aussi de l’égalité et de la justice entre les deux communautés de langues officielles! »
En 1999, une plainte a été déposée auprès de la Commissaire aux langues officielles de l’époque, Dyane Adam, par le militant souverainiste, Gilles Rhéaume. Celle-ci avait finalement été déclarée « non fondée » par le commissariat.
Un geste symbolique
Pourtant, l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 est formel : « le ministre de la Justice du Canada est chargé de rédiger, dans les meilleurs délais, la version française des parties de la Constitution du Canada qui figurent à l’annexe [de cette loi] ».
Un comité de rédaction constitutionnelle française avait même été formé et un rapport remis au Parlement en décembre 1990. Mais depuis, le dossier n’a pas avancé.
« C’est un travail inachevé et il convient de boucler la boucle », pense l’avocat, Mark Power.
En 1982, l’occasion était belle d’achever ce projet, a rappelé le Sénateur, Serge Joyal.
« Je dois l’avouer, nous avons fait une erreur en n’adoptant pas tout de suite la version que nous avions déjà. Nous avons pêché par optimisme. »
La perspective du 150e anniversaire du Canada, en 2017, ouvre une fenêtre intéressante pour corriger ce que d’aucuns considèrent comme « une anomalie ».
« Pour 2017, le gouvernement fédéral doit avoir le courage de poser deux gestes importants : une constitution bilingue et une capitale du Canada officiellement bilingue! Le moment est propice! », a lancé le Sénateur Joyal.
Réticence politique
Pour y parvenir, il faudra faire reconnaître la version française par la Chambre des communes, le Sénat mais aussi des dix provinces à l’unanimité. Un exercice périlleux auquel aucun politicien ne souhaite s’attaquer.
Invitée pour de la journée d’études, la Procureure générale de l’Ontario, Madeleine Meilleur, a d’ailleurs préféré rester prudente quant au rôle que pourrait jouer sa province dans le dossier.
« C’est un enjeu qui est intéressant et qui m’interpelle, mais quand on parle d’ouvrir la Constitution pour inclure le bilinguisme, on sait que toutes les provinces et territoires auraient d’autres sujets à apporter à la table. Je ne sais pas si quelqu’un aura le courage de rouvrir la Constitution, car les derniers débats ont laissé des cicatrices… Ce n’est pas de mon ressort, mais de celui de la première ministre qui est aussi responsable des affaires intergouvernementales. »
Mme Meilleur a toutefois indiqué aux participants qu’elle aborderait ce point avec Kathleen Wynne. Mais sa réponse a déçu l’avocat M. Power, partisan d’une Constitution bilingue.
« Je comprends que Mme Meilleur ait d’autres priorités, mais je ne suis pas d’accord quand elle sous-entend que ce n’est pas un enjeu important. C’est un dossier qui pourrait être rapidement réglé et l’Ontario pourrait avoir un rôle de chef de file », suggère l’avocat Mark Power.
Pour les intervenants, la solution semble moins compliquée qu’il n’y paraît.
« Il ne s’agit pas de modifier la Constitution, mais juste de lui ajouter une version française officielle », précise le professeur de la Faculté de droit et de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme, Pierre Foucher.
« Cela va prendre une volonté politique. Il y a une réticence initiale, mais si on explique aux politiciens qu’il ne s’agit pas d’une question controversée, je pense que la porte est davantage ouverte. L’important est d’éviter une réouverture de la Constitution où chacun arrive avec ses demandes », pense M. Grammond
Reste un point sur lequel il faudra trancher : la version historique de 1867 de l’avocat Eugène-Philippe Dorion ou celle du comité de 1982.