Continuer à bâtir un pilier francophone : la vision de la nouvelle direction du CSCE
[LA RENCONTRE D’ONFR]
Lyne Martineau, la nouvelle directrice générale du Centre de santé communautaire de l’Estrie (CSCE), qui entrera en fonction le 15 décembre, veut renforcer l’accès aux soins en français dans l’Est ontarien et maintenir le CSCE comme pilier francophone dans un territoire rural en pleine évolution.
Vous êtes depuis 20 ans au Centre de santé communautaire de l’Estrie. Que représente cette nomination pour vous sur le plan personnel et professionnel?
Pour moi, c’est vraiment un honneur. Je suis restée ici pendant 20 ans parce que le Centre de santé communautaire de l’Estrie est une organisation où il fait bon travailler. Ce qui me garde ici aussi, c’est la possibilité de travailler en français et de contribuer à améliorer la situation des francophones dans l’Est ontarien.
Parce qu’il ne faut pas perdre de vue la « carte francophone » de notre organisation. On ne voudrait surtout pas, par exemple, devenir un organisme bilingue et perdre la culture francophone qui fait partie de notre identité.
Aussi quand on prend un rôle de leadership et qu’on sent qu’on a une équipe de gestion forte et qu’on croit toujours à la mission de l’organisation, c’est rassurant. Ça donne envie d’aller de l’avant.
Quels seront vos dossiers prioritaires dès votre entrée en fonction, le 15 décembre?
J’ai commencé justement à réfléchir plus profondément à mes priorités.
D’abord, c’est certain que je vais rencontrer nos partenaires, surtout ceux du milieu francophone, mais aussi les autres, pour voir comment on va continuer à travailler ensemble et quels projets futurs on peut développer pour soutenir la croissance.
Le gouvernement provincial annonce que tous les Ontariens doivent avoir accès à des soins primaires en 2029. Dans ce contexte, mon objectif est de pouvoir offrir, dans l’ensemble de Prescott-Russell et de Stormont, Dundas et Glengarry, l’option de venir chez nous pour tous ceux qui veulent recevoir un soin primaire en français.
Puis, il y a tout l’enjeu de rester un pilier francophone de l’Est ontarien. Pour ce faire, il va falloir continuer de faire du lobbying, notamment avec Santé Ontario, avec l’AFO, avec l’Hôpital Montfort, pour que les services en français demeurent importants aux yeux de nos bailleurs de fonds.
Ça aussi, ce n’est jamais acquis. On n’a jamais fini de travailler là-dessus.
Vous œuvrez dans un vaste territoire rural et francophone. Est-ce qu’il y a des défis particuliers pour offrir des services de santé en français?
Du côté de Prescott-Russell, c’est une communauté qui change. Il y a beaucoup de gens qui travaillent à Ottawa mais qui se déplacent vers le rural, notamment à cause du coût de la vie.
Un autre changement très important pour la communauté francophone, c’est l’arrivée d’immigrants francophones en milieu rural, ce qu’on voyait beaucoup moins avant.
On a maintenant des communautés comme Cornwall et Hawkesbury, qui sont devenues des milieux accueillants pour les immigrants francophones.
Il faut s’assurer que nos services répondent aux besoins de cette clientèle-là, à leurs besoins spécifiques. L’immigration francophone est essentielle à la survie du français en Ontario.
Un autre défi important, c’est le déplacement. Pour accéder à la plupart des services autres que les soins primaires, il faut rouler longtemps ou sortir du territoire, ce qui augmente la vulnérabilité de la clientèle en milieu rural.
Il y a aussi des régions où la population est plus vieillissante qu’ailleurs en Ontario. Hawkesbury, par exemple, en est un bon exemple. Il faut tenir compte de ces enjeux dans l’offre de services.

L’accès aux soins primaires est un enjeu majeur en Ontario. Comment le Centre peut-il contribuer à atténuer cette pression?
Dans son annonce, Santé Ontario offre des fonds supplémentaires pour augmenter les ressources humaines en soins primaires. On a donc soumis des demandes.
Tout récemment, on vient d’en déposer une, le 14 novembre, pour obtenir d’autres ressources : des médecins, des infirmières praticiennes. Il faut augmenter leur nombre dans la région de Prescott-Russell et dans la région de Stormont, Dundas et Glengarry.
Et quand on fait ces demandes-là, on s’engage toujours à offrir des services en français.
On va continuer de faire des demandes, avec l’espoir réel d’augmenter notre capacité d’accueil pour la communauté francophone.
Y a-t-il des valeurs que vous souhaitez insuffler à l’organisation?
Une valeur importante, et je ne dis pas qu’on ne l’a pas déjà, c’est la performance. On a des comptes à rendre à notre bailleur de fonds, mais aussi à la communauté.
Il y a aussi l’accès. Quand les gens appellent et veulent un rendez-vous, il faut être accessible.
Puis il y a la compassion. Notre rôle, c’est de travailler avec des gens vulnérables. Il faut garder cette valeur-là, il ne faut pas la perdre.
Vous avez grandi à Hawkesbury et travaillé toute votre vie dans le milieu francophone. En quoi vos racines influencent-elles votre façon de servir la communauté aujourd’hui?
Je pense que quand on grandit comme francophone en milieu minoritaire, on comprend rapidement les enjeux, les difficultés d’accès, les désavantages de se retrouver parfois dans un milieu seulement anglophone, surtout en santé. On se rend vite compte que, quand on souffre de douleurs ou qu’on est très malade, notre bilinguisme disparaît un peu.
J’ai toujours grandi avec l’importance du français à la maison. J’ai fait mes études postsecondaires en français. Mes enfants sont francophones, on parle français à la maison. C’est une valeur profondément ancrée.
Je vois ainsi à quel point on peut facilement perdre les droits de la francophonie, acquis au fil des années, si on néglige les services en français, si on ne lit pas en français, si on ne demande pas des services en français.

Vous avez fait des études en travail social et en psychologie. Qu’est-ce que ces disciplines apportent à votre manière de diriger l’organisation?
Quand on s’intéresse à la psychologie et au travail social, on développe une capacité d’empathie, une capacité de compassion.
J’ai aussi été beaucoup influencée par certains professeurs à l’université, qui nous poussaient à réfléchir à l’équité, à l’importance que tout le monde ait accès aux mêmes services, peu importe ton orientation sexuelle, ta langue, ta culture. Ça a beaucoup façonné ma vision de la vie. Ça a même changé des préjugés que je pouvais avoir plus jeune.
On nous demandait aussi de faire des analyses en profondeur : ne pas prendre des décisions seulement sur la base de l’information brute, mais de comprendre le contexte, les causes, ce qui se passe vraiment. Cette capacité d’analyse me sert encore aujourd’hui dans mes décisions de gestion.
Et pour ce qui est des clients, qu’aimeriez-vous leur dire?
Ce que je voudrais, c’est que les gens connaissent assez notre centre pour penser à nous quand ils ont un besoin en santé.
Je veux qu’ils aient la confiance de nous appeler, de venir vers nous. On pourra soit les accueillir dans nos services, soit les rediriger vers le meilleur service pour leurs besoins. Nous avons aussi beaucoup de services qui s’adressent à l’ensemble de la communauté : nutrition, programmes d’éducation sur le diabète, santé pulmonaire, cessation tabagique, santé mentale, etc.
Dans un secteur aussi exigeant que la santé, comment prenez-vous soin de votre propre bien-être pour continuer à prendre soin des autres?
C’est quelque chose dont je parle souvent. Comme direction adjointe, j’étais responsable des ressources humaines, donc j’ai souvent initié des employés à l’importance de prendre soin de soi.
Quand on travaille avec une clientèle vulnérable tous les jours, surtout pour ceux qui sont « sur le plancher », c’est très difficile de ne pas s’oublier.
Pour moi, ce qui m’aide, c’est le plein air, la méditation, le temps en famille. Ce sont des choses qui me permettent de garder les pieds sur terre, justement, parce que ça va vite. Il y a toujours beaucoup de travail, beaucoup de choses qui se passent. C’est vraiment important de prendre du temps pour soi.
La culture au Centre est aussi très axée sur l’équilibre travail-famille. Je veux continuer dans ce sens-là, parce que c’est ce qui permet aux gens de rester en milieu communautaire, où notre mandat est de travailler avec une clientèle vulnérable, autant en santé publique qu’en santé mentale.
Vous êtes maintenant un leader. Y a-t-il un moment ou un défi qui a façonné la leader que vous êtes aujourd’hui?
La pandémie a certainement joué un rôle. Elle nous a imposé, du jour au lendemain, d’organiser les choses très rapidement, de rassurer les équipes. Parce que si l’équipe te voit paniquer, elle va paniquer aussi.
Même si, intérieurement, on se disait parfois : « Mon Dieu, qu’est-ce qui va arriver? Ça va durer combien de temps? », il ne fallait pas transmettre ça. Il fallait encourager les troupes, être présent pour les gens, écouter, parfois aider à sécher des larmes, parce qu’il y a eu des moments où des employés étaient à bout.
Ça a testé des aspects de ma personnalité que je connaissais moins. J’ai pris beaucoup de choses en charge à ce moment-là, et j’ai affronté la réalité.
Par ailleurs, j’ai aussi été marquée par diverses personnes avec qui j’ai travaillé : des collègues gestionnaires, la direction générale actuelle, certains employés qui ont marqué mon parcours.
Je ne veux pas nommer une seule personne, mais c’est sûr que Marc Bisson a été un mentor important, par son calme, sa capacité à rassurer, sa confiance envers nous. Le fait de nous laisser aller avec des innovations, de nous faire confiance, m’a donné une grande liberté pour essayer, tester, développer une plus grande confiance en moi comme leader.
Et il y a plein d’autres employés, à tous les niveaux, médecins, infirmières, secrétaires, qui ont fait en sorte que venir au travail est agréable. J’ai rencontré beaucoup de gens, à tous les étages de l’organisation, qui ont marqué mon quotidien professionnel.
LES DATES CLÉS DE LYNE MARTNEAU
1995 : Maîtrise en travail social de l’Université d’Ottawa
1996 : Entrée dans le milieu communautaire francophone, où elle occupe divers rôles d’intervention et de gestion
2006 : Arrivée au Centre de santé communautaire de l’Estrie en tant que gestionnaire des sites de Crysler, Bourget et Embrun
2022 : Directrice générale adjointe du CSCE.