Le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, à gauche, participe à la session d'ouverture du Sommet sur le climat de l'ONU COP28, à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Crédit image : AP/Peter Dejong

Basé à Toronto, Yannick Beaudoin est directeur du changement climatique et des solutions positives pour la nature chez Alinea International. Ce géologue et économiste travaille avec des gouvernements, des industries et des universités dans plus de 80 pays afin de concevoir des approches visant à accroître le bien-être humain tout en préservant la nature.

La 28ᵉ Conférence des Parties (COP28) se déroule à Dubaï avec pour président émirati Sultan Al Jaber. Alors que le bilan climatique des Émirats arabes unis, pays hôte, est vivement critiqué et que Sultan Al Jaber est aussi le patron de la compagnie pétrolière nationale Adnoc, la question se pose : les COP sur les changements climatiques sont-elles vraiment utiles?

Adopté lors de la COP21, l’Accord de Paris oblige les nations à limiter l’accroissement de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Le Canada avait annoncé réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030.

« Au premier jour de la COP28, le Canada a annoncé une aide financière de 16 millions de dollars aux pays en développement pour faire face aux pertes et aux dommages causés par les changements climatiques. Ce fonds mondial provisoire, de quatre ans, devrait offrir 100 milliards de dollars d’aide annuelle à ces pays. Est-ce réellement faisable?

Il y a plus de dix ans, j’étais à la COP à Copenhague et on parlait déjà des contours du futur fonds sur les «  pertes et dommages  » climatiques des pays vulnérables. Là, ils ont 400 millions de dollars, mais ce n’est qu’un montant par année et c’est dommage pour les pays en développement. Il y a beaucoup d’analyses qui ont été faites et c’est insuffisant. Ce qui va être intéressant, c’est le Fonds vert pour le climat et le Fonds pour l’environnement mondial, parce que les critères pour accéder à ces fonds sont incroyablement compliqués. Ce qu’on impose au monde en développement rend quasiment les fonds inaccessibles.

Ce sont des critères essentiellement faits pour enlever tout risque aux pays donateurs. Et dans cinq ans, ils reprendront leur argent, donc ce n’est pas vraiment fait de bonne foi. Par contre, il serait intéressant d’avoir un fonds, qui serait un pourcentage des revenus annuels de toutes les compagnies pétrolières au monde.

On est un peu fatigué des COP, il n’y a rien structurellement qui change. C’est rendu un festival, ce n’est plus vraiment un centre de changement.

Depuis quelques années, il y a une perte d’ambition de la part de certains pays, notamment avec les États-Unis et l’Australie. Le Canada est-il un partenaire sérieux aujourd’hui dans cette COP 28? 

On achète des piplines donc… Je ne voudrais jamais être politicien. Ils sont dans des paradoxes constants. On a des attentes que nos systèmes politiques produisent de grands changements. Même l’ONU et tous ces systèmes-là ont été créés pour ne pas changer les choses trop vite. L’idée, c’était qu’après la Deuxième Guerre mondiale, il ne faille pas refaire les erreurs du passé. Il ne faut pas trop changer trop vite, il faut avoir le statu quo, un consensus.

Donc, on est pris maintenant avec une grosse crise, le changement climatique, la biodiversité, l’équité sociale, la disparité, l’injustice, le colonialisme et tout en même temps. On est dans des systèmes politiques qui n’ont jamais été établis pour répondre à ces crises de manière très rapide. La COVID-19 a été une exception assez intéressante.

Le problème, c’est que les scientifiques dans le domaine du climat pensent que l’erreur est technique. Si on pouvait juste avoir la bonne solution technologique, cela rentrerait dans l’ordre. Mais le problème n’est pas technique. Ce sont des dynamiques de pouvoir, des dynamiques émotionnelles. Nous n’avons plus d’excuses, car la technologie est disponible. C’est l’humain qui décide de maintenir les énergies fossiles. 

Comment faire pour que le secteur gazier et pétrolier se plie aux règles si c’est possible?

Tout est possible. Il y a déjà un mouvement international sur l’élimination du pétrole et du gaz. Après, on entend qu’il va y avoir des pertes d’emploi, mais dans le secteur pétrolier, on est déjà automatisé. Donc, ce n’était pas un secteur qui créait de l’emploi. Les secteurs matures économiques ne veulent pas créer de l’emploi.

Yannick Beaudoin, expert en changement climatique et spécialiste en transformation systémique. Gracieuseté

Si on prend les travailleurs dans le domaine pétrolier au Canada pour qu’ils fassent des éoliennes, des batteries solaires, honnêtement, je crois que ces gens-là, tout ce qu’ils veulent, c’est un job qui paye bien avec de la sécurité d’emploi, puis des bénéfices. Ils s’en foutent si c’est du pétrole ou non. Des solutions existent. Encore une fois, ce qui empêche le tout, c’est quelques personnes qui ont beaucoup de pouvoir et beaucoup d’argent, qui vendent du pétrole et sont maintenant à la tête de la COP, comme Sultan Al Jaber.

Le thème de cette COP28 est la fin des énergies fossiles. Quel message cela envoie, d’avoir une personne controversée telle que Sultan Al Jaber, président de cette conférence? 

L’acronyme en anglais, c’est : «  Conference of the parties  » et là, c’est plutôt : «  Conference of the oil parties  ». Ça fait 30 ans qu’on force les gouvernements à faire des déclarations à chaque COP. Une déclaration, ce n’est rien. Donc lui, il n’a aucun risque pour lui d’être là. Il avance un peu la politique internationale des Émirats.

Al Jaber fait beaucoup d’investissements dans les énergies renouvelables, les villes vertes et tout ça. C’est bien, je ne veux pas complètement dire que c’est du greenwashing. Mais, je pense que cela pointe vers un problème : le processus des COP. Au tout début, ce combat contre les gaz à effet de serre avec le protocole de Kyoto avait du sens. Maintenant, nous faisons un 360 degrés en disant : «  Ce sont les leaders du domaine pétrolier qui vont pouvoir changer le monde.  » 

C’est une indication que probablement, nous devrions arrêter d’avoir des COP. Imaginez si aucune organisation de la société civile ne se déplace à la COP, accompagné des pays en développement qui n’ont eu aucun bénéfice à ce jour. Le symbole serait incroyable.

Depuis la COP21, à Paris, les nations doivent limiter l’accroissement de la température moyenne mondiale à un niveau bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Il y a un débat quant à cette faisabilité. Êtes-vous optimiste ou pessimiste sur cette question?

C’est une question délicate. Depuis les dernières années, je travaille beaucoup avec des communautés autochtones et eux ont une approche long terme. Je suis optimisme, mais pour la septième, la huitième et la neuvième génération. Si on arrêtait tout demain, on aurait besoin de 10 000 ou 15 000 années avant de voir l’équilibre. Nous sommes loin d’un extinction level event, mais on n’a pas encore appris à évoluer comme civilisation humaine. 

Pour la première fois, on a une crise globale environnementale. Le changement climatique, c’est vraiment quelque chose de nouveau dans l’histoire humaine, alors je crois que nous sommes un peu trop immatures.

Je me pose donc cette question : «  Que peut-on faire pour aider la septième et la huitième génération ?  » 

Le Canada disait vouloir réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d’ici à 2030. Sommes-nous sur la bonne voie? 

Une chose sur laquelle je suis optimiste à court terme, c’est que je pense qu’on a gagné la guerre avec l’électricité. Même nos chers Albertains en ce moment ne vont plus construire des centrales à pétrole ou à gaz naturel. Le problème pour le Canada, c’est que nos écosystèmes, comme la forêt Boréale, est probablement maintenant émettrice de gaz à effet de serre. Ce n’est pas uniquement la faute du Canada, c’est un effet du changement climatique. Je ne sais pas si cela est calculé dans la réduction. 

Je pense qu’il y a un effort. Mais le système pétrolier va juste calculer les émissions basées sur la production et non la consommation. C’est compliqué de répondre à la question. Je ne crois pas qu’on puisse au niveau macroéconomique et dans tous les secteurs y arriver, mais dans l’électricité, oui, je pense qu’on est très proche de l’avoir.  »