Couvent de la maison-mère des Filles de la Sagesse du Canada, situé dans le quartier Vanier de la ville d'Ottawa. Le bâtiment se trouve sur le registre du patrimoine de la municipalité. Crédit photo : Diego Elizondo

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

Le compte à rebours est déjà bien entamé. En Ontario, les municipalités ont jusqu’à la fin de l’année pour faire désigner des bâtiments en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. Après quoi, un moratoire de cinq ans empêchera les villes de désigner patrimonialement des bâtiments en vertu de la loi. Des changements imposés par le gouvernement provincial qui met de la pression sur les municipalités et sur les défenseurs du patrimoine.

La pression se fait sentir depuis l’adoption par le gouvernement de l’Ontario en 2022 du projet de loi 23, connu sous le nom de Loi visant à accélérer la construction de plus de logements, qui a pour effet corollaire d’altérer des protections prévues par la Loi sur le patrimoine de la province.

La loi 23 (une loi omnibus qui vise à pallier la pénurie de logements) donne aussi un ultimatum aux municipalités pour déterminer si les propriétés patrimoniales non désignées sur leurs registres devraient recevoir une désignation.

Deux types de bâtiments patrimoniaux se trouvent dans la partie IV de sa Loi sur le patrimoine. Dans un premier cas, les bâtiments désignés en bonne et due forme, lesquels ne peuvent pas être démolis (à moins d’une révocation par le conseil municipal de la désignation, ce qui est rare, mais qui s’est déjà produit).

Dans le second cas, des bâtiments se trouvent sur le registre des biens patrimoniaux municipal. Ce registre est une liste de bâtiments qui sont partiellement protégés. À la réception d’une demande de démolition, un moratoire de 90 jours est décrété pendant lequel la municipalité évalue si elle accorde un permis de démolition ou si elle procède à la désignation patrimoniale du bâtiment.

Ainsi, les bâtiments sur le registre du patrimoine bénéficient d’une période de grâce temporaire et sont donc partiellement protégés par la loi.

Avant le changement législatif survenu en 2022, un bâtiment pouvait rester sur le registre aussi longtemps que nécessaire. Il n’y avait aucune date de prescription. Certains bâtiments se trouvent sur les registres patrimoniaux municipaux avant les fusions municipales des années 1990 et début 2000. C’est le cas de plusieurs bâtiments de l’actuelle ville d’Ottawa, qui ont été ajoutés aux registres par des municipalités qui n’existent plus, donc depuis plus de 25 ans.

L’église St-François-d’Assise, située dans le quartier Hintonburg de la ville d’Ottawa. Le bâtiment se trouve sur le registre du patrimoine de la municipalité. Crédit photo : Wikipedia.

Cependant, les changements de la loi omnibus font en sorte que tous les bâtiments se trouvant encore sur les registres par le 1er janvier 2025 seront retirés. Suivront cinq années où ils devront attendre avant d’y retourner. Il sera aussi devenu plus difficile dans cinq ans qu’un bâtiment se retourne sur les registres patrimoniaux municipaux.

Prioriser et être stratégique

884 bâtiments à Windsor, 4000 à Toronto et 4600 à Ottawa : la capitale canadienne est la municipalité ontarienne qui compte le plus grand nombre de bâtiments sur son registre municipal du patrimoine.

La Ville d’Ottawa, qui avait procédé à un inventaire exhaustif entre 2016 et 2019 en ajoutant des centaines de bâtiments sur sa liste se trouve maintenant à devoir prioriser ceux qu’elle voudrait faire désigner dans les prochains mois.

Devant cette tâche colossale, la ville a procédé à l’embauche de trois nouveaux spécialistes du patrimoine bâti afin de classer et hiérarchiser en ordre de priorité les bâtiments les plus importants et les plus menacés.

Elle s’appuiera également sur l’apport des connaissances des défenseurs du patrimoine, lesquels sont pour la plupart des citoyens bénévoles engagés.

Alors que d’habitude un ou deux cas de désignation étaient étudiés par réunion, le comité du patrimoine bâti de la ville d’Ottawa a adopté à sa réunion du 16 janvier dernier des résolutions pour accorder une désignation patrimoniale à cinq bâtiments distincts issus de son registre.

Les choix du comité ont ensuite été entérinés par le conseil municipal cette semaine.

C’est donc une moyenne plus élevée qu’à l’habitude pour le comité, mais il n’en demeure pas moins que ce ne sont que cinq bâtiments sur un total de… 4600!

Ne pas oublier le patrimoine franco-ontarien

Il est certain que tous les bâtiments se trouvant actuellement sur les registres municipaux du patrimoine ne pourront pas être désignés d’ici la fin de l’année. En raison de la contrainte de temps, des choix difficiles devront être faits.

Le réel danger dans cette course effrénée contre la montre c’est que le patrimoine bâti franco-ontarien soit oublié.

Pourtant, ne serait-ce qu’à Ottawa, plusieurs dizaines de bâtiments à caractères patrimoniaux se retrouvent sur le registre du patrimoine.

Depuis plusieurs mois, le Comité du patrimoine bâti et religieux du Réseau du patrimoine franco-ontarien avait jugé prioritaire de déposer au moins sept demandes de désignations patrimoniales à Ottawa pour protéger des bâtiments qui sont liés à l’histoire institutionnelle franco-ontarienne.

L’ancienne école St-Conrad (construite au début du XXe siècle et qui fut une des écoles où a eu lieu la résistance contre le Règlement 17); la maison de pierre calcaire sur le terrain de l’Hôpital Montfort (un des derniers exemples d’une maison pionnière du XIXe siècle de style champêtre dans ce secteur de la ville); l’ancien couvent des Sœurs du Sacré-Cœur (dont la plus ancienne partie remonte à 1902 et qui est déserté depuis 2016); le couvent de la congrégation des Filles de Sagesse à Vanier (maison-mère canadienne de la congrégation et dont la plus ancienne partie de l’immeuble remonte à 1909); l’église St-François-d’Assise (un rare et magnifique exemple d’architecture religieuse éclectique en Ontario français); l’ancien Couvent Mont-Saint-Joseph (un très bel exemple d’architecture institutionnelle moderne franco-ontarien des années 1960 et dont la première vocation fut d’être une école secondaire privée catholique francophone pour filles); et le collège Dominicain (collège catholique postsecondaire bilingue).

L’ancien couvent Mont-Saint-Joseph, situé dans le quartier Rockcliffe Park de la ville d’Ottawa. Le bâtiment se trouve sur le registre du patrimoine de la municipalité.

À la veille du début des festivités du Mois du patrimoine en Ontario français, il ne faudra pas perdre de vue qu’à pareille date l’année prochaine il sera devenu trop tard pour désigner des bâtiments patrimoniaux de la communauté. S’il y a des bâtiments dont nous voulons nous assurer à tout prix qu’ils soient protégés pour les générations à venir, c’est cette année que ça se passe et il nous reste moins d’un an pour le faire. Sans quoi, il faudra attendre cinq années avant de pouvoir agir à nouveau.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et du Groupe Média TFO.