
Cri et francophone, Robert-Falcon Ouellette marque l’histoire

[LA RENCONTRE D’ONFR]
Cri d’origine et francophone d’adoption, Robert-Falcon Ouellette endosse tour à tour les rôles de militaire, anthropologue, professeur d’université à Ottawa et au Manitoba, et député fédéral. Une trajectoire hors norme guidée par un engagement constant en faveur des droits autochtones. De l’éthique militaire à l’éducation, ses recherches croisent les mondes de l’armée, de l’université et de la politique. Polyglotte et militant, il a notamment marqué l’histoire parlementaire en faisant avancer la reconnaissance des langues autochtones à Ottawa. Portrait d’un homme qui déjoue les étiquettes et trace sa propre voie.
« Vous êtes issu d’une nation crie de Saskatchewan et vous parlez français. Parlez-nous de vos origines…
Ma mère anglaise était une nouvelle arrivante au Canada, et mon père autochtone, vient de la nation crie Red Pheasant de Saskatchewan. Mes parents sont tombés fous amoureux et se sont mariés. Ils ont ensuite déménagé de Vancouver pour arriver dans les plaines en Alberta. Mon père s’était lancé dans des études de droit, mais du fait d’un passé extrêmement difficile marqué par un pensionnat autochtone, il est tombé dans l’alcool et a fini par partir. En situation de grande pauvreté, ma mère a été épaulée par ma grand-mère venue d’Angleterre à Calgary. J’étais alors âgé d’un an et mon frère, nouveau-né.
À quoi a ressemblé votre enfance et dans quelle culture avez-vous le plus baigné?
Depuis tout jeune, je fabrique des objets comme des raquettes à neige dont je me servais pour livrer les journaux. Un de mes professeurs m’avait donné un ouvrage que j’ai lu des centaines de fois, adolescent et même maintenant, Medicine Boy and Other Cree Tales d’Eleanor Dieter Brass, qui m’a beaucoup appris.
J’avais ma vie anglo-saxonne et j’avais ma vie autochtone. Ma mère, bien que britannique, ne m’a jamais coupé de l’autre partie de ma culture. Elle nous encourageait à aller à des événements autochtones et me laissait avec mon père dans sa communauté. Nous avons même vécu un été avec un oncle à moi qui était artiste traditionnel.
Ma vie de tous les jours est empreinte de la culture autochtone. J’ai deux tipis dans mon jardin et des tambours dans la maison. Après le décès de mon père, j’ai été adopté par un oncle autochtone de la communauté saskatchewanaise Crie.
J’ai engrangé beaucoup de connaissances sur les cultures et traditions autochtones.
Quel est votre rapport aux langues, le français et la langue crie?
Mes langues maternelles sont l’anglais et le cri.
Mais à l’âge de 22 ans quand j’ai rejoint l’armée canadienne, j’ai été muté dans la Ville de Québec où j’ai vécu pendant 13 ans. J’ai appris le français et la culture francophone. Au-delà de l’immersion, ça a été une assimilation. J’avais presque perdu l’usage de l’anglais!
Ça m’a permis d’apprendre que les francophones ne pensent pas de la même manière que les anglophones de l’Alberta ou de l’Ontario par exemple. Une autre façon de vivre avec un langage différent qui façonne notre vision du monde. C’est pareil avec les langues autochtones.
Bien que je n’aie pas grandi en français, mes enfants vont dans les écoles francophones, pas en immersion. Ils parlent très bien français, c’est très important pour moi.
Je parle aussi mandarin depuis sept ans.
Parlez-nous de votre parcours universitaire jusqu’à enseigner et à faire de la recherche…
Pendant mes premières années dans l’armée, j’ai obtenu mon baccalauréat puis ma maitrise en musique ainsi qu’une maitrise en éducation à l’Université Laval de Québec, tout en restant dans l’armée.
J’ai ensuite pu être chercheur pour le Conseil en éducation des Premières Nations, toujours dans la Ville de Québec. Une immersion totale dans le domaine de l’éducation autochtone, avec le sentiment d’avoir trouvé ma place.

À ce stade j’avais mes deux enfants en bas âge et me suis plus tard lancé dans un doctorat en anthropologie, réalisé en trois ans au lieu de sept, tout en étant commandant de compagnie pour l’armée.
En 2010, j’ai pris un un poste à Winnipeg en tant que directeur des programmes autochtones de l’Université du Manitoba. En 2019, après mon mandat de député, j’ai été recruté par l’Université d’Ottawa pour enseigner. Je navigue ainsi entre les deux.
Vous avez passé 29 ans dans les Forces armées canadiennes (FAC). Qu’est-ce qui a motivé votre engagement?
C’est une tradition familiale. Je suis la 4e génération à m’être engagé. Mes deux enfants les plus âgés sont dans la marine.
Après avoir quitté, je suis d’ailleurs revenu assez rapidement dans l’armée en tant que réserviste dans une unité en tant aumônier militaire des FAC, en charge de favoriser la prise en charge spirituelle des soldats, quelle qu’en soit la confession.
Je suis aussi le premier et le seul gardien de savoir autochtone au sein des Forces armées canadiennes. Je suis maintenant capable d’influencer les bonnes pratiques en termes d’éthiques et de leadership à un certain niveau.

J’ai demandé à créer un groupe de tambours traditionnels autochtones et de chants, dont je suis le Capitaine. Nous sommes 12 soldats, femmes et hommes sur les 500 personnes de la brigade. C’est un groupe de soutien important, une façon de rester fiers et d’avoir une raison d’être dans l’engagement. Je m’emploie à enseigner les sept valeurs fondamentales autochtones : la sagesse, l’amour, le respect, le courage, l’honnêteté, l’humilité et la vérité.
En tant que député, quel rôle avez-vous joué dans les droits linguistiques des autochtones?
En 2015, je suis devenu député fédéral pour Winnipeg Centre, navigant entre Manitoba et Ontario. Une vraie fierté, car je suis devenu le premier député canadien depuis la 2e guerre mondiale à servir en même temps dans l’armée, en tant que membre de rang.
En janvier 2019, après deux ans de débat et de bataille pour faire avancer les droits linguistiques des autochtones, j’ai reçu l’unanimité en faveur de la modification des Règlements de la Chambre des communes afin d’inclure et d’interpréter pleinement les langues autochtones.
J’ai eu la chance de parler dans une langue autochtone, avec interprétation, pour la première fois dans l’histoire du Canada. J’étais alors président du caucus autochtone, et la pression était énorme. Un moment de grande réussite.
Ma participation au changement de la législation sur les services à l’enfance et à la famille et les langues autochtones fait aussi partie des choses dont je suis le plus fier.
Que représente pour vous la journée du 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones?
Cela doit être, selon moi, une journée où on laisse de côté le négatif, une journée de fierté où on honore notre héritage et notre culture. »

LES DATES-CLÉS DE ROBERT-FALCON OUELLETTE :
1976 : Naissance à Calgary en Alberta
1977 : Arrivée de sa grand-mère d’Angleterre pour le rejoindre, lui, son petit-frère et sa mère
1991 : Inscription dans une école secondaire privée où son goût pour l’étude et ses aptitudes académiques se révèlent
Janvier 2019 : Victoire pour faire avancer le droit linguistique des autochtones avec la modification des Règlements de la Chambre des communes afin d’inclure et d’interpréter les langues autochtones
Juin 2019 : Adotion d’une loi à laquelle il a participé sur la protection des enfants autochtones et de langues autochtones, la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis
2025 : Devient le premier gardien de savoir autochtone au sein des Forces armées canadiennes (FAC) après 29 ans de service.