Crise linguistique : Doug Ford fait partiellement marche arrière

Le premier ministre, Doug Ford. Archives #ONfr

TORONTO – Coup de théâtre en fin d’après-midi, ce vendredi. Le premier ministre Doug Ford a entamé une timide marche arrière dans le conflit qui l’oppose depuis plus d’une semaine à la communauté francophone de l’Ontario.

SÉBASTIEN PIERROZ
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BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Dans un communiqué, le gouvernement progressiste-conservateur indique trois mesures « en reconnaissance des contributions importantes et continues des Franco-Ontariennes, Franco-Ontariens et francophones dans notre province depuis 400 ans ».

Après avoir annoncé, le 15 novembre, dans l’énoncé économique, sa volonté de supprimer le Commissariat aux services en français et d’en transférer le mandat au Bureau de l’ombudsman, le gouvernement Ford officialise la création d’un poste de commissaire aux services en français qui dépendra du Bureau de l’ombudsman. L’idée avait été lancée, lundi, par la ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney.

Son rôle sera de « veiller au maintien de l’indépendance des enquêtes » et de « formuler des recommandations visant à améliorer la prestation des services en français et à appuyer la conformité à la Loi sur les services en français ».

Pour la politologue du Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, comme pour son homologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, la réponse du gouvernement sur ce dossier est incompréhensible.

« Le commissaire restera subordonné au Bureau de l’ombudsman et on ne voit toujours pas où les économies seront faites. Pourquoi ne pas tout simplement rétablir un commissariat indépendant? », questionne Mme Chouinard.

« Est-ce que le gouvernement veut contraindre l’indépendance du commissaire? », s’interroge M. Normand. « La seule solution, c’est de revenir au statu quo. »

Un ministère des Affaires francophones

Le retour annoncé d’un ministère des Affaires francophones en lieu et place d’un Office des Affaires francophones, comme c’était le cas sous le gouvernement libéral de Kathleen Wynne depuis 2017, ne convainc pas non plus les deux politologues.

« Ça ne veut pas dire grand-chose, s’il n’y a pas plus de ressources. C’était déjà le problème quand le gouvernement libéral l’avait fait. C’était surtout symbolique », estime M. Normand.

Caroline Mulroney, lors de la période de questions du 25 septembre. Gracieuseté, Assemblée législative de l’Ontario

Quant à la nomination de Caroline Mulroney pour occuper cette fonction, le politologue de l’Université d’Ottawa se montre dubitatif.

« On ne la verra pas plus, car elle a déjà un gros portefeuille comme procureure générale. De plus, on peut se questionner si elle est la bonne personne. Sa relation est brouillée avec la communauté franco-ontarienne et lors de l’énoncé économique, elle n’a eu aucune poigne au sein du gouvernement pour éviter les compressions qui ont touché les francophones. »

Légère ouverture sur l’université

Vendredi, Mme Mulroney a assuré être du côté des Franco-Ontariens, rouvrant même légèrement la porte au projet d’université de langue française, abandonné dans l’énoncé économique il y a une semaine.

« J’attends avec impatience le jour où l’état des finances publiques nous permettra d’aller de l’avant avec des projets comme celui de l’université de langue française – des projets qui contribuent à unifier la communauté et à protéger notre langue et notre culture », assure la ministre dans une déclaration. « Je resterai une ardente défenseure de cette université, pour et par les francophones, de sorte que, dès que nous serons en mesure d’en entreprendre la construction, le projet pourra être amorcé. »


« Mme Mulroney fait miroiter une possibilité d’université de langue française, mais c’est très flou et il n’y a aucune promesse. » – Stéphanie Chouinard, politologue


Cette déclaration n’engage en rien le gouvernement, estime M. Normand.

« Le gouvernement aurait pu proposer un autre scénario pour ne pas gâcher tout le travail qui a été accompli par l’Université de l’Ontario français depuis un an. »

Prise de conscience mesurée

Les deux politologues reconnaissent toutefois dans l’annonce de vendredi soir une certaine prise de conscience de la part de la nouvelle administration.

« Cela démontre que les progressistes-conservateurs avaient mal mesuré l’impact de leurs décisions sur les francophones et les réactions qui pourraient en découler », analyse M. Normand. Ce dernier estime que l’annonce de la création d’un poste de conseiller principal en politiques responsable des Affaires francophones pourrait aider.

« Il faudra qu’il soit proactif et vigilant sur les mesures qui pourront affecter les francophones. Cela dit, cette annonce, comme le retour d’un ministère, est un peu hypocrite, car cela existait déjà. C’est M. Ford qui a aboli le poste de conseiller aux Affaires francophones qu’avait mis en place Patrick Brown quand il était à la tête du Parti progressiste-conservateur. »

L’annonce du gouvernement ne semble toutefois pas calmer la colère dans les rangs franco-ontariens. Le politologue de l’Université d’Ottawa parle d’une « contre-offre » des progressistes-conservateurs. Mais celle-ci est trop mince pour être acceptable, selon Mme Chouinard.

« Et puis, il ne faut pas oublier que ne sont jamais abordées les autres coupures dont on s’est rendu compte ces derniers jours, comme La Nouvelle Scène ou les magazines jeunesse francophones », rappelle M. Normand.