Victoire judiciaire « historique » pour l’éducation en français
OTTAWA – Les neuf juges de la Cour suprême du Canada ont tranché. Après dix ans de bataille judiciaire, ils donnent raison au Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF) et la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique (FPFCB). Une décision qui donne de nouveaux arguments aux francophones à travers le pays.
Depuis dix ans, le CSF et la FPFCB se battent devant les tribunaux contre leur gouvernement provincial à qui il reproche un sous-financement chronique des écoles de langue française, se traduisant par des infrastructures et un transport scolaire insuffisants.
Et ce vendredi, dans une décision majoritaire – les deux juges Malcom Rowe et Russell Brown étant partiellement en désaccord –, la Cour suprême du Canada leur donne raison : la province de Colombie-Britannique a violé leur droit, prévu dans l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, à l’éducation dans la langue de la minorité.
La plus haute instance judiciaire du pays conclut, à l’unanimité sur cet aspect, que l’expérience éducative des jeunes francophones doit être équivalente et non proportionnelle à celle de la majorité.
« C’est un grand soulagement! », réagit Suzana Straus, présidente de la FPFCB. « On est heureux pour les parents et les enfants francophones, ici et partout au Canada. On espère que ça va nous permettre d’avoir de nouveaux programmes et des écoles plus modernes afin de faciliter le choix des parents d’envoyer leurs enfants dans les écoles de langue française. »
Défaite pour les provinces
L’argument monétaire ne pourra pas être évoqué par les provinces, via l’article 1er de la Charte, pour se soustraire à leur obligation de financer adéquatement les écoles de langue française, tranchent les juges.
« (…) Il serait alors loisible à tout gouvernement de déroger aux droits fondamentaux avec une aisance déconcertante. Je ne peux accepter un tel résultat », écrit le juge en chef Richard Wagner qui rappelle que « jusqu’à maintenant, la Cour n’a jamais jugé qu’une violation de l’article 23 était justifiée au regard de l’article 1er ».
La question était suffisamment importante pour que la Saskatchewan, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et Labrador, la Nouvelle-Écosse, l’Alberta et les Territoires-du-Nord-Ouest apportent leur soutien au gouvernement de Colombie-Britannique dans cette cause.
« Ce jugement place l’article 23 en haut de la pyramide des libertés fondamentales qui méritent d’être protégées et il sera très difficile pour les provinces d’utiliser l’article 1er en disant que ça coûte trop cher de construire des écoles. C’est un gain spectaculaire pour les communautés francophones qui n’auront plus à toujours craindre ce qui peut arriver », estime l’avocat du CSF, Mark Power.
La Colombie-Britannique condamnée à verser des dommages et intérêts
Les dix ans de bataille judiciaire ont déjà permis au CSF et à la FPFCB d’obtenir une enveloppe provinciale distincte en immobilisation de 52,7 millions de dollars sur trois ans pour l’éducation de langue française en Colombie-Britannique, devant les tribunaux inférieurs.
La Cour suprême du Canada leur accorde davantage, aujourd’hui, en condamnant également la Colombie-Britannique à verser six millions de dollars en dommages-intérêts sur une période de 10 ans pour le financement inadéquat du transport scolaire de 2002-2003 à 2011-2012 et à 1,1 million de dollars en dommages-intérêts au CSF pour compenser le financement insuffisant accordé aux écoles rurales de la communauté francophone.
« On espère pouvoir ainsi réduire le temps de transport pour nos élèves, surtout pour nos maternelles qui doivent parfois faire des heures de transport pour se rendre à l’école », explique la présidente du CSF, Marie-Pierre Lavoie.
Plus largement, explique Me Power, cela confirme le droit pour les francophones à des dommages et intérêts si leur province est reconnue coupable de manquements envers leur droit à l’éducation dans leur langue.
Se retrousser les manches
Reste toutefois à voir comment cette décision se traduira concrètement, soulignent plusieurs analystes sur les médias sociaux, dont le politologue Rémi Léger, de l’Université Simon Fraser, à Vancouver.
« En 2015, la Cour suprême du Canada donnait raison aux parents de l’école Rose-des-vents, ce qui laissait supposer la construction d’une nouvelle école. Cinq ans plus tard, les enfants fréquentent toujours la même petite école à laquelle s’est jointe une série de portatives », gazouille-t-il en guise de rappel.
La présidente du CSF se dit consciente de l’enjeu.
« C’est sûr qu’il est difficile de savoir quand cela va se traduire par de nouvelles écoles, des rénovations, plus de programmes… Mais c’est une carte de plus dans notre jeu pour négocier avec le gouvernement. Nous avons une bonne relation avec le ministère et on va se mettre au travail. »
Me Power se montre confiant.
« C’est sûr que ça va prendre du temps pour construire des écoles, mais depuis 2010, plusieurs communautés francophones de Colombie-Britannique avaient perdu espoir. Là, on leur donne une raison d’en regagner. »
Un moment historique
L’avocat du CSF range cette victoire aux côtés des grandes causes judiciaires des dernières décennies en matière d’éducation de langue française.
« C’est peut-être l’un des jugements les plus importants de l’histoire de l’article 23, presque au même niveau que la cause Mahé. Car à quoi bon avoir la gestion scolaire pour les francophones s’ils n’ont pas le droit à des écoles équivalentes ou si les provinces peuvent s’esquiver au motif que ça coûte trop cher? »
« C’est un moment historique, le legs de la francophonie britanno-colombienne à la francophonie canadienne! » – Mark Power, avocat
Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson, souligne l’importance de cette décision pour toute la francophonie.
« Il faut féliciter le travail et la ténacité de la communauté francophone en Colombie-Britannique. Leur victoire donne un argument de plus pour tous nos organismes porte-parole provinciaux dans le dialogue avec leurs provinces. »
S’il juge que la situation actuelle en Ontario est plutôt favorable, le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Carol Jolin n’en demeure pas moins rassuré.
« Les gouvernements ont jusqu’ici appuyé nos écoles francophones et nous disposons d’un très bon système, mais cette décision nous protège, si un jour un gouvernement est moins favorable… »
Cet article a été mis à jour à 13h36