Denyse Culligan, militante francophone de Thunder Bay récompensée

La militante francophone Denyse Culligan. Montage ONFR+

[LA RENCONTRE D’ONFR]

THUNDER BAY – Denyse Culligan a commencé sa vie à La Durantaye, une municipalité francophone proche de la Capitale-Nationale. Une existence alors rangée ponctuée par un mariage avec un homme, et les responsabilités. Des décennies plus tard, au soir de sa vie, la voilà à Thunder Bay en milieu ultra minoritaire, défendant bec et ongle la francophonie et la communauté LGBTQ+ dont elle fait aujourd’hui partie. La semaine dernière, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) lui a remis le Prix Florent-Lalonde pour « les efforts et l’engagement d’un bénévole au sein de la communauté ». Rencontre avec la militante qui vient de souffler ses 80 bougies.

« Quelle fut votre première réaction en obtenant ce Prix Florent-Lalonde remis lors du Grand gala virtuel de l’AFO, la semaine dernière?

Au début j’étais surprise, parce que je ne m’attendais pas à cela, même si j’étais finaliste. Ensuite, j’ai été émue, car c’est un peu tard pour me donner cet honneur-là. Ça me fait plaisir. Sur Facebook, une trentaine de personnes m’ont félicité, certaines que je ne connaissais pas.

Vous êtes surtout connue pour votre implication dans la communauté francophone à Thunder Bay. Comment tout a commencé?

Ça fait depuis 1987 que je suis à Thunder Bay. En tant que femme d’affaires, j’avais acheté cette année-là une franchise de Second Cup avec ma fille. On a travaillé fort dans notre commerce. J’ai alors rencontré mon épouse, puis j’ai commencé à vivre avec elle. Avec le temps, je me suis fait de bons amis et de bonnes amies.

Et puis, c’est vraiment beau Thunder Bay! On est tout près des activités furtives et de la forêt, même si les hivers sont un peu longs. J’ai tout de suite eu un sentiment d’appartenance à la communauté francophone.

Et pourtant vous êtes originaire de Québec…

Oui, d’un village tout près de Québec. J’ai fait mes études dans la ville de Québec, puis je me suis mariée avec un homme. Nous sommes partis vivre aux États-Unis pendant sept ans, notamment à Denver, dans le Colarodo, et Boise, dans l’Idaho, puis nous sommes revenus dans la région d’Oshawa. Nous avons divorcé, et finalement j’ai déménagé ici, à Thunder Bay, à la fin des années 80.

La question est banale, mais pourquoi cet engagement dans la francophonie?

J’ai commencé à m’impliquer dans la francophonie quand j’habitais la région d’Oshawa, avec l’Assemblée des communautés francophones de l’Ontario dans la région de Durham-Peterborough (Hésitation). Mais quand je suis revenue vivre en Ontario, mes enfants ne parlaient pas français. Je ne leur parlais pas français auparavant. J’ai commencé à leur parler dans cette langue, mais je me suis toujours sentie coupable (Émue).

C’est une affaire familiale on va dire, et seulement un de mes enfants parle le français aujourd’hui. Il s’en sert dans les affaires. J’ai un petit fils élevé dans la francophonie, mais oui, je me suis toujours sentie coupable, et cela explique en partie mon engagement!

Source : AFNOO

Est-ce qu’il y a eu un événement marquant dans cet engagement?

J’ai vraiment commencé à m’impliquer quand la Ville de Thunder Bay s’était déclarée unilingue anglophone en 1990, juste après que Sault-Sainte-Marie l’ait fait. On a décidé de revendiquer nos droits. J’ai commencé à m’impliquer au niveau de l’Association des francophones du Nord-Ouest de l’Ontario (AFNOO).

Dans le même temps, durant cette crise, j’ai écrit une couple d’articles. Avec l’AFNOO, nous avons commencé à rallier les francophones. J’étais juste bénévole, mais on a fait des présentations au conseil municipal, et des lettres pour faire abroger ce règlement municipal. On commençait à s’informer sur comment nous pouvions utiliser la Loi sur les services en français qui avait été votée en 1986. Il y avait beaucoup de lettres de haine d’anglophones. Ce qui nous a frappés, c’est que les gens se faisaient dire « speak white » quand ils prenaient l’autobus par exemple. Mais nous, les francophones, on continuait à se parler en français.

Et les choses se sont arrangées?

Oui! Le maire qui a été élu en 1997, Ken Boshcoff, parlait français. Il avait déjà été notre député fédéral, et il était un allié naturel. Il nous a aidés à faire abroger le règlement municipal.

Diriez-vous que les relations entre anglophones et francophones sont meilleures aujourd’hui? On sait que les Franco-Ontariens représentent 2 % des résidents de Thunder Bay.

Il n’y a plus cette tension. Je vis dans un monde anglophone, avec ma famille, et mon épouse qui est anglophone, mais je vis aussi dans la francophonie. Au début des années 2000, après cette abrogation, les francophones ont continué à revendiquer nos droits.

Nous avons obtenu des victoires, que ce soit des garderies en français, des programmes pour les jeunes préscolaires, et une école secondaire. Nous avons aussi mis sur pied le Centr’Elles qui vient en aide aux femmes aux prises avec la violence et qui ont des problèmes en droit de la famille. Nous avons aussi le Centre francophone de Thunder Bay avec 150 personnes qui viennent régulièrement pour les activités.

Vous avez aussi été membre du Comité consultatif provincial sur les Affaires francophones de 2004 à 2009. Vous apportiez la lentille du Nord-Ouest ontarien. Pourquoi les besoins sont si spécifiques dans cette région?

Tout d’abord, l’AFNOO a réussi à se faire connaître comme association provinciale. Auparavant, l’AFO parlait du Nord, mais des choses à Hearst. Or, la réalité à Thunder Bay, ce n’est pas la même chose. On a quand même réussi à avoir un siège sur le conseil d’administration de l’AFO qui représente le Nord-Ouest.

Notre gros défi dans le Nord-Ouest, c’est que nous sommes très dispersés. Si tu veux aller à Kenora depuis Thunder Bay, c’est 350 kilomètres, à Marathon, à 320 kilomètres. Les services spécialisés en français sont tous à Thunder Bay, et souvent ces gens-là doivent se déplacer pour recevoir des services comme les soins de santé, ou la justice. La plupart de francophones doivent venir ici. De plus, Thunder Bay n’est toujours pas désigné en vertu de la Loi sur les services en français! Quand les industries minières vont repartir, on va recommencer à avoir besoin de plus de francophones!

Gracieuseté : Denyse Culligan

Vous faisiez allusion au Centr’Elles qui vient en aide aux femmes. Vous avez été très tôt une féministe, on peut le dire?

Oui (Hésitation). Disons que j’ai été exposée très tôt à des situations de violence conjugale. J’avais été bénévole dans une maison pour les femmes à Oshawa, mais en arrivant à Thunder Bay, j’ai constaté qu’il n’y avait pas d’organismes qui offraient des services aux femmes en situation de crise, d’où la création du Centr’Elles.

Ce fut long! Nous avons créé un comité pour faire de la sensibilisation, rencontrer des femmes pour leur démontrer ce qu’est de l’abus, que cela peut être psychologique. On est allé chercher les subventions. Nous avons mis huit ans aussi à avoir un autre programme subventionné du Centre’Elles à Geraldton.

On pourrait dire que votre autre engagement, c’est la cause LGBTQ+. Vous avez longtemps été mariée à un homme. Quand avez-vous découvert votre identité LGBTQ+?

Je suis venue à Thunder Bay comme lesbienne. Les LGBTQ+ étaient bien sûr les bienvenues dans mon Second Cup. Mais la fin des années 80, ce n’était pas facile. Le V.I.H. était partout, les gens cachaient davantage leur orientation sexuelle. Un jour, une leader francophone reconnue m’a dit que c’était mieux de cacher le fait que j’étais lesbienne.

Mais disons que cette identité, je la connaissais de moi-même depuis ma jeunesse. J’ai fait ce que les filles de mon temps faisaient : on se mariait, on avait des enfants. J’ai fait mon coming out en 1984. J’ai pu vivre ma propre réalité, ce fut vraiment un soulagement. Mes enfants ont été très raisonnables avec ça!

Beaucoup d’aînés n’ont pas cette chance et ne parviennent pas à sortir du placard. Le problème se pose d’autant plus quand ils sont par exemple dans les résidences. Quelles sont les solutions?

C’est de l’oppression intégré. Il faut comprendre que certaines personnes ne veulent pas se faire identifier comme quelqu’un à part des autres qui va être desservi différement des autres, et être mis de côté. Ça vient de très loin et c’est très personnel. Certaines personnes sont capables de faire leur coming out, pour leur survie mentale émotionnelle et physique, d’autres sont incapables.

En terminant, vous avez eu beaucoup d’emplois dans votre vie, mais vous dites préférer les emplois contractuels que les emplois stables. Pourquoi?

C’est dans mon modus operandi, j’aime partir des choses, mettre des choses sur pied, et ensuite faire d’autres choses! J’ai fait beaucoup de contrats dans ma vie. J’ai eu quelques emplois où l’employeur voulait que je sois une employée permanente, mais j’ai toujours préféré les contrats. J’aime rester indépendante! »


LES DATES-CLÉS DE DENYSE CULLIGAN :

1940 : Naissance à La Durantaye (Québec)

1981 : Implication à l’Assemblée des communautés francophones de l’Ontario dans la région de Durham-Peterborough.

1987 : Arrivée à Thunder Bay

2006 : Décorée de l’Ordre de la Pléiade

2011 : Retraite

2020 : Reçoit le Prix Florent-Lalonde dans le cadre du Grand gala virtuel de l’AFO

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.