Des avancées mais encore des attentes
OTTAWA – Les francophones en contexte minoritaire fondaient beaucoup d’espoir en Justin Trudeau et son gouvernement libéral au moment de son élection, l’automne dernier. Lors de la première session parlementaire, ils ont pu apprécier des avancées dans plusieurs dossiers, mais les attentes restent encore nombreuses.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @bvachet
« Verre à moitié plein ou verre à moitié vide », voilà comment la politologue Linda Cardinal résume cette première session parlementaire au moment d’en évoquer le bilan pour la francophonie en milieu minoritaire.
« Il y a eu des mesures très intéressantes et une volonté d’ouverture et de dialogue avec les communautés francophones hors Québec. On ne peut que remarquer un vrai changement de ton », note la professeure à l’École d’études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa.
Le rétablissement du formulaire long obligatoire du recensement, le retour du programme de contestation judiciaire ou encore la remise en place d’un programme de promotion de l’immigration francophone hors Québec figurent parmi les bons coups du gouvernement libéral, selon Mme Cardinal. Mais celui-ci a tout de même encore du travail à faire, ajoute-t-elle.
« Il manque encore des actions précises, malgré une bonne volonté. D’un point de vue symbolique, la suppression des « langues officielles » du titre de la ministre du Patrimoine canadien n’a pas vraiment de justification forte. On remarque aussi une absence d’affirmation de l’importance des deux langues officielles, notamment de la part du Premier ministre qui devrait être un leader dans ce domaine. Il a eu des occasions pourtant, notamment lors de l’arrivée et l’accueil des réfugiés syriens. On peut donc dire que malgré les bonnes intentions, il y a un certain manque de compréhension. Le gouvernement continue de voir les francophones comme une clientèle parmi d’autres. »
La politologue en veut pour preuve la saga du Bureau de la traduction ou encore le premier budget de Justin Trudeau dans lequel manquait une lentille francophone. Un constat énoncé par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada à l’époque. Quelques mois plus tard, la présidente de l’organisme porte-parole des francophones en contexte minoritaire, Sylviane Lanthier, se dit tout de même satisfaite.
« Nous avons été beaucoup consultés, notamment devant les comités, pour parler des réalités de nos communautés et sensibiliser les députés. Il y a eu des annonces importantes. »
Toutefois, Mme Lanthier attend encore davantage.
« Maintenant, nous ne pouvons plus dire qu’il s’agit d’un nouveau gouvernement. Nous allons donc attendre des actions plus concrètes. En matière d’immigration, notamment, nous sommes loin d’en avoir fini, tout comme dans le domaine de la petite enfance, de la culture, des médias ou de la justice », énumère-t-elle.
Sans surprise, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, qui s’est beaucoup appuyée sur son secrétaire parlementaire Randy Boissonnault dans le dossier des langues officielles, insiste sur les premiers accomplissements de son gouvernement. Désormais, elle veut se consacrer aux consultations pour le prochain plan d’action pour les langues officielles.
« Rapidement, nous avons été capables d’agir sur plusieurs dossiers, notamment en matière d’immigration, de justice ou pour redonner son statut universitaire au Collège militaire royal de St-Jean-sur-Richelieu. Maintenant, nous sommes dans une phase de consultation jusqu’à la fin septembre. Nous voulons arriver à la fin 2016 avec nos recommandations, puis travailler ensuite sur des accords bilatéraux avec les provinces et territoires en 2017 et enfin, pouvoir mettre en œuvre notre nouveau plan en 2018. »
Travail d’apprentissage
Mais avant d’en arriver à 2018 se profile rapidement à l’horizon le 150e anniversaire de la confédération en 2017. Et pour Mme Cardinal, cet événement doit fournir l’occasion au gouvernement de rappeler que les langues officielles font partie de l’identité canadienne et lui permettre aussi de mener une vraie réflexion.
« Avant, on voyait souvent les langues officielles comme le moyen d’unir le Québec avec le reste du Canada, mais on n’en est plus là aujourd’hui. C’est une valeur essentielle de la société canadienne. Je pense que le gouvernement et les députés ont encore un travail d’apprentissage à faire sure cette question », constate la professeure de l’Université d’Ottawa.
La présidente de la FCFA aimerait que le gouvernement s’appuie davantage sur cette richesse.
« Les francophones ont eu une importante contribution à la société canadienne mais ils ont encore énormément à apporter. Le gouvernement ne table pas assez là-dessus. Nous sommes pourtant un atout! »
L’opposition dubitative
Dans les rangs de l’opposition, le critique aux langues officielles pour le Parti conservateur du Canada, Bernard Généreux, vante l’esprit de collaboration qui règne au sein du comité permanent sur les langues officielles. Il se montre toutefois plus critique quant à l’approche du gouvernement.
« Les libéraux ont promis beaucoup mais ils ont peu livré. Le gouvernement consulte, Mme Joly écoute… mais quand est-ce qu’ils vont passer à l’action? Pour l’instant, ça semble leur réussir, mais c’est toujours plus facile quand on distribue de l’argent sans compter. À un moment, ils vont pourtant devoir commencer à dire « non » et ça risque d’être une fin abrupte. »
Prompt à saluer « quelques bons points », son homologue néodémocrate, François Choquette demande quant à lui des réponses.
« Le gouvernement se vante avec raison de certaines bonnes initiatives, mais des problèmes demeurent. Compte-t-il indexer les fonds attribués aux organismes et aux institutions francophones comme ça a été demandé? Comment compte-t-il atteindre sa cible en matière d’immigration francophone? Nous n’avons pas de réponses. De plus, les libéraux continuent d’agir comme les conservateurs avant eux en n’ayant toujours aucune autorité fédérale pour s’assurer de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Cela crée des problèmes comme on a pu le voir avec le Bureau de la traduction ou les documents non immédiatement traduits pour Énergie Est. »
Le député de Drummond dit réfléchir à déposer un projet de loi pour que soit désignée une instance fédérale existante responsable, comme le demande la FCFA. Les députés devraient reprendre les travaux le 19 septembre.