Des organismes fransaskois veulent éradiquer le racisme qui sévit au sein de leur communauté
REGINA – Le partenariat provincial interculturel lancé l’automne dernier par quatre organisations fransaskoises, commence à porter fruits. Impliquant l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), la Communauté des Africains francophones de la Saskatchewan (CAFS), le Conseil culturel fransaskois (CCF) et le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF), il vise à solutionner des problèmes de comportements racistes ou xénophobes envers des immigrants, principalement à l’endroit de ceux qui viennent de l’Afrique francophone.
La présidente du Conseil culturel fransaskois Anne Brochu Lambert croit que, même s’il reste beaucoup de travail à faire, les efforts semblent aller dans la bonne direction.
« C’est énorme les pas qu’on a franchi. Le 12 septembre (2020), on a lancé un appel de solidarité. Le 20 octobre on a fait l’annonce de l’entente administrative, ensuite on a eu le sondage. On vient de lancer au printemps la formation en 2021 et, là, on est là-dedans. On vient tout juste de lancer un nouveau module sur les préjugés inconscients et les micro agressions », nous a-t-elle expliqué.
Mais elle reconnait du même souffle que d’autres efforts doivent être déployés.
« Le travail ne fait que commencer. C’est un travail de longue haleine qu’on essaie de planifier sur cinq-dix ans. Mais déjà, ça a apporté une certaine forme de soulagement : on commence à nommer les choses et à vouloir faire du concret », a déclaré Mme Brochu Lambert lors d’une conférence Zoom en compagnie de la présidente de la CAFS, Sylvie Niyongere.
« Nous n’avons pas de chiffres exacts, mais à partir des années 2000, il y avait l’application des nouvelles politiques de l’immigration (en Saskatchewan). La province a reçu une grande majorité d’immigrants africains, notamment francophones. La communauté a grandi et, inter-culturellement, c’est devenu difficile de se comprendre entre les immigrants eux-mêmes. En arrivant dans une communauté francophone qui a sa culture ça devient un problème parce que tu vois que les cultures sont différentes », résume ainsi Madame Niyongere.
Notre communauté a grandi, et nous avons à apprendre à avoir de meilleures relations interculturelles » Anne Brochu Lambert
Car, malheureusement, les différences entre les cultures peuvent mener à des situations difficiles et à des conséquences regrettables pour certains individus.
« Ça s’est exprimé par le biais des médias sociaux ou au cœur de certaines assemblées générales annuelles, où on pouvait avoir des visions différentes du développement communautaire. Des gens ont vécu des situations vraiment difficiles d’intimidation, de discrimination et de racisme systémique. Pour dénouer ces impasses, il y a à la fois ce besoin de célébrer le fait que la communauté a grandi et a changé, mais il y a aussi à prendre un vrai portrait de la situation, et la dynamique n’est pas toujours bonne, pas toujours simple. On doit se donner des outils pour exactement ça : mieux vivre ensemble », précise Anne Brochu Lambert.
La Saskatchewan a investi de grands efforts afin d’attirer des immigrants depuis le début des années 2000. C’est à cette époque que Sylvie Niyongere est arrivée. Elle a dû faire des sacrifices pour pouvoir trouver du travail.
« Je suis arrivée en Saskatchewan en février 2000. À cette époque, je ne savais même pas qu’il y avait des communautés francophones. Je me suis intégrée à 100% à la communauté anglophone. Mon éducation au Burundi était en français et je ne pouvais pas trouver de l’emploi. J’ai dû retourner à l’école, c’est-à-dire à l’Université pour refaire une éducation en anglais. J’ai fait la sociologie et maintenant je suis en train de faire l’analyse des politiques », a indiqué Madame Niyongere.
« C’est très difficile pour les immigrants qui viennent d’arriver de trouver un boulot » Sylvie Niyongere
Mme Niyongere s’estime tout de même chanceuse car, à son arrivée, elle a été épaulée, ce qui n’était pas nécessairement le cas pour d’autres immigrants venus d’Afrique. « J’ai été accueillie par l’église. Ils m’ont intégrée, m’ont montré tout », se souvient-elle.
Son parcours lui a permis de se familiariser avec la réalité de sa terre d’accueil et d’en comprendre les exigences, ce qui peut prendre un certain temps pour de nombreuses personnes qui veulent faire leur vie en Saskatchewan.
« Il y a des gens qui arrivent ici et ne veulent pas retourner à l’école. Ils vont te dire ‘‘Moi, j’ai mon doctorat. Je ne peux pas retourner à l’école’’ et dans la communauté fransaskoise il n’y a pas vraiment beaucoup d’emplois pour tout le monde », constate-t-elle.
« Si quelqu’un ne peut pas trouver du travail parce que son éducation ou bien sa formation n’est pas reconnue, cela peut être interprété comme étant du racisme. Mais il y a un élément que la majorité des gens (immigrants) vont oublier : tu ne peux pas avoir les mêmes compétences (aux yeux du) marché du travail si ta formation a été obtenue par exemple en Afrique que quelqu’un d’autre qui a reçu sa formation ici dès la maternelle », a-t-elle poursuivi.
Sondage sur les comportements et attitudes racistes
L’automne dernier, un sondage a été mené au sein de la société fransaskoise afin de mesurer l’ampleur du problème. Parmi ceux et celles qui ont accepté de répondre au questionnaire, certains ont décrit des situations qu’ils avaient vécues.
« Quelques exemples offerts sont carrément dégradants et humiliants, évoquant la controverse publique récente au sujet du « mot en n » et qui s’applique à d’autres étiquettes également », écrit Wilfrid B. Denis dans le rapport qu’il a préparé sur les résultats du sondage. « Certains ont choisi de ne pas décrire en détail leurs doléances parce que « trop douloureux ». Ils ont choisi de ne pas vouloir « revivre tout ça », tandis que d’autres affirment ne vouloir rien dire de plus par crainte de représailles, de congédiement possible, ou encore que les résultats du sondage ne soient dévoilés aux intimidateurs ».
Ceci est loin d’être le seul extrait choquant que l’on puisse lire dans le rapport de M. Denis, et il ne représente que la pointe de l’iceberg. Il révèle des comportements extrêmement dommageables pour les individus qui en sont la cible.
Toutefois, les organismes fransaskois qui ont décidé de s’unir pour agir ne se laissent pas décourager par l’ampleur de la tâche. L’entente administrative qu’ils ont conclu leur permet de mettre leurs ressources en commun afin d’être mieux outillés pour faire face à cette crise.
« Ce partenariat, c’est le début de quelque chose de grand et d’important pour la bonne santé et le bon développement de cette communauté francophone. Avec cette façon de faire innovatrice, on étonne nos bailleurs de fonds. On est en train d’apprendre aussi à avoir une collaboration tricotée différemment et ça je pense que c’est très positif pour encourager des changements sociaux », a déclaré Anne Brochu Lambert.
« On a également l’Association des juristes qui examine en ce moment notre capacité à pouvoir revoir nos politiques et nos gouvernances et aussi se pencher sur les questions ‘‘Que faire avec les médias sociaux?’’ et ‘‘Comment on responsabilise nos employés et nos élus et également?’’, on a pensé à ‘‘il faut une formation, il faut qu’on puisse commencer à s’assoir autour d’une table et à comprendre c’est quoi les mécanismes du racisme systémique et de la discrimination sous toutes ses formes et on fait quoi avec ça’’ », a-t-elle ajouté.
Sylvie Niyongere, quant à elle, insiste sur la nécessité pour la communauté fransaskoise de resserrer les rangs et de trouver la solidarité dans la cause commune de la préservation de la langue française en Saskatchewan.
« Dans le partenariat, nos objectifs sont de créer cette atmosphère de compréhension et de mettre de côté les différences, tout en acceptant que ces différences existent, que le racisme existe. Si nous nous divisons entre nous-mêmes, nous allons disparaître, et le français aussi. C’est pourquoi nous devons être unis pour faire avancer les intérêts de la langue française dans notre communauté », conclut Madame Niyongere.