« Discrimination et hostilité » face au français à l’Université d’Ottawa selon un rapport
OTTAWA – De moins en moins de personnel bilingue, de la discrimination envers les francophones, un manque d’accès à des cours en français et une hausse de la francophobie. Voilà quelques constats que dressent des membres de l’Université d’Ottawa (U d’O) dans un rapport où de vives inquiétudes et critiques par rapport à la place du français sont présentes.
Ce rapport, obtenu par ONFR+ a été produit en mai 2021 par une firme externe à la demande de l’Université d’Ottawa à la suite de consultations avec la communauté de l’U d’O. Au total, près de 400 membres de la communauté étudiante, du corps professoral et du personnel administratif « ont fait part de leurs expériences et de définir les possibilités qui se présentent à l’ensemble de la communauté universitaire en ce qui a trait à la francophonie ».
« Les droits des francophones au mieux suscitent l’indifférence et font l’objet de railleries diverses, et au pire, sont carrément bafoués dans certains milieux »
Les membres de l’établissement se disent la cible de « propos irrespectueux et parfois dénigrants envers les francophones ou la francophonie plus généralement ».
« Plusieurs ont évoqué l’émergence d’une francophobie qui, selon eux, semble prendre ses aises, pour décrire des incidents qui se répètent de plus en plus fréquemment sur le campus. En clair, la communauté a le sentiment que la francophonie fait parfois l’objet d’une certaine hostilité, ce qui conduirait certains à penser qu’une réflexion à l’échelle de l’Université est nécessaire », peut-on lire.
Pour plusieurs, il s’agirait d’un manque de compréhension par rapport à la mission de l’institution ainsi que de la « valeur ajoutée » de la francophonie. Des membres de la communauté disent avoir un sentiment d’incompréhension et de colère face à ce qu’ils décrivent comme une hausse de l’hostilité envers la francophonie.
« Certains perçoivent encore le fait français à l’Université d’Ottawa comme un luxe et le fonctionnement de l’institution serait jalonné d’incidents multiples où les droits des francophones au mieux suscitent l’indifférence et font l’objet de railleries diverses, et au pire, sont carrément bafoués dans certains milieux », décrit le document.
Des embauches anglophones et non bilingues
Une des inquiétudes de la communauté qui est soulignée concerne l’embauche de personnel ne parlant pas français à des postes affichés bilingues.
« L’approche actuelle est perçue par certains membres de la communauté comme étant problématique et préjudiciable à la francophonie institutionnelle, compte tenu de l’importance d’offrir l’ensemble des programmes dans les deux langues officielles et du droit qu’ont tous les étudiants de rédiger leurs travaux dans l’une ou l’autre des deux langues officielles. »
Certains intervenants critiquent aussi un flou autour des critères d’embauche en ce qui concerne la connaissance du français.
« Ce manque de clarté aurait donné lieu à des situations difficilement justifiables qui auraient facilité l’embauche de personnes qui ne maîtrisent pas le français au sein de la hiérarchie de l’Université. »
Les membres consultés dénoncent aussi que les réunions et les rencontres se déroulent en anglais, car certaines personnes ne comprennent pas le français et que « nombreux sont les francophones qui ne voudraient plus s’exprimer en français ». Il y aurait aussi un manque de responsabilité envers la mission francophone de l’U d’O.
« De nombreux membres de la haute direction ne semblent toujours pas conscients de leurs responsabilités. Des participants ont noté un manque de sensibilisation à la promotion et au respect de la dualité linguistique (…). Le souhait exprimé est que l’Université tienne compte davantage des besoins de la francophonie dans tout ce qu’elle entreprend en vue de réaliser sa mission. »
Des manquements aux lois et politiques linguistiques?
L’U d’O contreviendrait-elle à Loi sur les services en français (LSF), dont elle est assujettie depuis 2015 et qui la force à offrir des cours de premier cycle de l’ensemble de ses facultés (sauf pour les facultés de génie et de sciences)? C’est du moins ce qui semble en ressortir des témoignages alors que certains expriment être obligés de suivre des cours en anglais ou que les cours en français sont dans « des plages horaires peu commodes ».
« Bien que l’Université soit désignée comme organisme offrant des services en français en vertu de la LSFO pour ce qui est des programmes de premier cycle en français, la communauté aurait pourtant l’impression persistante qu’il est toujours difficile dans certaines facultés de terminer ses études en français. »
De plus, des événements décrits dans le rapport seraient en contradiction avec la politique bilingue de l’U d’O.
« Certaines personnes ont rapporté que les professeurs n’accepteraient pas que des travaux soient remis en français dans des cours offerts en anglais », donne-t-on en exemple.
La question du financement réservé aux programmes francophones a aussi été soulevée avec « le contexte qui prévaut actuellement à l’Université d’Ottawa ».
« Des voix parmi les personnes consultées sont d’avis que l’insuffisante allocation de ressources en matière de francophonie pénalise dans les faits une tranche importante de la communauté universitaire. »
Parmi les autres enjeux soulevés, le « déséquilibre linguistique » entre les 13 000 étudiants francophones et les 32 000 anglophones, la création récente de nouveaux programmes presque exclusivement en anglais, et le danger que de futurs chercheurs francophones consacrent leurs recherches exclusivement dans la langue de Shakespeare.
À aucune reprise, le nom du professeur Amir Attaran n’est mentionné dans ce rapport alors que la création d’un comité et ce rapport sont liés en partie à des propos qu’il avait tenus en mars dernier.
Réponse de l’Université d’Ottawa
L’U d’O a répondu plus tard en après-midi affirmant « prendre acte du constat dressé par les membres de sa communauté universitaire ».
« Leurs constats nous fournissent d’ores et déjà des bases claires sur lesquelles travailler » est-il indiqué dans une réponse par courriel à ONFR+.
L’établissement affirme qu’il « entend donner suite à ce rapport » et qu’il fera part prochainement des moyens pris pour s’attaquer aux problèmes soulevés dans le rapport.
« Le message qui ressort de ces consultations ne doit pas être nié, amoindri ou banalisé : une partie de notre communauté a exprimé un sentiment de fragilité du fait français sur le campus, et il faut y être sensible et voir grand. De nouveaux chantiers s’ouvrent devant nous et nous avons la ferme intention d’y réagir collectivement afin de faire en sorte que l’Université reste la plus grande université bilingue français-anglais au monde. »
Une demande d’entrevue avec un membre de la haute administration ou le recteur Jacques Frémont a été refusée.