Université d’Ottawa : une institution sur la pente descendante?

Le recteur de l'Université d'Ottawa, Jacques Frémont.Archives ONFR

OTTAWA – Avec les récents propos du professeur de droit Amir Attaran et l’histoire du « mot en N », certains membres de la communauté s’inquiètent de voir l’image que prend l’Université d’Ottawa dans la sphère publique. Certains se demandent s’il ne serait pas le temps de redresser la barre au sein de la gouvernance notamment avec le recteur Jacques Frémont.

Il faut rappeler que le professeur de la Faculté de droit, Amir Attaran, a récemment publié plusieurs tweets où il disait que la culture des Québécois est raciste, que le gouvernement québécois est suprématiste blanc et que le Québec est « l’Alabama du Nord ».

Quelques mois plus tôt, la chargée de cours Verushka Lieutenant-Duval avait été suspendue par l’Université d’Ottawa (U d’O) pour avoir utilisé le « mot en n » dans le cadre d’un cours.

Dans une lettre rendue publique lundi, le recteur Frémont a refusé d’offrir des excuses au nom de l’établissement ottavien comme le demandaient certains politiciens au Québec, dont le chef du Parti Québécois, Paul St-Pierre Plamondon.

« La liberté d’expression n’est pas un buffet où on choisit les cas où le discours est acceptable et où il ne l’est pas », a indiqué M. Frémont.

Le professeur Amir Attaran. Crédit : Capture d’écran Youtube

Pour le professeur de traduction et interprétation Charles Le Blanc, même s’il n’est pas d’accord avec les propos, le professeur Attaran a le droit de s’exprimer librement s’il le souhaite. M. Le Blanc croit toutefois qu’il « serait temps que le gouvernement de l’Ontario sonne la fin de la récréation », à l’U d’O.

« Manifestement, il y a un problème de gouvernance. Ce n’est pas normal tout ce qui nous tombe dessus depuis cinq mois. Si M. Frémont n’est pas capable de s’en occuper, que quelqu’un le fasse. Je pense que c’est une situation qui touche le Sénat, le bureau des gouverneurs et le rectorat. Manifestement, il y a quelque chose qui ne va pas… Le cas de Mme Lieutenant-Duval a eu des échos à l’international. Le cas de Attaran est plus complexe et je suis d’accord avec le recteur d’agir prudemment dans ce dossier-là, mais il faut dénoncer quand il faut dénoncer. »

Son collègue Marc-François Bernier renchérit en disant s’inquiéter de l’image de l’institution bilingue de la capitale fédérale.

« Ça revient à la gouvernance. Il y a des gens au sommet qui prennent de mauvaises décisions ou qui ne prennent pas de décisions quand il le faut. Tout ce qui est dit de négatif sur l’Université d’Ottawa lui nuit, particulièrement dans l’espace francophone depuis six mois et quelques semaines. Ce n’est pas bon signe que l’université réagisse trop à certaines choses et pas assez à d’autres », croit le professeur en communication.

Questionné par ONFR+, le bureau du Ministre des Collèges et Universités Ross Romano a refusé d’indiquer si le gouvernement avait toujours confiance envers l’administration ottavienne.

« Nous reconnaissons que les établissements postsecondaires de l’Ontario sont des entités autonomes et sont responsables de l’élaboration de politiques et de procédures pour régir leurs établissements. La politique de liberté d’expression sur les campus protège non seulement la liberté d’expression, mais garantit que les discours de haine, la discrimination et d’autres formes de discours illégales ne sont pas autorisés sur les campus », a écrit le bureau du ministre dans un échange de courriels.

Les professeurs dénoncent le double standard sur la liberté d’expression dans le dossier de Mme Lieutenant-Duval et celui de Amir Attaran.

« Ça veut dire qu’à l’Université d’Ottawa, il y a une minorité qu’on peut ostraciser sans problème. Je ne peux pas croire qu’un professeur aurait pu dire des choses similaires à propos des Juifs, des Noirs ou de toute autre minorité. Je ne peux pas le croire! Il y a un double standard à l’Université d’Ottawa et ça m’inquiète. C’est mauvais pour la réputation de l’institution », affirme le professeur Bernier.

Une tendance « inquiétante » pour les francophones

Pour ces professeurs, les récents événements devraient être une source d’inquiétude pour l’éducation postsecondaire dans la francophonie ontarienne.

« Ce n’est pas une bonne chose. L’Université d’Ottawa est une grande université qui donne des services depuis 1848 aux Franco-Ontariens. Alors on n’a pas avantage à la voir affaiblie dans son côté francophone parce que c’est tout le côté culturel franco-ontarien qui va ultimement en subir les conséquences », croit Charles Le Blanc.

De son côté, le professeur et politologue François Charbonneau s’inquiète de voir que le peu de réactions aux propos du professeur Attaran démontre une certaine normalisation de la haine anti-francophone.

« À deux moments, l’Université a laissé la parade passée en laissant se déverser une haine francophobe sans retenue sur les réseaux sociaux. C’est très inquiétant. On se demande si on comprend à quoi sert cette institution et quelle place elle joue », dit M. Charbonneau qui précise toutefois être en faveur de la liberté d’expression du professeur anglophone.

François Charbonneau de l’Université d’Ottawa. Archives ONFR+

Pour ce dernier, les propos de Amir Attaran pourraient avoir une possibilité de décourager des étudiants québécois à ne pas venir à l’Université d’Ottawa et ainsi faire baisser le nombre d’étudiants francophones au sein de l’établissement.

« Près de la moitié des étudiants francophones sont des Franco-Ontariens. Ensuite, l’autre moitié représente les étudiants québécois, internationaux et quelques-uns des autres provinces. Le gros contingent après celui des Franco-Ontariens est celui des Québécois. Alors, il y a raison de s’inquiéter. »

Pas d’accord avec les propos, dit le syndicat

Pour le syndicat des étudiants de l’Université d’Ottawa (SÉUO), on affirme « ne pas être d’accord » avec la façon et les propos qu’a utilisés le professeur de la Faculté de droit pour dénoncer le problème du racisme systémique au Québec.

« C’était mal dirigé, mais je pense qu’il voulait parler du racisme systémique au Québec et je pense que cette manière de parler du Québec bashing de la part des premiers ministres Legault et Trudeau a été une manière d’éviter d’aborder le problème du racisme systémique », explique le président du SÉUO, Babacar Faye.

Le syndicat refuse, contrairement à certains professeurs de faire un lien entre ce qui se passe entre l’histoire du « mot en n » et l’affaire Attaran, arguant que ce sont deux dossiers différents. Le syndicat dénonce toutefois l’image négative et toute la polarisation qu’a pris le dossier depuis cet événement.

Le SÉUO en demande plus de la part des dirigeants de l’Université dans la lutte contre le racisme et ne croit pas qu’un changement à la gouvernance changerait grand-chose.

« Peu importe qu’on fasse appel à la position du recteur ou pas, il n’y aura pas de changement sans responsabilisation dans le dossier. (…) Ça ne change rien si on dit qu’on n’a pas la confiance en le recteur ou en l’administration, car on ne sait pas si c’est la position de l’administration ou du recteur actuellement », affirme M. Faye.