Dix ans de toponymie franco-ontarienne à Orléans
OTTAWA – Le 10 septembre dernier, la Société franco-ontarienne du patrimoine et de l’histoire d’Orléans (SFOPHO) procédait au lancement de son septième livre d’histoire au Centre culturel du MIFO, à Orléans, devant une salle remplie. Signe que la toponymie francophone est depuis longtemps une source de préoccupation et de fierté chez les résidents de ce bastion de l’Ontario français.
La toponymie francophone a toujours été une source de préoccupation dans cette localité mi-urbaine et mi-rurale de l’est de la ville d’Ottawa.
En effet, à la veille de son centième anniversaire de fondation, en 1957, l’autorité municipale locale (le conseil du village partiellement autonome de St-Joseph d’Orléans) francise tous les noms anglophones de rues. C’est ainsi que Cumberland, Sophia et St. Peter sont remplacés par Champlain, Maisonneuve et St-Pierre.
En 1985, au moment du 125e anniversaire d’Orléans et de sa paroisse catholique francophone, une deuxième vague de commémoration toponymique francophone survient.
La Commission des loisirs d’Orléans dresse une liste préparée par des élèves du secondaire de noms à faire commémorer dans la toponymie qu’elle remet à la Ville de Gloucester. La quasi-totalité des suggestions est entérinée et plusieurs parcs de la municipalité prennent alors un nom d’une famille francophone pionnière d’Orléans comme Boyer, Major, Perrault, Racette, Rocque et Roy.
Fait peu connu, dans les années 1980, le canton de Cumberland (dont une partie du territoire se trouvait à Orléans) avait même adopté une politique de dualité toponymique : pour chaque nouveau nom anglophone de rue ou de parc, un nom francophone devait aussi faire son apparition à proximité et vice-versa.
Enfin, lors de la création de la SFOPHO (en 2011, un an après le 150e anniversaire d’Orléans), la toponymie francophone s’impose rapidement comme une priorité des activités de la société d’histoire.
Il faut dire que l’importance de s’intéresser à la toponymie francophone d’Orléans avait été ravivée quelques années plus tôt, en 2007, par le changement controversé et sans consultation publique du nom du Complexe récréatif d’Orléans au profit d’un nom anglophone.
Ce complexe récréatif municipal (ouvert en 1980) avait été un projet porté par les villageois d’Orléans et ses organismes, dont au premier chef la Chambre de commerce d’Orléans. Sa construction avait été en grande partie financée par des dons de la communauté.
C’est Gérald Poulin (1931-2022), un Orléanais engagé et un pilier de la francophonie qui avait mené avec brio la campagne de financement.
Au terme de cette campagne, en guise de reconnaissance, la ville de Gloucester avait nommé un parc à son nom (et de son vivant!) à Orléans.
M. Poulin avait lui-même suggéré en 1968 que la rue Carrière (où se trouve le MIFO, l’École secondaire catholique Garneau et l’École élémentaire catholique St-Joseph-d’Orléans) soit nommée en honneur de l’éducateur franco-ontarien Laurier Carrière (1909-1982).
2013 : le Centre récréatif François-Dupuis
La poussière était à peine tombée sur le changement de nom du Complexe récréatif d’Orléans que la ville d’Ottawa avait annoncé la construction à l’autre extrémité d’Orléans d’un nouveau centre récréatif qui allait devenir la première piscine intérieure construite par la ville depuis la fusion municipale de 2001.
L’apprenant par la lecture des journaux et comme les questions toponymiques m’ont toujours intéressé (ce fut, enfant, ma porte d’entrée pour m’intéresser au patrimoine), j’ai l’idée de faire commémorer celui qui fut officieusement le fondateur d’Orléans et qui n’avait rien commémorant son nom, le pionnier François Dupuis.
En effet, la rue Dupuis qui a existé à Orléans depuis le premier plan de la localité, datant de 1858, a changé de nom en 2002, la ville d’Ottawa voulant éviter depuis la fusion municipale les dédoublements de noms sur son territoire.
Au cours de mes recherches sur l’histoire d’Orléans, je découvre que François Dupuis, originaire de Varennes et né vers 1785 est un vétéran de la Bataille de la Châteauguay lors de la Guerre de 1812. Il s’est installé dans ce qui allait devenir Orléans dans les années 1840 et avait été choisi par ses pairs pour faire les démarches auprès du premier évêque catholique de Bytown, Mgr Joseph-Bruno Guigues pour y établir une paroisse. M. Dupuis invite aussi d’autres francophones de la vallée du Saint-Laurent à venir s’installer sur un territoire qui allait devenir en 1867 (soit 7 ans après la fondation d’Orléans), la province de l’Ontario.
Après le décès de M. Dupuis en 1868, de nombreux de ses descendants continuent de vivre à Orléans.
Je décide donc de lancer une pétition pour faire commémorer François Dupuis. L’élève du secondaire que j’étais à ce moment-là et qui en était au début de son implication communautaire franco-ontarienne sera vite rejoint par Louis Patry qui s’était opposé publiquement au changement de nom du complexe en 2007.
Un allié inattendu nous appuie aussi : le candidat Stephen Blais, qui en était à sa première élection municipale, signe la pétition pour faire commémorer dans la toponymie François Dupuis. À l’élection municipale de 2010, le candidat déloge le conseiller sortant et honore son engagement électoral. Malgré une nouvelle politique de la ville qui s’apprêtait à commencer à vendre la toponymie de ses installations municipales à des commanditaires, son appui facile grandement les choses jusqu’à l’adoption à l’unanimité par le conseil municipal en 2012 de nommer sa plus installations municipale le Centre récréatif François-Dupuis.
Ouvert le 29 avril 2013 (suivi d’une cérémonie protocolaire en présence du maire d’alors Jim Watson le 16 juin de la même année), le centre fut agrandi en 2017. Mine de rien, il devient alors le seul des trois complexes récréatifs municipaux d’Orléans à avoir un nom francophone. Un tournant.
Pour la petite histoire : bien que mon nom n’y apparaît pas, c’est moi qui ai rédigé la plaque commémorative sur François Dupuis qu’on trouve à l’intérieur du bâtiment.
Mettre les accents là où il le faut
Louis Patry avait été parmi les membres fondateurs de la SFOPHO, fondée en 2011, tous les deux siégeant à son premier conseil d’administration.
En 2012, tous les deux, nous avons rédigé les premières études de la SFOPHO, qui portaient sur la toponymie francophone à Orléans. M. Patry s’est concentré sur le nom d’entreprises et commerces qui abordent l’accent aigu sur le nom Orléans, tandis que moi, j’ai passé au peigne fin toute la liste des noms de rues, parcs et bâtiments publics d’Orléans.
La lutte pour faire reconnaître l’importance d’orthographier Orléans avec un accent est passée à la légende. Ce combat épique, devenu même mythique en Ontario français fut entre autres immortalisé dans le refrain dans de la chanson Notre Place de feu Paul Demers. L’hymne officiel des Franco-Ontariens (reconnu par la province depuis 2017) rappelle que pendant dix ans, les Franco-Ontariens d’Orléans ont lutté pour obtenir une reconnaissance officielle de l’Ontario pour que le nom de leur localité s’écrit en français, avec un accent aigu, en reconnaissance de l’histoire et des origines du secteur.
Or, malgré cette décision en dernière instance de la Commission de toponymie de l’Ontario en 1994, plusieurs entreprises d’Orléans continuaient à mal orthographier le nom d’Orléans.
Dans l’étude menée par M. Patry, on constatait que c’était même la majorité des commerçants qui oubliaient l’accent.
De mon côté, j’ai calculé que grosso modo un tiers de la toponymie d’Orléans était francophone. Une proportion semblable au nombre de francophones dans la localité. Or, cette statistique était faussée par le fait que la majorité des noms francophones provenait de noms d’avant la fusion municipale avec Ottawa et que depuis la fusion, les noms francophones dans la toponymie diminuaient.
De nos deux rapports, la SFOPHO a créé le Comité pour l’amélioration de place des noms francophones à Orléans (CAPNFO), en 2012. Le vice-président fondateur de la SFOPHO, Louis Patry, en a pris la présidence et préside à ce jour le comité de bénévoles.
Grâce aux efforts de sensibilisation de ce comité de toponymie, l’accent sur Orléans est majoritairement revenu chez les commerçants et le CAPNFO a réussi à faire commémorer en une décennie une vingtaine de noms de rues, parcs et aréna municipaux.
Le CAPNFO a également assuré le suivi de mon rapport où j’avais identifié des fautes d’orthographe de lieux déjà désignés. C’est ainsi que le parc « Barnabe » est redevenu à juste titre le parc « Barnabé » sur les panneaux municipaux.
Soulignons qu’outre les idées du CAPNFO d’autres noms francophones ont fait leur apparition dans la toponymie au cours des dix dernières années à Orléans. Mentionnons la rue Antonio-Farley, la rue Napoléon, la rue de la Famille-Laporte, la rue Esdras-Therrien, la promenade Jérôme-Jodin, la promenade Décoeur, la promenade Gerry-Lalonde ou encore le parc Ouellette et le parc Don-Boudria.
En chroniques et en livres
Il y a dix ans, j’avais attiré l’attention de M. Patry sur la chronique toponymie, rédigée par Luc Laporte et ensuite Yannick Labossière que publiait le journal Perspectives Vanier. Il a repris l’idée et avec les membres bénévoles du CAPNFO ont commencé à faire publier des chroniques dans le défunt journal L’Express d’Ottawa et ensuite, dans L’Orléanais. À ce jour, 86 chroniques ont été publiées.
Cette prépublication de chroniques dans les journaux communautaires francophones a été suivie en 2017 d’une compilation en forme de livre, paru sous l’égide de la SFOPHO. L’histoire d’Orléans (Ontario) en bref et de sa toponymie française a été inspirée par un livre paru en 2013 par Paul-François Sylvestre Toronto et sa toponymie française : guide illustré des noms de rues et de parcs.
C’est le tome deux de cette série de la SFOPHO de livres sur la toponymie d’Orléans qui a été lancée le 10 septembre dernier.
Richement illustré en couleurs, l’ouvrage bilingue (grâce à subvention du programme « Ottawa, ville bilingue » de l’ACFO Ottawa) fut épuisé moins de 24 heures après sa sortie! Un deuxième tirage du livre vient de paraître et est disponible à la vente.
Avis aux intéressés qui se cherchent une idée d’achat patrimonial dans le cadre de la campagne provinciale communautaire : « Le 25 septembre, j’achète un livre franco-ontarien! » qui bat présentement son plein.