C'est aujourd'hui que les Français établis en Ontario peuvent voter en personne dans les bureaux de vote de Toronto et Ottawa. Photo : Canva.

Ce samedi, les Français de l’étranger, qui n’ont pas voté en ligne ente le 25 et 27 juin, pourront le faire en personne pour le premier tour des élections législatives qui se tiendra ce dimanche dans l’Hexagone. ONFR est allé prendre la température auprès des Français de l’Ontario pour cette élection qui pourrait voir le Rassemblement National de Jordan Bardella obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale. 

Retour en arrière le 9 juin dernier, après la victoire du Rassemblement National (RN) aux élections européennes avec un score de 31,4 % pour le parti mené par Jordan Bardella. Le président de la République Emmanuel Macron a alors créé la surprise générale en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, précipitant des élections législatives, qui se tiendront en cette fin de semaine, ce dimanche 30 juin, pour le premier tour. 

Une décision qui a également surpris de l’autre côté de l’Atlantique. Joël Etienne est un avocat dans divers domaines, né au canada mais de nationalité française par sa mère. Il est très intéressé par la politique française, même s’il avoue ne pas être actif, ne votant pas toujours pour les diverses élections françaises, se concentrant sur ses engagements politiques au Canada. Pour lui, la décision d’Emmanuel Macron est très difficile à comprendre. 

« Pour moi, c’était un coup de tête instinctif pas nécessairement calculé et je pense qu’il va payer le prix fort pour ça. » 

Un avis partagé par un autre citoyen français vivant au Canada depuis 2020, et qui a souhaité conserver l’anonymat. Ce dernier résume bien un sentiment général partagé par beaucoup de Français en métropole mais aussi à l’étranger. 

« C’était une grande surprise. Je dirais que c’était un choc, comme pour beaucoup. Je ne m’y attendais pas du tout, cela m’a pris un peu de cours. C’est une décision que j’ai un peu de mal à comprendre stratégiquement et politiquement. »

Sous la Cinquième République, il s’agit seulement de la sixième fois qu’un président a recours à la dissolution de l’Assemblée nationale. La dernière en date remonte au 21 avril 1997 sous la présidence de Jacques Chirac. Il s’en était suivi à l’époque une cohabitation entre un président de droite et un gouvernement de gauche.

« Je n’aurais jamais imaginé voir ça »

Cette fois, la situation pourrait se répéter avec le RN, anciennement Front National (FN), parti politique dirigé par la famille Le Pen. Si le parti fait tout pour se moderniser en travaillant sur une image plus lisse, notamment à travers les efforts de sa nouvelle tête d’affiche Jordan Bardella, il n’a pas non plus totalement fait oublier ses racines d’extrême droite. 

Marcelle Lean dit s’être replongée de plus près dans les actualités françaises depuis la guerre en Ukraine et suivre de près les élections législatives. Photo : gracieuseté de Marcelle Lean

L’idée qu’un tel parti puisse arriver au pouvoir inquiète énormément Marcelle Lean. La directrice et fondatrice de Cinéfranco a quitté la France depuis plus de 50 ans mais conserve de la famille et de nombreux amis en métropole, notamment en région parisienne où elle a grandi, du côté de Sarcelles, mais aussi à Strasbourg. 

Si elle confie ne plus être en mesure de pouvoir voter du fait qu’elle n’ait pas renouvelé ses papiers français, ces derniers événements l’ont poussée à se mobiliser et à vouloir faire les démarches pour redevenir active dans sa participation citoyenne. Madame Lean a d’ailleurs suivi la campagne pour les législatives de près, notamment à travers les débats organisés entre les différents représentants des partis. 

« Je suis très inquiète parce que le débat que j’ai suivi mardi m’a montré un Jordan Bardella arrogant qui était sûr de devenir le premier ministre à Matignon. Il se posait déjà comme gagnant. Alors que ce débat a démontré l’incompétence totale et l’ignorance du RN et de la gauche par rapport à tout ce qui touche aux finances en France. »

Entretenant une relation particulière avec la France, du fait des ses origines haïtiennes du côté de son père, et française du côté de sa mère, avec un grand-père maternel héros de guerre décoré par Charles De Gaulle, Joël Etienne apporte une perspective historique sur l’évolution des idées politiques en France. 

« J’ai toujours eu ce regard sur la politique française entre la droite, les socialistes et les descendants de la France de Vichy, depuis que je suis jeune. Ce que je trouve intéressant aujourd’hui, c’est cette fluidité idéologique et politique sans précédent. Pour moi, Mitterrand et De Gaulle doivent se retourner dans leurs tombes. Voir que le RN, les descendants de Vichy, puissent prendre les législatives, c’est une chose qui était impossible dans ma tête. Je n’aurais jamais imaginé voir ça », déclare celui-ci.  

Il poursuit : « Le vote pour le FN a toujours été un vote de contestation, mais personne ne voyait cela comme une possibilité réelle d’accéder au pouvoir pour ces gens-là. Qu’un parti avec cette histoire pro-Vichy, puisse accéder au pouvoir à l’Assemblée nationale, c’est quelque chose… » 

Vu du Canada, Joël Etienne trouve la situation politique actuelle en France totalement incompréhensible. Photo : Gracieuseté de Joël Etienne

Faire barrage?

Historiquement, lors des grandes élections, les Français ont fait barrage à l’extrême droite en se mobilisant pour empêcher le FN d’accéder au pouvoir, comme lors des élections présidentielles de 2002 et de 2017.

Le citoyen français témoignant anonymement n’imagine quant à lui pas le RN être en mesure de prendre le pouvoir. 

D’expliquer : « J’ai confiance dans le fait que le RN aura du mal à avoir plus de 40 % des voix et que les autres votant se rabattront sur les opposants. Donc, ça fera barrage. Après, je ne suis pas sûr qu’une force politique se dégage de ces élections. Honnêtement, le vote Front Populaire je n’y crois pas vraiment parce qu’il y a beaucoup de divisions en interne et je ne suis pas sûr qu’ils arrivent à former un gouvernement. Je pense qu’on va avoir un beau bazar après ces élections sans forcément avoir de vainqueur clair. On verra et j’espère me tromper. » 

Cette absence de force politique adverse pour faire front ne rassure pas non plus M. Etienne. 

« Mais où est le barrage cette fois? Jean-Luc Mélenchon? Ironise-t-il. Je ne vois pas, si ce n’est Emmanuel Macron lui-même, d’où le blocage au RN pourrait venir. Ma perspective est la suivante : je me demande si la France, le pays des droits et des libertés, le pays des droits de l’homme, de la Révolution française, pourrait vraiment basculer », questionne l’avocat.

Un sentiment partagé par Mme Lean qui craint une bataille des extrêmes au second tour.

« Au deuxième tour on va se retrouver avec quoi? Un choix entre le RN et la France Insoumise? Je ne dis même pas la gauche, mais la France Insoumise, ajoute la fondatrice de Cinéfranco. Selon moi, la France se dirige vers une catastrophe, à la fois politique, économique et humaine, où les ambitions vont instrumentaliser les fractures qu’il y a dans la société française. Mélenchon utilise les musulmans pour arriver à ses fins alors que le RN utilise les nationalistes, il faut le dire, pour combattre l’immigration. Ils vont vraiment exploiter ces fractures. »

« Il y a un ras le bol des Français, poursuit-elle, mais cette montée de l’extrême droite un peu partout en Europe, c’est vraiment inquiétant. »

Tous les regards seront rivés vers les résultats ce dimanche en attendant le deuxième tour qui est programmé pour le 7 juillet prochain.