Faut-il s’inquiéter pour les programmes francophones de l’Université d’Ottawa?
OTTAWA – L’Université d’Ottawa aspire à rétablir sa situation financière à long terme, mais elle avance des données difficiles à corroborer. Ce jeudi, le recteur de l’Université, Jacques Frémont, a annoncé par voie interne que l’établissement faisait face à un sous-financement spécifique à sa mission francophone, s’élevant à 50 millions de dollars annuellement. Cependant, aucune information détaillée n’a été fournie sur la méthodologie utilisée pour parvenir à cette estimation.
« De ce que je comprends, des chiffres circulent au ministère, mais nous n’avons aucune idée de ce que représentent ces 50 millions de dollars », déclare Geneviève Tellier, professeure à l’Université d’Ottawa.
Dans la missive du recteur, sont énumérées les multiples raisons des difficultés que l’Université traverse. Jacques Frémont accuse notamment le gel des subventions de fonctionnement offertes par la province, le gel des droits de scolarité pour les résidents ontariens, et la baisse de 10% de ces droits de scolarité pour les étudiants canadiens : « Enfin, il faut mentionner le sous-financement chronique de notre mission francophone qui est chiffré à 50 millions de dollars annuellement – et qui a été récemment reconnu par un rapport de la province. »
C’est là que ça cloche.
Dans le rapport susmentionné et intitulé « Assurer la viabilité financière du secteur de l’éducation postsecondaire de l’Ontario », les experts indiquent : « L’Université d’Ottawa a mis en évidence une insuffisance d’environ 50 millions de dollars, par rapport à la part des subventions à des fins particulières qui lui est octroyée au titre des programmes en français, pour couvrir l’intégralité des coûts de prestations connexes. »
Mais plus bas, « si les membres du Groupe d’experts ne sont pas en mesure de vérifier ce calcul de leur côté, nos observations antérieures semblent vivement justifier à première vue un réexamen approfondi du montant total de la subvention et de la formule d’allocation ».
Dans ce même document, publié en novembre 2023, nous apprenons que « l’Université d’Ottawa perçoit 42 % du montant des subventions revenant aux universités, et 29 % du montant alloué aux universités et aux collèges ».
« Comment l’argent est dépensé actuellement? » se questionne la professeure.
D’après Geneviève Tellier, dont l’expertise touche le domaine des politiques budgétaires et des finances publiques des gouvernements : « C’est un gros mystère. Est-ce que de l’argent est versé pour offrir des programmes aux francophones qui de toute façon auraient été financés? Ou bien est-ce versé spécifiquement à des programmes qui pourraient être abolis, s’il n’y avait pas cet argent-là? »
Rétablir la santé financière de l’Université à long terme
En analysant les récents états financiers de l’Université, on observe une augmentation des charges et avantages sociaux au cours de l’année 2022/2023.
Cependant, après avoir soustrait les produits tels que les dons, subventions, revenus et droits de scolarité, ainsi que les charges de l’institution, le déficit enregistré ne correspond pas à la somme avancée. Par conséquent, ce manque à gagner de 50 millions de dollars lié aux programmes en français n’est pas clairement identifié dans l’exercice financier.
« Pour cette année, le recteur prévoit un déficit total de 48 millions de dollars, bien que cela me paraisse peu », estime la chercheure.
« Ce qui est étrange », reprend-elle, « c’est que ça fait des années que toutes les universités nous disent que ça va mal, et finalement, on fait un surplus à la fin de l’année ».
« Ça crie au loup depuis des années et des fois, c’est pour justifier des coupures », alerte-t-elle.
Selon Mme Tellier, les dernières années ont été difficiles, marquées notamment par le gel des embauches et des compressions dans certains services, principalement au niveau administratif.
« C’est la première fois que nous recevons une lettre du recteur. Nous ne voulons pas qu’il interfère avec nos conventions collectives. Il prévoit justement discuter avec les syndicats. »
« L’autre aspect abordé dans sa lettre affirmait que nous avions choisi de maintenir les frais de scolarité plus bas que dans d’autres établissements. Tout d’abord, pourquoi cette décision? »
Risque d’un événement similaire à l’Université Laurentienne
S’il faut s’inquiéter pour les programmes francophones, Mme Tellier croit que ce sont les cours où il y a le moins d’étudiants par classe et les programmes dans lesquels il y a le moins d’inscriptions qui passeront à la trappe en premier.
« Ce sont ceux où il y a des francophones, ça c’est évident et c’est exactement ça qui est arrivé à la Laurentienne. »
Il faut s’inquiéter, conclut-elle. « Il y a déjà le programme de traduction qui a été aboli. On disait que les inscriptions étaient faibles. C’est peut-être le cas, mais quand vous êtes une université bilingue à Ottawa et que vous n’êtes pas capable de remplir le programme de traduction, alors que le gouvernement manque de traducteurs, c’est qu’il y a un problème. »
Le bureau du recteur de l’Université a refusé de nous accorder une entrevue.