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Forum sur l’économie bleue : « Ouvrir une ligne maritime directe entre Canada et Afrique »

Yaye Peukassa a fondé Pont-Bridge Canada il y a deux ans. Gracieuseté de Yaye Peukassa

Yaye Peukassa est le président-directeur général et fondateur de Pont-Bridge Canada, basée à Ottawa et North Bay, une firme de relations gouvernementales, de développement des affaires et de promotion des investissements qui œuvre dans le renforcement de la coopération économique entre le Canada et l’Afrique.

Ce mardi après-midi, l’organisme a tenu une conférence de presse annonçant l’élaboration d’un tout premier forum sur l’industrie portuaire et l’économie bleue visant à favoriser les échanges maritimes entre l’Afrique et le Canada. Une occasion pour l’Ontario français pourrait tirer son épingle du jeu, en raison du nombre important de locuteurs francophones en Afrique de l’Ouest, entre autres.

La création de ce forum intervient au milieu de la guerre commerciale avec les États-Unis qui continue d’instaurer une grande incertitude économique sur le Canada. Le gouvernement canadien et la province de l’Ontario ont avancé une volonté de diversifier l’économie en se tournant vers d’autres horizons.

«  En quoi va consister ce nouveau forum?

Le Forum Afrique-Canada sur l’industrie portuaire et l’économie bleue se veut être une plateforme pour réfléchir sur les enjeux auxquels font face les entreprises du Canada, au milieu de la guerre tarifaire. Parce que ces entreprises sont complètement prises au dépourvu et dépendent des États-Unis, ce forum va explorer justement des nouveaux marchés et sources d’approvisionnement pour les entreprises d’ici.

L’objectif c’est aussi de positionner le Canada sur un marché de plus d’un milliard de consommateurs qu’est l’Afrique et d’ouvrir une ligne maritime directe entre le Canada et l’Afrique sans passer par l’Europe, d’ici quatre ans. La réalité, aujourd’hui c’est que pour envoyer un silo à Douala au Cameroun, chez moi, ça prendrait 50 jours. Ce n’est pas bon pour les affaires. Il y a un vrai travail à faire pour augmenter le commerce entre le Canada et l’Afrique.

Quand et où aura lieu la première rencontre de ce forum?

La première édition aura lieu le 8, 9, 10 octobre prochain à Moncton, au Nouveau-Brunswick.

Un agenda est-il déjà défini pour les discussions à venir?

Les agendas sont en cours de conception, mais ça va regrouper des thématiques qui vont aller de l’élaboration d’un corridor économique solide à la diversification des marchés et des sources d’approvisionnement, mais aussi la piraterie qui empêche la performance de certains couloirs maritimes.

Quelles pourraient être les retombées concrètes pour le Canada, et en particulier pour l’Ontario francophone, dans ce partenariat?

L’opportunité pour l’Ontario français est incroyable. Au Canada, quand on parle de l’Afrique, les gens d’affaires ont tout de suite tendance à penser que c’est trop loin et dans certains cas même, un continent pauvre. Pourtant, l’Afrique est juste à sept jours de navigation, à partir du port autonome de Tanger, du Canada. L’Afrique est plus proche du Canada que certains ports d’Europe ou de l’Asie donc il est essentiel de comprendre le potentiel de ce marché qui est le plus grand marché unifié au monde avec la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf).

On parle d’un marché de 3,4 trillions de dollars et dont la dépense des ménages ne cesse d’augmenter, en 2015, la Banque mondiale estime que celle-ci devrait atteindre 6,6 trillions de dollars d’ici 2030. Quand on sait que 5% de la population canadienne est d’origine africaine et dix pays d’Afrique figurent parmi les 20 pays les plus en croissance au monde, c’est évident qu’il y a là une opportunité inestimable.

Le fait qu’un bon nombre de pays ouest-africains, notamment, ont le français comme une des langues officielles pourrait-il avantager les échanges avec l’Ontario français?

 Les francophones ont un atout considérable dans ce corridor-là, c’est indéniable. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui il faut être capable de se positionner sur un marché comme celui-là pour être capable de garantir la survie de demain. À l’horizon 2100, huit locuteurs et demi francophones au monde seront en Afrique. Maintenant, est-ce qu’on veut bâtir une économie francophone ouverte sur l’internationale, moins communautaire, et de rêver de trouver du fromage de St-Albert sur les étalages d’une épicerie d’Abidjan ou de Tunis? C’est une vraie possibilité.

Dans cet écosystème-là, il faut que les chaînes de supermarchés canadiens, comme Loblaws ou Sobeyes,  jouent un rôle de premier plan. La délocalisation de ces supermarchés va servir de relai de produits directement exportables et c’est exactement ce qu’on voit avec Carrefour, qui a pignon sur rue dans n’importe quel pays d’Afrique.

Quels sont les ports en Ontario qui sont les mieux positionnés pour jouer un rôle central dans cette coopération?

Quand on parle d’un Forum sur l’industrie portuaire et l’économie bleue, on ne parle pas seulement de ports. L’industrie portuaire doit être vue comme le véritable catalyseur des gens d’affaires. Tu ne peux pas être un homme d’affaires extrêmement solide et ancré sans faire affaire avec un port. En Ontario, c’est exactement ce qu’on voit. Ce n’est pas tant ce que les ports de l’Ontario peuvent en tirer, mais c’est ce que les gens d’affaires sont capables de tirer de cet écosystème que l’on est en train de bâtir.

L’Ontario est un leader naturel de l’économie bleue, avec la protection des fonds marins, la digitalisation des ports, l’usage de l’intelligence artificielle dans la décongestion des ports, qui est un vrai problème en Afrique.

Quels pays africains sont déjà impliqués ou pressentis pour participer à ce forum?

En ce moment, on parle de toute la côte ouest-atlantique du continent africain, soit un réseau de 38 ports africains qui va débarquer sur la façade atlantique du Canada. On pense au port d’Abidjan, Douala, Lomé, Tanger, etc.

Quels acteurs canadiens, publics ou privés, seront invités à la table?

L’objectif est de créer un environnement qui va permettre l’exportation des produits canadiens et l’importation des matières premières pour l’industrie canadienne. On veut réunir les importateurs africains et les exportateurs canadiens autour de la table et voir ce qu’ils pourraient échanger entre eux. En dehors des ports, ce sont près de 25 organisations patronales africaines, des représentants gouvernementaux qui vont venir chercher des opportunités d’affaires.

Concrètement, qu’est-ce qui pourrait transiter?

Je vais vous donner un exemple. L’année dernière, la Côte d’Ivoire a importé, à elle seule, plus de 40 millions de dollars de pomme de terre en provenance de la France et des Pays-Bas. Le Canada est un des gros producteurs de pommes de terre, alors on peut imaginer le potentiel avec un corridor de sept jours de navigation. En dehors de cela, il y a les services. On sait que 35% des fruits de mer pêchés sur les côtes du Sénégal et de Mauritanie sont perdus parce qu’il n’existe pas de véritable chaîne de froid. Le Canada a une expertise en la matière et pourrait permettre de sauver ces produits. »