Garderies à 10 $ : les établissements francophones s’attendent à une aggravation de la pénurie du personnel

La pénurie en personnel dans les garderies franco-ontariennes pourrait s'aggraver.
Après la signature de l'entente avec le gouvernement fédéral, les garderies franco-ontariennes prévoient manquer de personnel. Crédit image : Westend61 via Getty Images

Si la nouvelle de la signature de l’entente avec le gouvernement fédéral concernant les garderies à dix dollars par jour a été accueillie comme un soulagement par les parents, l’accord national soulève, à juste titre, quelques grandes inquiétudes chez les responsables des garderies francophones. L’exacerbation de la pénurie actuelle du personnel en est une.  

La députée provinciale du Nouveau Parti démocratique et porte-parole de l’opposition en matière d’apprentissage des jeunes enfants et garde d’enfants, Bhutila Karpoche, a tiré la sonnette d’alarme en chambre au lendemain de la signature historique de l’entente sur les garderies entre le fédéral et l’Ontario. « Il existe une pénurie du personnel dans les garderies et il faut s’attendre à ce que ce déficit s’accentue avec cette nouvelle entente », a-t-elle lancé au bord d’en face.

Il faut dire que le problème se pose déjà dans la province et dans une large mesure dans les garderies francophones, et ce pour la simple raison que, de par leur nature, ces établissements nécessitent du personnel non seulement qualifié, mais également spécialisé. 

« Le fait qu’il y est une telle baisse des prix va faire augmenter les demandes d’inscription, mais est-ce que les garderies vont être en mesure de les satisfaire? En ce moment, on a plusieurs de nos centres qui tournent à pleine capacité alors que dans certaines de nos garderies où on est autorisé à prendre 15 bambins et dix poupons, on accepte que dix bambins et six poupons parce qu’on n’a pas assez d’éducatrices », déplore Véronique Emery, directrice générale du réseau des garderies La Boîte à soleil.  

Véronique Emery, directrice générale du réseau des garderies La Boîte à soleil. Gracieuseté

Inéluctable bond des inscriptions

Les craintes de la directrice sont pour le moins fondées. En effet, l’Ontario est la province où la proportion des enfants en âge de fréquenter les services de garde est la plus importante du Canada.

Même si aucune étude prévisionnelle n’a été rendue publique dans ce sens à ce jour, le gouvernement prévoit une flambée des demandes d’inscriptions dans les garderies. Pour preuve, il compte, d’ici 2026, augmenter de 30 % le nombre de places en services de garde pour les enfants de cinq ans et moins.

« Même si on accueille  cette entente les bras ouverts, c’est certain qu’on avait des problèmes pour lesquels on n’avait pas encore de solutions et cette bonne nouvelle pourrait bien creuser encore plus le fossé », estime Hanane Jaouich, cofondatrice de l’agence francophone de garderies en milieu familial Bonjour Sunshine.

Hanane Jaouich, cofondatrice de l’agence francophone de garderies en milieu familial Bonjour Sunshine. Gracieuseté

Et d’ajouter : « Le nerf de la guerre dans les garderies francophones est l’embauche de travailleurs qualifiés. On s’attend à ce que les demandes d’inscriptions chez nous doublent après cette entente, surtout quand on sait que dans la région de Toronto ce sont 20 000 enfants qui sont déjà inscrits dans les listes d’attentes. »

Pour rappel, cet accord ambitionne d’inscrire à son programme près de 5 000 centres de garde d’enfants et services de garde d’enfants en milieu familial agréés d’ici le 1er septembre 2022.

Les mêmes inquiétudes émanent du côté des responsables du réseau des garderies francophones Le Petit Chaperon Rouge.

« Je pense qu’il y aura un problème pour répondre à la demande parce que celle-ci va augmenter d’une manière exponentielle après cette entente. De plus, à l’interne, le défi de recruter de nouvelles ressources qualifiées va se poser, parce que pour faire face à cette nouvelle demande, il va nous falloir plus de personnel qualifié afin de pouvoir maintenir le niveau de qualité des services que nous offrons aujourd’hui », prédit sa directrice des finances, Cynthia Kuassi.

Cynthia Kuassi, directrice des finances du réseau des garderies francophones Le Petit Chaperon Rouge. Gracieuseté

Les solutions

Face à ce défi de taille, les garderies francophones commencent d’ores et déjà à réfléchir à des solutions. Selon Véronique Emery, cela passe obligatoirement par une valorisation de la profession, laquelle n’est possible que par une bonification des salaires du personnel de la petite enfance.  

« La réalité est que les éducatrices sont sous-rémunérées et leur travail sous-apprécié. Cela entraîne un taux élevé d’épuisement professionnel en plus du stress de la nature du travail, alors que les enfants méritent d’être soutenus par des éducatrices en bonne santé physique et mentale. Ces dernières doivent se sentir en sécurité financière avec un salaire décent », explique-t-elle.

De son côté, la directrice générale des garderies francophones Le Petit Chaperon Rouge, Nadia Daoust privilégie, entre autres, les futurs lauréats des écoles : « On travaille en partenariat avec les collèges francophones de Toronto qui offrent des formations à la petite enfance pour accueillir des stagiaires. On a aussi le service des ressources humaines qui travaille à élaborer des tableaux de personnes qui pourraient être disponibles. Aussi, on élabore des partenariats dans des régions francophones en dehors du Canada pour recruter des personnes à l’externe. »

Nadia Daoust, directrice générale des garderies francophones Le Petit Chaperon Rouge. Gracieuseté

Quant à Hanane Jaouich, le salut pourrait bien venir des ratios en vigueur concernant le nombre d’enfants par éducatrice(eur)s.  

« Peut-être que les ratios doivent être augmentés ou réévalués. Le ratio par exemple dans les garderies en milieu familial est de six enfants par logement en Ontario alors que dans la province voisine, le Manitoba, il est de huit enfants par maison », compare-t-elle. 

Toutefois, les intervenants ne semblaient pas vouloir s’étendre plus que cela sur cette question de ratios, à l’image de Véronique Emery. « C’est un bon point, mais je n’entrerais pas dans ce débat », esquive-t-elle.