La foule assemblée aux côtés du nouveau monument sur la Seconde Guerre mondiale dévoilé lors d'une cérémonie le 15 juin dernier. Photo : Gracieuseté Mairie de Givenchy en Gohelle

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste en patrimoine Diego Elizondo.

Dans cette chronique, je vous emmène en France. Non pas pour parler des élections législatives éclair et surprises, ni du tournoi de soccer l’Euro, qui retiennent l’attention, mais pour vous raconter comment, grâce à un Franco-Ontarien, un nouveau monument vient d’être inauguré dans l’Hexagone sur un épisode d’histoire militaire canadienne méconnu et pratiquement oublié de la Seconde Guerre mondiale.

Le 15 juin dernier marquait l’aboutissement de recherches entamées il y a deux ans par le Franco-Ontarien Jean-François Born.

Ses recherches ont par moments pris les allures d’une enquête ou d’un scénario tout droit sorti de l’imagination du créateur de la série de bandes dessinées Lefranc et proche collaborateur d’Hergé, le bédéiste français Jacques Martin.

Tout commence avec une histoire que lui a souvent racontée son père à propos d’un écrasement d’avion. En effet, avant de quitter la France pour le Canada avec sa famille, son père habitait dans le village de Givenchy-en-Gohelle, dans le Nord de l’Hexagone. Dans le jardin de leur maison, on retrouvait souvent des pièces d’avion en aluminium. Des morceaux de cuir en décomposition, qui avaient été des gants d’aviateurs, témoignaient d’un tragique événement survenu lors de la Seconde Guerre mondiale dans ce village du Nord-Pas-de-Calais.

Le Franco-Ontarien Jean-François Born, instigateur du projet du monument en France, prend la parole lors de la cérémonie de dévoilement le 15 juin dernier. Photo : Gracieuseté Mairie de Givenchy en Gohelle

C’est à partir des souvenirs que lui avait racontés son père que Jean-François Born s’est décidé à faire de la recherche pour découvrir ce qui s’était vraiment passé dans la nuit du 13 au 14 juin 1944, et de commémorer la mémoire des aviateurs canadiens qui y ont péri. « Je voulais en savoir plus : qui étaient les membres de l’équipage? Que leur est-il arrivé? Quel a été l’impact sur leurs familles? Quelles étaient les conséquences à Givenchy? Comment nous souvenons-nous d’eux? Finalement, j’ai voulu que la mort de ces aviateurs soit marquée pour assurer la pérennité de leur mémoire », explique-t-il.

Pour parvenir à comprendre ce qui s’est passé, celui qui est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’Université d’Ottawa a mené ses recherches en mettant à profit des techniques apprises pendant ses études. Parmi ses nombreuses sources se trouvent la lecture de livres (parfois indisponibles au Canada), la recherche généalogique, la consultation d’archives militaires canadiennes ou encore des témoignages oraux de témoins encore vivants des événements, rencontrés lors d’un de ses voyages en France.

Les événements de la nuit du 12 au 13 juin 1944

Alors que l’espoir d’une victoire des Alliés allait grandissant avec le débarquement réussi survenu quelques jours plus tôt en Normandie, six aviateurs canadiens-anglais ont trouvé la mort dans la nuit du 12 au 13 juin 1944 dans le ciel du village de Givenchy-en-Gohelle, dans le Nord de la France.

En mission vers Arras, leur bombardier Halifax du 434e Escadron Bluenose de l’Aviation Royale canadienne a été surpris par un avion de chasse de la Luftwaffe allemande. Après un court combat, l’avion canadien est touché, endommagé, prend feu, s’écrase et explose.

Seul l’opérateur radio, Dorcas Crawford, a eu le temps de s’extraire du quadrimoteur et de sauter en parachute.

L’épave de l’avion s’écrase sur plusieurs terrains au coin des rues Jean-Jaurès et Marcel-Sembat, à Givenchy-en-Gohelle. Par chance, l’avion ne s’abat pas sur les bâtiments du village et ne fait aucune victime civile. En revanche, il y a de nombreux dommages matériels, notamment sur des maisons, en raison de la force de l’impact du crash de l’avion et des bombes qui ont continué d’exploser dans les heures suivant l’écrasement.

Commémorer pour ne pas oublier

Au terme de ses recherches, Jean-François Born avait trouvé la trace de six des sept familles impliquées dans le drame. Il s’imaginait qu’en guise de commémoration, une petite plaque pourrait être installé dans le village français où les aviateurs canadiens ont perdu la vie.

La commémoration a plutôt pris une plus grande ampleur, étant donné l’enthousiasme des gens de la localité pour ses recherches. De son propre aveu, ils ont dépassé ses attentes.

Lors d’un voyage en France en 2022, il a rencontré le maire et la directrice générale des services de Givenchy-en-Gohelle, la commune française située dans le département du Pas-de-Calais, en région Hauts-de-France, où s’est produit l’écrasement d’avion huit décennies plus tôt.

Par délibération, en date du 6 décembre 2023, le conseil municipal de Givenchy-en-Gohelle a décidé d’ériger un monument commémoratif pour honorer la mémoire de six aviateurs canadiens tués, lors de l’écrasement de leur avion, dans la nuit du 13 au 14 juin 1944.

Un hommage aux pilotes disparus a suivi le dévoilement du monument où repose dans le cimetière local deux pilotes canadiens tués il y a 80 ans. Photo : Gracieuseté Geslaw Seillier

Au lieu d’une petite et typique plaque en bronze, un monument en forme de stèle, en hommage aux aviateurs canadiens décédés, a été dévoilé au cours d’une cérémonie protocolaire et émouvante 80 ans, jour pour jour, après le tragique événement, le 15 juin dernier à Givenchy-en-Gohelle.

Les textes du monument, écrits dans les deux langues officielles du Canada, ont été rédigés par Jean-François Born lui-même. Sobre, la stèle, qui se trouve sur la rue Jean-Jaurès, à l’entrée du clos de la Maladrerie, a été installée non loin du lieu où l’avion s’est écrasé, Il s’agit d’une œuvre du graphiste Xavier Dumur qui a coûté quelque 14 180 € (environ 20 895 $ canadiens).

Dans la foule assistaient notamment des dignitaires politiques et militaires, ainsi que des descendants des aviateurs canadiens tués. La cérémonie a débuté par une fanfare dans les rues avoisinantes et s’est poursuivie dans le cimetière du village, où reposent deux des aviateurs canadiens.

Prenant la parole lors de la cérémonie, le maire de la Commune de Givenchy en Gohelle Pierre Sénéchal a déclaré à propos des six aviateurs canadiens tués : « Ces hommes ont donné leur vie pour notre liberté, pour notre droit à vivre avec nos différences, pour que la France reste la France, patrie des lumières, mère de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

Pour le premier magistrat, le monument « au cœur de notre village nous rappellera chaque jour la reconnaissance que nous devons au sacrifice de ces aviateurs, et à celui de tous les hommes et femmes morts pour nous et pour notre liberté ».

L’instigateur du projet, Jean-François Born, a conclu quant à lui en invitant d’autres personnes, dont les plus jeunes, à s’inspirer de sa démarche. « Il y a des centaines d’histoires comme celles des aviateurs […] pour les jeunes, ici, aujourd’hui, intéressez-vous aux histoires de vos grands-parents et de vos familles. Chacune de ces histoires est importante. »

Un Franco-Ontarien impliqué

Ce féru d’histoire militaire travaille à la fonction publique du Canada et habite à Orléans. Originaire de Toronto, il s’est installé à Ottawa au moment d’entamer ses études postsecondaires à l’université. 

Pendant ses temps libres, Jean-François Born s’implique dans la communauté franco-ontarienne depuis déjà quelques années.

Il était jusqu’à mercredi dernier président du Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO). Celui qui a répondu favorablement à l’invitation de Trèva Cousineau, en 2017, à la rejoindre au conseil d’administration du MIFO, a occupé plusieurs postes au sein du conseil et vient tout juste de céder sa place à la présidence. Pendant son mandat d’un an, un financement majeur de la part du gouvernement fédéral a été annoncé pour la construction du nouveau centre culturel de l’organisme. L’embauche d’une nouvelle direction générale a également été annoncée le même jour.

Jean-François Born, président du MIFO jusqu’à mercredi dernier lors de l’Assemblée générale annuelle, à Orléans, le 19 juin 2024. Photo : MIFO

Jean-François Born était également jusqu’à tout récemment membre du conseil d’administration de l’Association du patrimoine familial francophone de l’Ontario (APFFO) et a signé un texte sur son histoire familiale dans le tome 1 du recueil de famille publié par l’organisme. Il est aussi collaborateur occasionnel au magazine Le Chaînon, publié par le Réseau du patrimoine franco-ontarien. D’ailleurs, il a été le lauréat en 2022 du Prix Michel-Prévost, remis à l’auteur du meilleur article publié dans Le Chaînon, pour son texte Ernest Côté : un personnage légendaire, publié dans le numéro de l’été 2021 du (dernier) magazine franco-ontarien.

Fort du succès de sa commémoration à Givenchy-en-Gohelle, Jean-François Born a déjà été approché par une autre localité en France pour une commémoration semblable impliquant aussi un épisode méconnu et presque oublié de l’histoire militaire canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale.  

Mentionnons que le village de Givenchy-en-Gohelle est situé à deux kilomètres de la Crête de Vimy, célèbre lieu de bataille dans l’histoire militaire canadienne. Si les Canadiens ont déjà pour la plupart entendu parler de Vimy, l’histoire de l’écrasement de l’avion et de la mort des six aviateurs canadiens, survenue juste à côté en 1944, est maintenant sortie de l’ombre grâce au Franco-Ontarien Jean-François Born.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et du Groupe Média TFO.