Guy Mignault : une vie sur scène
[LA RENCONTRE D’ONFR]
Directeur artistique du Théâtre français de Toronto (TfT) pendant 20 ans, Guy Mignault, à la fois comédien, acteur, auteur et metteur en scène, vit pour le théâtre, son grand amour. Ce Québécois-Franco-Ontarien, Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres français, se découvre des talents naturels pour la scène dès le plus jeune âge. Durant sa carrière prolifique, il se distingue aussi au cinéma et à la télévision. Retour sur le parcours d’un prodige des planches du 6e art.
« Quel est votre rapport à votre double culture québécoise et franco-ontarienne?
Mon lieu de naissance, Hull, est de l’autre côté du pont d’Ottawa. Quand j’étais petit, on faisait une marche qu’on appelait « faire le tour des deux ponts », du pont Alexandria on passait devant le Parlement à Ottawa et on revenait par le pont des Chaudières. Quand ma tante disait « je m’en vais au marché » par exemple, c’était à Ottawa.
Il existe vraiment une culture hybride propre à la région littéralement et métaphoriquement à mi-chemin entre l’Ontario et le Québec. Il y a presque un statut particulier dans cette région au « sang-mêlé » de l’Outaouais ottavien, à cheval sur les deux frontières.
Est-ce que vous vous destiniez à devenir comédien/acteur ou l’êtes-vous devenu par hasard?
Une fois vers l’âge de 7 ans, je sautais sur le lit de mes parents qui s’apprêtaient à me disputer. Instinctivement, je me suis mis à leur raconter avec emphase comment on meurt par balle dans les Westerns (très à la mode à l’époque) à grand renfort de gestes théâtraux. Je me suis aperçu que j’avais le pouvoir de faire rire les gens et pense que tout est parti de là.
À l’âge de 15 ans déjà au pensionnat, je commençais à faire du théâtre. J’avais réécrit la pièce Cyrano de Bergerac, qui était compliquée, mais toujours en vers. C’était un collège pour garçons alors c’est mon ami Maurice qui jouait le rôle de Roxane, avec une mop à franges sur la tête en guise de perruque. Je me suis plus tard inscrit à l’école d’arts dramatiques de Hull où j’ai commencé à jouer plusieurs rôles, ce qui a confirmé mon goût de la scène.
Comment avez-vous fait vos débuts dans les milieux si différents du cinéma, de la télévision et du théâtre?
En sortant du conservatoire en 1970, dès l’âge de 22 ans, j’ai été administrateur culturel d’un théâtre de 500 places. Mais très vite, le besoin de jouer devant le public m’a rattrapé. De retour à Montréal, j’ai été choisi pour jouer dans le film de Jean-Pierre Lefebvre On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire, mon premier contact avec le cinéma.
Dans le même temps, j’ai travaillé sur ma première série télévisée, un programme pour enfants pendant plusieurs années. Après ça j’ai joué dans plusieurs compagnies comme le Théâtre du Nouveau Monde, le Théâtre de Quat’Sous, le Centre national des arts pendant trois ans, faisant la navette entre Ottawa et Montréal. En 82, le metteur en scène John Van Burek me propose d’incarner Arnolphe dans l’École des femmes, le plus long rôle que Molière ait écrit, au Théâtre du P’tit Bonheur (l’ancêtre du TfT) à Toronto. C’est ainsi que petit à petit, tout a commencé.
Si vous ne deviez en choisir qu’un, qu’est-ce qui vous a le plus défini en tant qu’artiste, le 6e (théâtre), le 7e(cinéma) ou le 8e art (télévision)?
Le théâtre, indubitablement. Le théâtre c’est exactement comme faire l’amour. Pourquoi cette métaphore? La scène et la salle acceptent ensemble de ne faire qu’un et de se répondre l’une à l’autre.
Au vu de votre longue expérience dans le métier, quelles qualités intrinsèques un bon acteur doit-il posséder selon vous?
L’écoute est primordiale. Il faut savoir écouter ce qui se passe autour de nous sur scène ou sur un plateau de tournage. Il faut également croire en la « vérité » de ce qu’on dit pour parvenir à incarner l’histoire. C’est de la comédie, mais l’histoire, elle, est vraie sur scène ou à l’écran. Il faut la transporter dans la dimension du réel.
Quel est aujourd’hui le rapport aux œuvres classiques de théâtre, notamment françaises?
C’est un socle de connaissances, un patrimoine classique qui peut inspirer selon les courants et les modes. De nos jours à Montréal, je vois du Molière, du Marivaux, du Shakespeare, du théâtre moderne auquel s’ajoute du cirque parfois. Quelle que soit l’époque, quand ça marche, la magie opère.
Quand j’étais au conservatoire, ce n’était pas mon patrimoine natif, mais j’ai appris à l’aimer. J’ai d’ailleurs écrit et publié une pièce inspirée de La Fontaine, Bonjour, monsieur de La Fontaine!, qui a dû être jouée près de 1500 fois. Je consacre la préface de mon livre à sa fable moins connue L’amour et la folie, 17e siècle. Suite à une dispute, la folie frappe l’amour, rendu aveugle. Pour rendre justice, la cour des dieux condamne la folie à servir de guide à l’amour.
Vous avez été directeur artistique du TfT de 1997 à 2016, soit presque 20 ans. Qu’est-ce que vous en retenez et quelles contributions pensez-vous y avoir apportées?
À mon entrée en fonction, le TfT allait très mal financièrement et en était à sa dernière chance avant l’arrêt de son financement avec déjà un déficit de 100 000 dollars. Un soir la présidence me dit : « Guy, on va fermer. ».Ce à quoi je réponds : « Vous ne m’avez pas embauché pour fermer ». Une fois, il nous manquait 6000 $ pour une pièce, j’ai appelé six personnes qui ont chacune prêté 1000 et c’était reparti. C’était un travail d’équipe, mais on a redressé la barre et grandi jusqu’à donner au Théâtre français ses lettres de noblesse.
Dans une province à majorité anglophone, permettre aux jeunes comédiens d’avoir l’espoir de gagner leur vie et de pratiquer leur art en français, c’est pour moi l’une des choses les plus importantes qui aient été faites au TfT.
Continuez-vous à écrire et à jouer? À quoi ressemble la vie pour vous maintenant?
Mon intérêt pour la lecture et l’écriture a commencé avec mes parents qui tenaient une librairie. Qui dit théâtre dit livre. J’écris paresseusement ci et là et, en parallèle, depuis mon retour à Montréal en 2017, on m’a proposé de jouer, par exemple dans Les disparus, puis dans une série policière Disctrict 31. Il y a trois semaines j’ai participé à un court métrage. Je fais des sessions d’ateliers théâtraux dans l’optique de participer au spectacle. Je ne pense pas être arrêtable.
Pour terminer, vous avez été membre du Comité consultatif des affaires francophones de la ville de Toronto. Que pensez-vous de son évolution?
C’était dans le cadre de mes fonctions au Théâtre français que j’ai pu y siéger et parce que j’étais révolté par l’absence de la langue française dans la ville de Toronto. Note positive, depuis mon départ de Toronto, on parle beaucoup plus français dans les rues et il y a beaucoup d’activités francophones. À l’époque il n’y avait presque que le Théâtre français de Toronto. Le Salon du livre commençait à peine. Il ne faut pas cesser d’y croire et de défendre notre langue. »
LES DATES-CLÉS DE GUY MIGNAULT :
1947 : Naissance le 23 juillet à Hull, quartier de Gatineau au Québec.
1967 : Il quitte sa ville natale pour intégrer le Conservatoire d’arts dramatiques de Montréal.
1978 : Premier poste au Centre national des arts d’Ottawa (CNA) en tant que membre de la compagnie permanente, pour partir en tournée partout au Canada.
1988 : Il obtient un rôle dans la série télévisée dramatique québécoise Cormoran de Radio-Canada et achète le Théâtre de la chèvrerie, un théâtre d’été à Saint-Fortunat, Québec.
1996 : Devient directeur artistique du Théâtre français de Toronto, et ce, jusqu’en 2016.
2017 : Retour à Montréal pour y vivre.
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.