Harper et les francophones : un bilan à nuancer

L'ancien premier ministre du Canada, Stephen Harper.

OTTAWA – Même si les associations francophones en contexte minoritaire craignaient le pire lors de son arrivée au pouvoir en 2006, la bilan de Stephen Harper en matière de francophonie et de langues officielles n’est pas si négatif, estiment les politologues François Charbonneau et Rémi Léger.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier, souligne que tout n’a pas été facile pendant les neuf ans de règne conservateur. Pourtant, au moment de dresser le bilan de M. Harper, à la suite de l’annonce de sa démission le vendredi 26 août, tout n’est pas négatif, assure-t-elle.

« Je dirais que c’est un bilan mitigé. On retiendra de M. Harper, les deux feuilles de route pour les langues officielles et sa volonté de toujours commencer ses discours en français, ce qui démontrait sa reconnaissance du français comme une des langues fondatrices du Canada moderne. Mais je retiens également qu’il n’a pas été un premier ministre très accessible, tout comme son gouvernement. Disons qu’on espérait plus de dialogue et de leadership de sa part! »

Le professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, Rémi Léger se souvient des craintes soulevées en 2006.

« Quand il est devenu premier ministre en 2006, il y avait de grandes craintes dans les milieux francophones, notamment parce qu’on se souvenait de ses positions comme député dans les années 90. Pourtant, dix ans plus tard, on peut dire que tout n’a pas été si mal. Aucun grand programme n’a été coupé, si ce n’est le Programme de contestation judiciaire qui a finalement été relancé sous la pression de la FCFA et du Commissariat aux langues officielles, et les investissements ont été maintenus comme sous le gouvernement libéral. »

Une analyse que partage le professeur à l’École d’études politiques de l’université d’Ottawa, François Charbonneau, qui juge le bilan de M. Harper de « relativement positif » en matière de langues officielles et de francophonie.

« Pour quelqu’un qui tenait des propos anti-gouvernementaux, anti-nationalisme québécois et contre la vision du Canada héritée de la constitution de 1982, on pouvait s’attendre à une attaque frontale contre les langues officielles. Pourtant, si on dépasse la vision partielle du milieu associatif francophone, il faut reconnaître que Stephen Harper a reconduit les politiques déjà en place et qu’il n’y a pas eu de grande rupture. »

Moins dans les symboles

Alors que plusieurs organismes francophones ont manifesté un certain soulagement lors de l’élection de Justin Trudeau en octobre 2015, Mme Lanthier nuance.

« Les organismes ont quand même pu poursuivre certaines parties de leur travail et le gouvernement Harper a continué à investir notamment dans le développement économique. Mais il est vrai que certains organismes se sont retrouvés à bout de souffle et avaient besoin d’un nouvel élan car ils se sentaient dans une impasse. »

M. Charbonneau reconnait plusieurs décisions irritantes pour les francophones de la part de M. Harper, comme les nominations des juges unilingues Michael Moldaver et Marshall Rothstein à la Cour suprême du Canada en 2006 et 2011, et celle de Michael Ferguson comme vérificateur général. Mais sur le terrain, il rappelle les investissements réalisés en immigration francophone et dans le domaine de l’accès à la justice, via la mise en place du Réseau national de formation en justice, en 2013.

« Il s’agissait de deux priorités des associations francophones identifiées lors du Forum des leaders en 2007, preuve que malgré le manque de dialogue, M. Harper savait écouter. C’est sûr que c’est peut-être moins important symboliquement que de nommer des juges bilingues, mais cela peut faire une vraie différence dans la vie des francophones qui veulent avoir accès à la justice en français. Si les libéraux sont plus forts dans le domaine du symbolique, cela ne veut pas dire qu’ils posent des actions plus concrètes. Et finalement, même si le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada est une demande tout à fait légitime, on peut s’interroger sur cette tendance qu’ont les organismes francophones à s’attarder sur les symboles au lieu de revendiquer sur des problèmes beaucoup plus urgents et complexes comme l’assimilation ou la difficulté d’intégrer les nouveaux arrivants francophones hors Québec. »

Le professeur à l’Université d’Ottawa avance plusieurs raisons pour expliquer la défiance de M. Harper vis-à-vis du milieu associatif francophone.

« Tout d’abord, il faut souligner que le Parti conservateur n’a jamais vraiment été proche du milieu associatif,  francophone ou pas. Et puis, le milieu associatif francophone est plutôt libéral et donc le rapprochement se fait moins naturellement avec les conservateurs. »

Nouvelle orientation

Selon Rémi Léger, la méfiance des communautés francophones en situation minoritaire à l’encontre de M. Harper réside quant à elle dans sa conception des langues officielles.

« Stephen Harper et le Parti conservateur ont donné une nouvelle orientation aux langues officielles en insistant sur leur valeur économique. C’était sans doute la meilleure manière pour les conservateurs de se réconcilier avec le bilinguisme et de justifier des investissements. Mais c’est aussi sans doute ce qui a déplu aux communautés francophones et au milieu associatif qui voient davantage la langue pour son aspect culturel et social. »

Malgré cette relation compliquée, M. Harper a donc, politiquement, respecté un certain statu quo, selon les deux politologues. Un choix qui d’après M. Charbonneau s’explique par ses qualités de politicien.

« C’est sans doute l’un des meilleurs stratèges politiques que la droite canadienne ait connu depuis John Diefenbaker. Il a réussi à plaire à sa base sans aller trop loin afin de rester au pouvoir. En ne s’attaquant pas aux langues officielles, il a essayé de séduire le Québec. Cela n’a peut-être pas complètement fonctionné, mais il a réussi à se maintenir neuf ans au pouvoir et n’était pas loin de se faire réélire en 2015! »

Alors que le Parti conservateur tourne une page avec le départ de M. Harper, la présidente de la FCFA espère que la prochaine course à la chefferie offrira l’occasion à la formation politique de réfléchir à sa vision des langues officielles et de la francophonie canadienne.

« Nous allons voir comment nous pourrons les interpeler afin de nous assurer que leur prochain chef ait une bonne compréhension des enjeux francophones en milieu minoritaire. Nous avons déjà eu une très bonne rencontre avec leur chef intérimaire, Rona Ambrose. »