Immigration économique : plus d’autonomie, une opportunité pour la francophonie?
TORONTO – Alors que les pourparlers entre les provinces et le gouvernement fédéral ont débuté cette semaine, l’Ontario tente d’arracher un accord sur le contrôle accru de son immigration économique. Plusieurs observateurs y voient une opportunité pour la francophonie, d’autant que le regroupement des portefeuilles de l’Emploi et de l’Immigration sous la houlette d’un seul ministère dans la province marque un changement d’approche pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. Mais l’objectif est plus économique que linguistique.
Les négociations qui se sont ouvertes ce jeudi en vue de renouveler l’entente en immigration entre les provinces et le Canada accoucheront-elles d’un accord favorable à l’Ontario? C’est ce que souhaitent plusieurs intervenants francophones du dossier, tout en restant prudents sur les impacts en francophonie.
Dans une entrevue accordée à ONFR+ et dans une lettre adressée, ce mercredi, à son homologue fédéral, le ministre ontarien du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences, Monte McNaughton, affirme vouloir renégocier une plus large autonomie de la province dans le choix de ses immigrants économiques.
Son principal levier de recrutement, le Programme ontarien des candidats en immigration – qui comporte un volet dédié aux travailleurs qualifiés francophones – a permis de faire venir plus de 9 000 résidents permanents cette année. Insuffisant s’accordent à dire le gouvernement et les acteurs en immigration. En plein redémarrage économique, l’Ontario veut le double.
« Une meilleure politique en immigration aiderait à pallier la pénurie de main-d’œuvre », croit Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). Mais « pour avoir des augmentations significatives, il faut que le fédéral permette à l’Ontario de recruter davantage d’immigrants », estime-t-il. « Il y a quelques années, on avait fait une demande pour recruter 1 000 immigrants de plus et on a eu la permission d’en recruter 50. On s’entend que ça n’a pas fait de grosses vagues. »
« On est prêt à encourager le gouvernement fédéral à donner plus de marge de manœuvre à la province, mais sous certaines conditions : qu’on ait des quotas pour le volet francophone ou qu’on ait des clauses dans la future entente qui favorisent l’immigration francophone », nuance Alain Dobi, directeur du Réseau en Immigration francophone du Centre-Sud-Ouest de l’Ontario.
Ce serait une façon de s’assurer, selon lui, que l’Ontario garde bien en tête l’importance de la francophonie et de le pousser à atteindre sa cible en immigration de 5%. L’AFO demande d’ailleurs depuis des mois au gouvernement ontarien de travailler pour atteindre, voire dépasser cette cible.
L’organisation soutient aussi la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) qui presse le gouvernement fédéral d’établir et d’augmenter le poids démographique de la francophonie canadienne. « La cible fédérale de 4,4 % n’est plus acceptable et c’est pour ça que le FCFA propose une cible bien plus ambitieuse de 20 % d’ici 2023 », martèle M. Jolin.
Un super ministère pour « éviter de fonctionner en silos »
En plus d’être reconduit à son poste dans le nouveau gouvernement Ford, M. McNaughton a vu son rayon d’action élargi avec l’acquisition du portefeuille de l’Immigration. « Lier l’immigration à l’emploi peut créer un nouvel essor, si le gouvernement se donne les moyens et la volonté d’atteindre des objectifs qu’il n’a jamais atteint dans le passé, d’autant que c’est de plus en plus pressant pour la communauté », juge M. Jolin.
« Rassembler l’immigration et l’emploi peut être une bonne idée pour éviter de fonctionner en silos, notamment pour les travailleurs temporaires qui ont besoin d’un permis », renchérit Luisa Veronis, titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes à l’Université d’Ottawa. « Ça peut donc être une manière plus efficace d’attirer la main-d’œuvre francophone qui correspond aux besoins de la province. »
Mais l’immigration francophone n’est pas que de l’immigration économique, prévient-elle. « Quand on parle de francophonie, il faut tenir compte de la réunification familiale ou encore du parrainage des étudiants internationaux. Ça concerne donc d’autres ministères si on veut atteindre des objectifs concrets. »
« On ne voit pas une volonté d’atteindre une cible » – Geneviève Tellier
Pour la politologue Geneviève Tellier, il ne faut toutefois pas s’attendre à des miracles du côté de la cible ontarienne en immigration francophone. « On ne voit pas une volonté d’atteindre une cible pour maintenir un ratio francophone. Si c’est pour créer des emplois, on peut s’attendre à ce que le gouvernement tente de faire venir plus de main-d’œuvre francophone, mais si c’est juste attirer plus de francophones pour augmenter le bassin linguistique de la province, ça m’étonnerait qu’on voit d’énormes changements. »
Son confrère Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster, abonde que la francophonie n’est pas la motivation première du gouvernement Ford. « Il y a eu un changement dans le discours du gouvernement entre 2018 et 2022. Le gouvernement avait fait en 2018 une partie de sa campagne contre les demandeurs d’asile et supprimé le ministère de l’Immigration. Maintenant, il axe sa politique sur la croissance économique, et la manière de la faire au plus bas coût pour les entreprises, c’est par l’immigration. »
Financer directement les communautés
Pour que l’Ontario fasse des progrès tangibles, Mme Veronis se dit « de plus en plus convaincue qu’il faudrait rechercher une politique autonome d’immigration francophone ».
« Ce pourrait être une extension du modèle québécois qui s’appliquerait ailleurs au Canada. Certes, c’est une responsabilité partagée entre le fédéral et les provinces mais peut-être devrait-on trouver un rôle plus direct entre le fédéral et les communautés, d’autant que les structures existent déjà, que ce soit les réseaux et partenariats en immigration. L’initiative des communautés accueillantes démontre qu’on peut avoir du financement qui va directement aux communautés. »
Le poids des organisations de terrain pourrait aussi être accru, selon M. Dobi. « On a tout intérêt à vendre l’Ontario comme une destination pour les nouveaux arrivants francophones. Il faut mousser l’image de la province à l’étranger et les réseaux en immigration pourraient jouer ce rôle de promotion. »
Les négociations entre le gouvernement fédéral, les provinces et territoires se poursuivent ce vendredi et devraient continuer au cours des semaines à venir, alors que l’entente en immigration arrive à échéance en novembre prochain.
Le palier fédéral n’a pas, de son côté, envoyé de signaux positifs aux provinces sur leur demande d’autonomie accrue.
« À l’heure actuelle, l’Ontario reçoit l’allocation la plus élevée parmi les provinces, et ses allocations les plus récentes ont été augmentées de 17 % », souligne Aidan Strickland, porte-parole du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Canada, dans un échange de courriel avec ONFR+.
« L’Ontario reçoit également la plus grande part d’immigrants venant au Canada dans le cadre des programmes économiques fédéraux. L’an dernier, 60 % des admissions de résidents permanents en Ontario appartenaient aux catégories économiques et l’Ontario continue également d’être la première destination de choix pour les étudiants internationaux et les réfugiés qualifiés.