Un manque de 75 000 immigrants francophones hors Québec depuis 2008

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge.
Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Crédit image: Commissariat aux langues officielles du Canada

OTTAWA – À aucun moment depuis 2001, le gouvernement fédéral n’a atteint sa cible du 4,4 % d’immigration francophone hors Québec, un manque total de 75 839 immigrants depuis 13 ans. C’est ce que révèle un rapport du Commissariat aux langues officielles qui demande au gouvernement fédéral de revoir sa cible à la hausse pour contrer la perte du poids démographique des francophones.

Dans ce rapport, il est indiqué que la proportion d’immigrants francophones hors Québec a oscillé entre 1,1 % et 1,8 % entre 2001 et 2018, soit près de 3 fois moins que la cible fixée.

C’est seulement en 2019 (2,6 %) et 2020 (3,6 %) qu’on a dépassé 2 %. Il faut noter que pour 2020, en raison de la pandémie, la proportion a augmenté, mais le nombre de nouveaux arrivants réels a fortement diminué. Depuis 2001, c’est un manque de total de 119 656 nouveaux arrivants qui est signalé.

La cible du 4,4 % avait été fixée en 2001 en raison du recensement qui indiquait que la population francophone hors Québec représentait ce chiffre. Le rapport indique qu’elle est trop basse et que même si elle avait été respectée, elle n’aurait pas pu permettre aux francophones de garder une représentation de 4,4 %.

Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles. Archives ONFR+

« Cela aurait toutefois pu contribuer à diminuer l’ampleur de la baisse entre les recensements de 2001 et de 2016 », est-il écrit.

Le rapport précise qu’il aurait fallu entre 6 % à 7 % « pour au moins pouvoir contribuer à maintenir à 4,4 % le poids démographique de la population d’expression française en milieu minoritaire ».

Aujourd’hui, le poids démographique des francophones en milieu minoritaire est évalué à 3,8 % selon le recensement de 2016. Pour maintenir ce poids démographique en milieu minoritaire, il devrait y avoir entre 2017 et 2036, une proportion d’immigrants de 5,1 % parlant le français comme première langue officielle. Le respect de la cible du 4,4 % aurait fait osciller le poids des locuteurs de la langue de Molière entre 4 % et 4,2 %, une baisse moindre que le 3,8 %.

Revoir l’objectif à la hausse

En plus de revoir cette cible, le commissaire Raymond Théberge rejoint la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) en recommandant au gouvernement d’adopter une politique d’immigration d’expression française en milieu minoritaire. Il se dit « inquiet, car la dualité canadienne dépend de communautés fortes et solides ».

« Sans cette injection de l’immigration, nos communautés sont appelées à se rétrécir et à s’appauvrir (…) À moins qu’on ait un coup de barre important, le poids relatif des francophones hors Québec va continuer à diminuer avec tous les impacts que ça peut avoir sur les communautés », dit-il en entrevue.

L’organisme demande aussi au ministre de l’Immigration Sean Fraser et sa collègue aux Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, d’inclure cette politique dans la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

« Ce rapport ouvre les yeux pour démontrer que nos communautés ont besoin d’aide au niveau démographique. On a vraiment besoin d’arriver à un équilibre démo-linguistique et revoir aussi tout ce qui touche la croissance de la population », avance la présidente de la FCFA Liane Roy.

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), Liane Roy

La FCFA demande au ministre de l’Immigration de revoir à la hausse la cible en plus de rattraper le retard des dernières années.

« Je pense qu’il faut consulter les communautés, il faut travailler ensemble pour trouver une cible qui est acceptable. On va en proposer une après avoir fait ce travail-là. Nous on veut s’assurer de proposer une cible dans les prochains mois pour arriver à une cible atteignable. Mais il n’y a pas juste la cible, il faut s’assurer qu’il y ait une volonté (de la part du gouvernement) d’avoir une immigration francophone dans nos communautés. »

Pistes de solution

Le rapport n’indique pas un chiffre magique comme prochaine cible, mais demande que le tout soit revu à la hausse. Raymond Théberge laisse entendre qu’une cible entre 6% et 7% pourrait permettre de réduire l’écart.

« Mais si on regarde ce qui s’est passé dans les dernières ça reste très ambitieux comme chiffre. »

Pour lui, il est temps que les gouvernements mettent les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.

« Qu’année après année on n’arrive pas à atteindre l’objectif, c’est un problème systémique… Il faut revoir tous les éléments pour que lorsqu’on choisit et qu’on admet, on assure une retenue et une bonne intégration dans nos communautés. »

L’étude propose notamment d’aller chercher de nouveaux immigrants dans certains bassins très francophones comme l’Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

« Cela ne signifie pas que les pays européens ne représentent plus un bassin de recrutement intéressant, mais ceux-ci auront une importance moindre en comparaison avec le potentiel de recrutement dans des pays africains », est-il écrit.

Parmi les autres pistes de solution :

  • De meilleures approches de recrutement
  • créer une catégorie d’immigrants économiques francophones
  • Favoriser les transitions de la résidence temporaire vers la résidence permanente
  • Une meilleure collaboration avec les provinces

Réaction d’Ottawa

En réaction au rapport du Commissariat, la ministre Petitpas Taylor n’a pas précisé si elle acquiescerait aux demandes des différents organismes francophones pour augmenter la cible. Elle assure toutefois que le sujet de l’immigration francophone en milieu minoritaire sera de la partie lorsque sera redéposé le projet de loi C-32.

« J’aurai la chance de me pencher davantage sur les solutions envisageables à cet enjeu lors de mes discussions menant au dépôt de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. »

Ginette Petitpas Taylor, ministre des langues officielles. Crédit image : Rudy Chabannes
Ginette Petitpas Taylor, ministre des langues officielles. Archives ONFR+

De son côté, M. Fraser soutient accueillir favorablement le rapport de M. Théberge et souligne les « grands efforts fait pour appuyer et augmenter l’immigration francophone » .

« Nous faisons du progrès : la proportion des admissions d’immigrants d’expression française hors Québec a atteint 3,61 % en 2020, une augmentation comparativement à 2,82 % en 2019. Nous voulons bâtir sur ce progrès : c’est pourquoi nous avons annoncé des points supplémentaires pour les candidats francophones et bilingues dans le cadre du programme Entrée Express, et pourquoi il n’y avait pas de limite pour les candidats francophones dans notre nouvelle voie vers la résidence permanente pour les étudiants internationaux et les travailleurs essentiels », a indiqué Alexander Cohen, attaché de presse du ministre.

Chez les conservateurs, on urge les libéraux à trouver une solution rapidement.

« Il faut que la ministre des Langues officielles et le ministre de l’Immigration se parlent et qu’on sente que ce gouvernement-là n’a pas juste de belles paroles. Il faut arrêter, car on ne rattrapera pas les 76 000 francophones qu’on a perdus et on veut au moins s’assurer d’arrêter l’hémorragie », affirme Alain Rayes, porte-parole aux Langues officielles chez la troupe de Erin O’Toole.

Du côté néo-démocrate, on réclame que le ministre Fraser alloue plus de ressources sur le terrain.

« Il faut que le ministre reconnaisse le problème… On a vu des délais énormes pendant la COVID-19 en général avec l’immigration alors il faut investir pour qu’on arrête de voir des délais, notamment dans l’immigration francophone. Il faut aussi travailler avec les autres ministres pour s’assurer que les immigrants aient le support nécessaire », demande Niki Ashton, porte-parole en Langues officielles.

Alain Rayes conteste la volonté du nouveau ministre à régler les problèmes qui touchent les nouveaux arrivants francophones.

« Ça prend juste de la volonté politique, il faut que le ministre mette son poing sur la table… Il faut qu’il envoie les bonnes directives aux fonctionnaires sur le terrain… Moi je suis très inquiet, le ministre nous dit en entrevue qu’il ne veut pas donner de date à savoir quand il va résorber les retards. Je me dis, il sert à quoi le ministre à ce moment-ci? »