Isolement de détenus : la pratique dans le monde carcéral écorchée
TORONTO – Dans un rapport spécial, l’ombudsman de l’Ontario n’a pas mâché ses mots envers le Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels qui applique la pratique de l’isolement des détenus dans les établissements provinciaux.
JEAN-FRANÇOIS MORISSETTE
jmorissette@tfo.org | @JFMorissette72
Dans un rapport spécial publié le jeudi 20 avril, l’ombudsman de l’Ontario, Paul Dubé, a formulé 32 recommandations pour réformer le système carcéral.
Entre avril 2013 et mars dernier, le bureau de l’ombudsman de l’Ontario a indiqué avoir reçu 827 plaintes concernant l’isolement de détenus dans les établissements provinciaux.
Au cours de son enquête, Paul Dubé s’est dit étonné que le terme d’isolement ne soit pas correctement défini et qu’il ne fasse pas état des conditions dans laquelle le détenu est gardé. Par ailleurs, Paul Dubé dénonce que certains détenus sont mis en isolement, faute d’avoir les ressources pour bien les traiter.
« Beaucoup de détenus placés en isolement ont des troubles de santé mentale et des déficiences intellectuelles, mais les responsables des établissements correctionnels n’ont pas d’options plus pertinentes pour les héberger » – Rapport de l’ombudsman.
Paul Dubé déplore également que le Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels ne soit pas en mesure de fournir des données fiables sur le problème et dénonce le manque flagrant de suivi sur l’isolement de certains détenus.
Pour lui, cela mène à des situations où les détenus se retrouvent « perdus dans le système, privés de la surveillance à laquelle ils ont pourtant droit ».
Paul Dubé note que l’isolement de détenus devrait être utilisé uniquement en dernier recours, « une fois que toutes les autres options ont été épuisées ».
Parmi ses recommandations, l’ombudsman de l’Ontario aimerait entre autres que des observateurs externes viennent aider en milieu carcéral pour que les critères d’isolement soient bien appliqués.
« Il est grand temps d’apporter des changements réels et concrets », note Paul Dubé.
D’ici six mois, l’ombudsman souhaite également que le ministère adopte une politique claire sur l’isolement et que la mesure soit uniquement utilisée en dernier recours.
Le cas Adam Capay, catalyseur
En octobre 2016, le cas d’Adam Capay avait fait les manchettes lorsqu’il a été mis à jour que le détenu d’une prison de Thunder Bay en attente de procès avait passé plus de quatre ans en isolement cellulaire.
Paul Dubé a noté que les données obtenues par le gouvernement indiquaient qu’Adam Capay avait passé 50 jours en isolement alors qu’en réalité le jeune détenu a été isolé 1591 jours.
« Les faits découverts se sont avérés très préoccupants, et conjugués au grand nombre de plaintes que nous avions reçues, ils ont confirmé que le recours à l’isolement restait un problème systémique grave », a déterminé Paul Dubé.
Depuis, les enquêteurs du bureau de Paul Dubé ont visité plusieurs établissements correctionnels de la province et tiré les conclusions présentées dans son rapport.
Des progrès « lents et incomplets » au fil du temps
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement est appelé à se prononcer sur la question. D’ailleurs, depuis plusieurs années, le gouvernement promet des changements dans le milieu. Paul Dubé note toutefois que les progrès sont restés « lents et incomplets » au fil du temps.
Le Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a récemment annoncé un examen indépendant sur l’isolement, dirigé par un ancien enquêteur correctionnel fédéral, Howard Sapers. Son enquête a d’ailleurs commencé en janvier dernier. Une copie du rapport a d’ailleurs été envoyée à Howard Sapers.
Dans une déclaration écrite, la ministre des Services correctionnels, Marie-France Lalonde, a avoué être perturbée par les trouvailles de l’ombudsman. Sans s’engager clairement a appliquer les 32 recommandations, Marie-France Lalonde a indiqué que son ministère était engagé à travailler fort pour améliorer la situation.
Toutefois, Paul Dubé est encouragé par la réponse du gouvernement, qui a promis de faire un suivi sur les recommandations proposées.
L’isolement des détenus en bref :
- La pratique n’est toutefois pas illégale dans les 26 établissements correctionnels provinciaux de l’Ontario.
- La pratique de l’isolement cellulaire consiste à confiner un détenu, seul, dans une cellule, pendant 22 heures ou plus par jour, durant de longues périodes.
- En 2015, un rapport spécial de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur la torture disait que de longues périodes d’isolement peuvent constituer une forme de torture, et que toute garde des détenus en isolement durant une période de plus de 15 jours constituait une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant