Jean-Marc Spencer, le sens des affaires en français
[LA RENCONTRE D’ONFR]
SUDBURY – Jean-Marc Spencer a remporté, le mardi 25 septembre, le Prix de la francophonie 2018 de l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) du grand Sudbury. #ONfr a interrogé ce passionné des affaires… en français.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« Qu’est-ce que cela représente pour vous d’avoir reçu le Prix de la francophonie 2018 de l’ACFO du grand Sudbury?
C’est le plus bel honneur que je pouvais souhaiter. Ça m’a beaucoup ému. Ça montre l’importance des efforts que j’ai faits pour développer les services en français.
Vous paraissez surpris?
Oui et non. Disons que je ne cherche pas la reconnaissance et ne fais pas ça pour ça. Mais c’est magnifique d’être ainsi honoré. Ça veut dire que j’ai fait de bonnes choses.
Ce prix récompense votre travail comme bâtisseur communautaire. Vous avez siégé – et siégez encore – sur de nombreux conseils d’administration, notamment à la table économique de Sudbury, le comité francophone pour la Chambre de commerce de Sudbury, et êtes impliqué dans plusieurs projets, comme celui de la Place des Arts. D’où vient cette volonté d’implication?
Je trouve ça important de m’impliquer et de faire avancer les choses. Ce n’est pas toujours facile, car je suis souvent en déplacement, mais je suis les réunions en ligne, au téléphone, j’essaie toujours d’être présent ou de m’informer quand je ne peux pas être là. Mais je ne suis pas le seul à m’impliquer. Il y a beaucoup de beau monde qui travaille fort pour les services en français et avoir des activités comme l’ACFO, le Carrefour francophone…
Et qu’est-ce qui vous rattache tant à la francophonie?
La défense du français et l’engagement dans la francophonie viennent de mes racines et des gens qui m’entourent, que ce soit ma famille, mes collègues et mes amis. Mes beaux-parents, à Lavigne, vivent exclusivement en français et c’est moins facile pour eux quand on parle en anglais. C’est pour ça qu’on a besoin de services en français. Et même avec des francophones bilingues, si on ne leur propose pas de services en français, il sera facile de se tourner vers l’anglais. C’est pour ça que c’est important. Pour moi, cette culture est une fierté. D’ailleurs, mes petits-enfants savent qu’avec grand-papa, c’est en français que ça se passe!
Vous êtes le directeur général de la Caisse populaire Voyageurs depuis 1986, ça fait donc 32 ans. Comment a évolué le métier depuis vos débuts?
J’ai vécu beaucoup de changements dans ma carrière. Aujourd’hui, je constate que les gens veulent de l’instantanéité, ils passent de plus en plus par internet. Ils sont également de plus en plus informés et attendent de nous des conseils pour toute leur vie, pour des investissements, de l’épargne, planifier leur retraite… Ils se fient à nous et on doit être plus proactifs. On se spécialise, là où avant le service au comptoir était le service principal. Ça nous oblige à plus nous former et à améliorer nos connaissances régulièrement.
Est-ce pour ça que vous avez repris vos études à l’Université de Moncton alors que vous étiez déjà directeur général chez Desjardins?
C’est surtout parce que j’adore apprendre! Mais c’est vrai aussi parce que ça répondait à mes besoins. C’étaient des cours très pratiques qui m’ont aidé à évoluer. Ce n’était pas évident en travaillant en même temps, mais c’est pour ça que j’ai fait mon MBA à distance avec l’Université de Moncton. Ça me permettait de suivre mes cours même en déplacement.
Les caisses populaires ont souvent été un symbole fort pour les francophones, notamment dans les plus petites communautés rurales, mais ces dernières années, des regroupements s’opèrent. Est-ce inéluctable, au risque de perdre ce qui en faisait un symbole?
Ce ne sont jamais des décisions faciles à prendre, car on sait que les gens y sont attachés. C’est d’ailleurs ce qui m’a attiré chez Desjardins, cette proximité avec la communauté. Mais les choses évoluent et il faut s’adapter pour rester compétitif. On est toutefois encore présent dans les communautés, avec les dons, les commandites.
On reproche parfois aussi aux Caisses populaires Desjardins de vouloir séduire une clientèle anglophone au risque de délaisser le français, notamment en publicité. Est-ce qu’il faut forcément passer par l’anglais pour faire des affaires?
Ça dépend de ton entreprise. Dans une librairie francophone, par exemple, ce n’est pas forcément la peine. Mais pour nous, il le faut pour faire face à la compétition. Nous n’aurions pas pu nous installer à Toronto ou à Oshawa sans nous ouvrir au marché anglophone. Il nous faut une base de clientèle pour survivre. Aujourd’hui, 70 % de notre clientèle est anglophone à Toronto. Mais cela nous permet dans le même temps de donner accès à nos services aux francophones qui vivent là-bas. On entend souvent cette crainte que cela nuise aux services en français, mais nos clients dans ces régions sont bien contents, même si on offre aussi des services en anglais et dans onze langues au total.
Parmi vos accomplissements, il y a cette installation de centres financiers dans le sud de la province. Pourquoi avoir décidé de vous attaquer à ce marché?
Parce que mes enfants allaient s’installer dans la région et qu’il n’était pas question qu’ils changent d’institution financière! (Rires) Plus sérieusement, nous avons vu un potentiel, car de nombreux francophones n’avaient pas accès à des services dans leur langue là-bas. On a donc décidé de s’installer à Toronto, pour avoir une présence localement. Nous avons commencé petits et aujourd’hui, nous avons des centres financiers à Toronto, Mississauga, Oshawa et Aurora. On prévoit même ouvrir un autre centre à Burlington. Nous n’avons aucun problème pour trouver du personnel bilingue et très compétent!
Pourtant, même à Sudbury où les francophones sont nombreux, beaucoup d’entreprises hésitent encore à investir pour offrir leurs services dans les deux langues. Qu’en pensez-vous?
Je pense qu’ils passent à côté d’une très belle opportunité. Je siège sur la table économique et le comité francophone pour la Chambre de commerce de Sudbury et on essaie d’attirer des entreprises à l’international. Avoir des gens bilingues nous donne un grand avantage et ouvre de nombreuses perspectives. Certaines grandes entreprises l’ont compris à Sudbury. Au Costco ou au WalMart, ils n’hésitent pas à proposer aussi des jeux ou des livres en français, par exemple. Ils ont compris l’avantage économique que cela représente.
Il n’y a toutefois pas que le travail dans votre vie, il y a aussi le hockey. Pourquoi les Maple Leafs de Toronto?
(Rires) C’est vrai que c’est plus commun pour bien des francophones de soutenir les Canadiens de Montréal. Lorsque nous avons ouvert notre centre financier sur la rue King, à Toronto, j’ai plaisanté en disant que c’était pour voir la parade quand les Maple Leafs gagneront la coupe! En fait, ça vient de mon parrain qui m’avait offert un jersey des Maple Leafs la dernière année où ils ont gagné la coupe Stanley, en 1967. C’est vrai que ça fait longtemps! (rires) Mais ça permet de se taquiner entre amis, car la majorité de mes amis francophones prennent pour Montréal. Mais je sens que nous avons enfin une équipe cette année. Il faudrait encore quelques petits changements, mais je nous verrais bien gagner la coupe Stanley en 2019 ou 2020! »
LES DATES-CLÉS DE JEAN-MARC SPENCER
1958 : Naissance à Sudbury
1986 : Nommé directeur général de la Caisse populaire Voyageurs
2009 : Vainqueur dans la catégorie Développement économique des Community Builders Awards of Excellence
2012 : Maîtrise en Administration des affaires de l’Université de Moncton
2018 : 36e récipiendaire du prix annuel de l’ACFO du grand Sudbury
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.