Jean-Philippe Julien, la course aux vaccins après un an de pandémie

L'immunologiste Jean-Philippe Julien Gracieusté

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

TORONTO – Alors que la pandémie fête cette semaine son premier anniversaire, la dernière année marque aussi un revirement historique de la communauté scientifique dans le développement d’un vaccin contre le coronavirus. C’est le cas de Jean-Philippe Julien, le chef de département à l’Hôpital SickKids dans le département de médecine moléculaire, qui est passé du combat contre le VIH à la COVID-19. Rencontre avec cet immunologiste torontois qui travaille jour et nuit depuis un an avec son équipe pour développer des solutions contre la COVID-19.

« Expliquez-nous un peu votre rôle que vous aviez avant la pandémie?

80 % de notre programme de recherche était concentré sur la malaria, le paludisme et le VIH. Par exemple, sur quel type de réponse les humains ont quand ils sont infectés par le VIH ou la malaria. Cette réponse est de l’information qu’on veut essayer de convertir en vaccins ou en nouveaux médicaments. Il n’y a aucun vaccin contre ces maladies, alors c’est vraiment là dessus qu’on se concentrait.

Depuis un an, quel est votre rôle avec la pandémie?

Dès le début, on a changé notre accent de recherche pour répondre à la pandémie. C’était vraiment de développer une compréhension à savoir comment le virus fonctionnait. Voir si on peut développer un vaccin ou des thérapies. Chaque jour, on continue dans nos efforts de contribuer au côté scientifique et au développement de solutions à long terme.

Actuellement, la campagne de vaccination canadienne semble tirer de la patte quand on compare à d’autres pays dans le monde. Êtes-vous sûr de voir que la vaccination va s’accélérer dans les prochains mois?

Je pense que le gouvernement a été très agressif pour aller chercher autant de vaccins que possible et le plus vite possible pour vacciner le plus de gens. Ça dépend à qui on se compare? Il y a les États-Unis qui ont été plus vite et qui ont eu un plus gros pourcentage de gens vaccinés. C’est important de regarder où on aurait pu faire mieux. Mais quand on regarde à l’échelle globale, le Canada va être un des pays vaccinés le plus rapidement.

Selon vous, quand est-ce qu’on pourra retourner à un mode de vie comme on avait avant l’arrivée du coronavirus?

Les vaccins fonctionnent si tout le monde est vacciné, alors ça va être important d’acheminer les vaccins aux pays en voie de développement parce qu’il faut que la population mondiale soit vaccinée pour avoir une réduction des cas et éventuellement de la transmission. C’est là qu’on va être capable de retourner à un mode de vie normal. Si ça continue à circuler dans certains pays, on ne sera pas capable de retourner à nos modes de vie d’avant la pandémie.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment dans vos laboratoires?

On est en train de pousser une technologie qui serait capable de neutraliser n’importe quel variant de la COVID-19, car on entend quotidiennement dans les nouvelles à savoir si les vaccins vont fonctionner contre les variants. (….) On essaie de développer un produit qui pourrait fonctionner contre n’importe quel variant, pas juste ceux qui existent en ce moment, mais ceux qui pourraient arriver plus tard en 2021 ou en 2022. On veut se concentrer à prévenir des risques dans le futur.

Le chercheur Jean-Philippe Julien dans son laboratoire. Archives ONFR+

Quel sera le rôle de la communauté scientifique canadienne une fois que la campagne de vaccination en sera à ses derniers miles au Canada?

La communauté scientifique est dans la gestion de risques pour générer des outils dans le futur au cas où on en aurait besoin. Tout le monde espère que le virus arrêtera bientôt, que tout le monde soit vacciné, que les taux de mortalité et d’hospitalisation diminuent. Est-ce que c’est ça qui va se produire? On l’espère, mais si ça ne se produit pas et que y’a de nouveaux variants qui arrivent chaque six mois ou chaque année, il faut regarder quels sont les outils qu’on ait pour déployer, que ce soit un vaccin annuel comme pour la grippe ou encore une technologie encore plus robuste. C’est le rôle des scientifiques de générer ces outils-là.

L’expression « virage à 360 degrés » est peut-être une faible expression pour expliquer la tournure qu’a prise la communauté scientifique dans la dernière année. Comment expliquez-vous ce revirement des scientifiques partout sur la planète?

Je pense que c’est remarquable. C’est énormément positif à quel point autant de ressources et d’efforts peuvent être déployés quand on à une cause commune, alors c’est un positif énorme. (…) Ça amène aussi la question à savoir pourquoi on n’a pas accordé autant d’attentions à d’autres maladies comme le paludisme par exemple, la moitié de la population mondiale étant à risque de le contracter. Aors on espère qu’il y aura autant d’attention dans le futur sur les autres maladies infectieuses qui sont aussi importantes ailleurs dans le monde.

Qu’est que vous répondez aux gens qui craignent le vaccin ou qui préfèrent attendre avant de le recevoir?

Il faut que la population comprenne qu’il y a énormément de protocoles à respecter, que ce soit au Canada ou ailleurs avant qu’un médicament ou un vaccin soit déployé dans la population générale. La première question est la sécurité, à savoir s’il est sécuritaire pour les gens. Ensuite, on parle d’efficacité à l’échelle de la population. S’il y a juste une personne qui est vaccinée et le reste du monde ne l’est pas, ça n’aidera pas contre la pandémie. Tout le monde doit jouer un rôle dans ce combat.

Êtes-vous surpris que l’on ait été capable de vacciner les gens seulement quelques mois après le début de la pandémie?

C’est exceptionnel à quel point la science est capable de livrer la marchandise. Je n’aurais jamais prédit qu’on aurait été où l’on était en novembre avec les chiffres d’efficacité qu’on avait. Moi je trouve que c’est remarquable ce qui s’est produit. On a battu des records par des années et des années pour le développement des vaccins. C’est désormais aux rôles des institutions de permettre à ce vaccin de se réaliser dans nos communautés. »


LES DATES-CLÉS DE JEAN-PHILIPPE JULIEN :

1982 : Naissance à Baie-Comeau (Québec)

2010 : Obtention d’un doctorat en biochimie à l’Université de Toronto

2014 : Arrivée au département d’études moléculaires de l’Hôpital SickKids

2020 : L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare la pandémie mondiale

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.