Julie Jardel, globe-trotteuse en quête de diversité
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
HAMILTON – Julie Jardel, directrice générale du Centre francophone Hamilton (CFH) est une voyageuse dans l’âme. Après la France, les États-Unis et la Namibie, elle pose ses valises à Hamilton il y a quatre ans, animée par la diversité de ses communautés. Une de ses passions? Allier le français aux arts et à la culture comme vecteurs de liens entre les francophones venus du monde entier, dont le festival FrancoFEST les 16, 17 et 18 juin prochains à Hamilton en est le point d’orgue.
« Quel a été votre parcours en France et qu’est-ce qui vous a amenée au Canada et à Hamilton particulièrement?
J’ai fait des études en relations internationales, diplomatie, arts et culture que j’ai toujours aimé mélanger, en me demandant : comment la culture peut-elle être un moyen de mieux dialoguer entre les différents peuples? Ma filière étant très orientée vers l’international, dont l’Amérique du Nord, j’ai eu plusieurs occasions de m’y rendre.
J’ai toujours voulu vivre à l’étranger et, à la fin de mes études, je recherchais une opportunité sans aucun a priori sur le lieu, où que ce soit dans le monde, tant que ça me permette de m’épanouir professionnellement et personnellement. Il se trouve que la première offre qui m’ait été faite et qui m’ait plu soit au Canada, au Centre francophone Hamilton, ville dont la multiculturalité m’a attirée.
Est-ce que vous vous voyez y rester sur le long terme?
En quatre ans, je me suis vraiment établie et ma vie personnelle avec. Hamilton c’est un peu comme ma maison maintenant et je n’étais finalement jamais restée aussi longtemps dans une ville. J’ai envie d’en faire mon pied à terre dans le pays. J’ai rapidement évolué au sein du centre, passant de stagiaire à chargée de projet et maintenant directrice générale. J’ai pu m’épanouir dans cet organisme culturel et social avec une petite équipe dynamique polyvalente qui touche à tout. Ce sont les mots clés qui me parlent.
Comment qualifieriez-vous la francophonie de Hamilton?
La francophonie de Hamilton est très multiculturelle et évolue vite. C’est ce que j’aime. Il y a beaucoup d’intérêt pour la langue de personnes venues de partout à l’international. On y trouve un peu tous les profils. Hamilton n’étant ni trop grande ni trop petite, la communauté francophone y est engagée et solidaire pour contribuer à son épanouissement.
On voyage à travers le monde rien qu’en parlant français avec les gens de Hamilton, c’est une vraie richesse. C’est ce que j’essaye de faire transparaitre à travers le festival FrancoFEST. Au travers du français, il y a une intersection de plein d’identités différentes. C’est un point central qui nous relie mais qui est aussi le prétexte pour découvrir d’autres cultures.
D’où viennent majoritairement les francophones de Hamilton?
À l’origine, beaucoup sont venus du Québec ou du Nord de l’Ontario pour le travail, avec l’industrie du tabac, de l’acier et du textile, fin du 19e et début du 20e. Le centre pour lequel je travaille a été fondé en tant que Centre français Hamilton en 1971, et c’est dans les années 60 et 70 que cette communauté se rassemble et s’organise.
Puis, les années passant, de plus en plus de vagues d’immigration viennent s’y ajouter, notamment venant d’Afrique et d’Europe à partir des années 90 et 2000. De cette diversité, le nom du centre a évolué de « français » à « francophone ».
L’autre phénomène récent que je trouve intéressant est que l’on voit de plus en plus d’immigrants qui viennent de pays dont la première langue n’est ni le français ni l’anglais et qui choisissent d’étudier en français, notamment beaucoup de latinos, qui sont dans les écoles francophones avec des enfants trilingues dès le premier âge.
Quels sont les principaux champs d’action du CFH?
Bien que nos missions soient plus larges, notre raison d’être est vraiment la culture et les arts en offrant des occasions socioculturelles d’échanger en français à tous les âges, des activités en français de type cinéclub, clubs de lecture, cercles de conversation, spectacles, ateliers d’art, etc. On travaille beaucoup avec les écoles et on organise également trois camps d’été à Hamilton, Burlington et Milton qui durent sept semaines.
C’est un peu notre entreprise sociale qui génère des fonds autonomes, ce qui nous permet de les reverser dans des activités gratuites dans la mesure où notre but est de rester abordable. L’idée est de permettre aux enfants de garder leur vie sociale en français, de rester connectés à leur communauté pour stimuler leur sentiment d’appartenance.
Parmi les initiatives auxquelles contribue le CFH, il y a le projet pilote « Communautés francophones accueillantes ». Qu’en est-il maintenant?
Le projet avance bien. Il s’agit de sa dernière année, puisqu’il se termine a priori en mars 2024. On est donc en plein dans les évaluations, les demandes de renouvellement de fonds et le compte-rendu pour l’année 2023-24.
On a fait beaucoup de belles choses ces trois dernières années, notamment pour mieux référencer les services entre anglophones et francophones, accueillir les réfugiés dans la région, soutenir les activités organisées pour les nouveaux arrivants, les aider à créer leur entreprise, trouver du travail, ou encore rendre le centre-ville de Hamilton plus accueillant avec une marche autoguidée en français sur le thème de l’histoire, l’art et l’immigration (La Ligne Bleue).
La FrancoFEST aura lieu du 16 au 18 juin 2023. Parlez-nous de l’histoire de ce festival.
Le festival est né il y a environ 40 ans en tant que célébration annuelle de la francophonie, à l’origine célébration de la Saint-Jean-Baptiste pour les Canadiens francophones qui y étaient établis. Au fur et à mesure que la communauté s’est étoffée et diversifiée, c’est devenu la FrancoFÊTE et puis la FrancoFEST, organisée tous les ans mi-juin au Parc Gage à Hamilton.
C’est le rendez-vous incontournable pour tous les francophones de la grande région de Hamilton, de la péninsule du Niagara, à la fois un rassemblement communautaire, mais avec aussi 40 % de visiteurs qui vivent à au moins 60 km de la ville et plus, et attirant jusqu’à 5 000 personnes chaque année.
Que nous réserve ce festival cette année?
Cette année, on revient à une formule de trois jours, ce qui est formidable, surtout après des coupures de financement qu’on a eu au niveau provincial en 2018-2019, suivies de la pandémie ces dernières années. On ouvre le bal pour la première fois avec un spectacle pour les scolaires le vendredi matin. Sept écoles de la région répondront présentes – soit 700 élèves -, pour assister à un spectacle de l’artiste autochtone Innu et Québecois Shauit qui chante dans sa langue maternelle et performe aussi le soir.
Il y en aura pour tous les goûts, tant sur le plan culinaire que musical : pop, rock, folk, reggae, danse contemporaine, urbaine, des spectacles en tous genres (pour la petite anecdote, même des chiens cascadeurs issus des refuges), tatouage, peinture sur visage et de multiples créations artistiques. Au total, une trentaine de groupes de musique ainsi qu’une vingtaine d’exposants francophones de Hamilton, sans compter les food trucks.
La soirée de clôture le dimanche sera une célébration de la Saint-Jean, un clin d’œil historique, avec un groupe de musique traditionnelle franco-canadienne mêlée à de la musique de percussion africaine pour évoquer ce beau mariage qu’est la francophonie de nos jours, sans oublier bien sûr des spécialités culinaires locales comme la poutine.
Hamilton est confronté à de gros défis tels que l’itinérance et la crise des opioïdes. Quelles seraient selon vous les solutions à mettre en place?
C’est un problème de santé publique très grave. La première chose à faire serait de déclarer la situation d’urgence, ce qui n’est pas encore le cas, afin de libérer des fonds pour permettre à ces personnes d’avoir accès à des services de santé mentale, à des centres de soins, à des centres de consommation de drogues supervisée.
Il y a un gros manque de services. Le coût de la vie et de l’immobilier s’ajoute également à ce phénomène et l’aggrave. La création de logements abordables serait indispensable. Être dans la rue rend très difficile voire impossible pour ces personnes de soigner leur addiction.
Depuis l’élection d’Andrea Horwath comme mairesse de Hamilton, le centre entretient-il de meilleurs rapports avec la ville?
On commence à en voir quelques effets positifs, bien qu’il soit un peu tôt pour en juger. La mairesse, qui elle-même est bilingue, viendra au festival. Elle s’est entourée de quelques conseillers municipaux qui parlent français également. La ville a augmenté son investissement dans le festival, ce qui est très positif. On partait cependant de vraiment loin. L’implication de la mairie auprès des francophones a été très minimale ces dernières années. C’est donc un travail constant de notre part pour faire en sorte que des choses se mettent en place. »
LES DATES-CLÉS DE JULIE JARDEL
1994 : Naissance à Strasbourg, en France
2014 : Année d’études à l’étranger à Los Angeles, États-Unis, un voyage initiatique
2017 : Départ en Namibie, sud-ouest de l’Afrique, pour une année
2018 : Année d’obtention de son Master
2019 : Arrivée au Canada
2022 : Devient directrice générale du Centre francophone Hamilton
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.