La beauté, l’art et l’écriture
Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.
[CHRONIQUE]
Il y a quelques années, j’ai lu le livre de Muriel Barbery, L’élégance du hérisson. Je dois admettre que j’ai laissé ce livre, prêté par une amie, traîner entre les étagères de ma bibliothèque et ma table de chevet pendant des mois avant de me plonger dans sa lecture.
Est-ce le titre qui m’a « découragée »? Un titre justement énigmatique et pas vraiment attrayant. Après tout, que vient faire un hérisson dans le monde littéraire et encore plus dans la beauté, l’élégance. Il va sans dire qu’inconsciemment j’étais déjà tombée dans le piège ou plutôt le sortilège de Muriel Barbery.
Heureusement que ma curiosité l’a emportée sur la chose et qu’un jour, probablement à cause de l’ennui, j’ai commencé la lecture de ce roman sans pouvoir le mettre de côté seulement une fois terminé.
Nous avons tous grandi quelque part dans un endroit où des proverbes comme « L’habit ne fait pas le moine » étaient relayés par nos grands-parents ou nos aînés. Un genre d’avertissement pour ne pas juger une personne uniquement par son physique et par extension un livre par son titre. Mais notre mémoire humaine est trop courte pour retenir cette sagesse millénaire.
Renée Michelle, l’héroïne du roman, a tout ce qu’il faut pour nous rappeler cet adage. Justement, ne pas tomber dans la superficialité du monde et plutôt choisir de contempler la vraie beauté, celle des arts, des idées philosophiques et de la littérature. Renée Michelle est concierge dans un immeuble parisien de luxe. Avec sa physionomie ingrate, sa profession au bas de l’échelle et son milieu inculte, elle a tout pour contraster avec les résidents de son immeuble : leur richesse, leur statut social élevé et leur culture raffinée.
Mais est-ce vraiment la réalité? Qui est beau et qui est laid? Qui est riche et qui est pauvre? Qui est intelligent et qui est abruti? Maintes fois dans son livre, l’autrice nous renvoie vers nous-mêmes chercher les réponses dans les profondeurs de la beauté. Cette beauté cachée dans certains tableaux et qui nous émerveillent, nous époustouflent, presque enivrés en les regardant, en les dévorant avec nos sens, en oubliant la laideur physique et en embrassant la beauté morale, je dirais presque divine. Au-dessus de nous tous.
Dénicher la vraie beauté dans les arts et les mots
Avec des mots sur les lèvres de Renée, Muriel Barbery parle d’art, de philosophie, de cinéma et de littérature comme lorsque cette dernière est fascinée par le tableau de Claesz, un peintre néerlandais du 17e siècle, qui a peint Nature morte aux huîtres et que Renée décrit longuement dans un paragraphe qui s’ouvre comme suit : « C’est une nature morte qui représente une table dressée pour une collation légère d’huîtres et de pain. »
Muriel Barbery nous donne une leçon d’humilité, à commencer par moi, pour laisser tomber nos préjugés individuels et sociétaux et aller dénicher la vraie beauté dans les tableaux, dans les arts et dans les mots.
C’est aussi le message que j’ai retrouvé en lisant le plus récent roman de Michèle Vinet, Jaz.
Jaz, un nom à la fois bizarre et intrigant, est un homme qui perd l’amour de sa vie à la suite à un accident de la route et qui déchaîne sa peine et son désarroi dans la peinture. À la recherche de son amour perdu, mais aussi pour combler ce vide ou encore pour projeter son malheur dans l’art.
Ce n’est pas un hasard que l’aubergiste du coin, un opportuniste ou disons un monsieur qui a le sens des affaires, flaire le talent mais aussi saisit l’amplitude de cette plaie béante qui torture Jaz, qui peut être monétisée et rapporter gros.
C’est comme si plus la peine est profonde et plus l’art est pur et certainement plus son expression sera magnifique. Les gens s’y retrouvent. Les gens admirent les peintures en s’y voyant. Les gens achètent cet art cru où les émotions de Jaz sont à fleur de peau et où ces voyeurs ou visiteurs retrouvent leur propre malheur sans piper un mot, juste en regardant les tableaux de Jaz.
D’une exposition presque banale chez l’aubergiste, les tableaux de Jaz ne cessent d’attirer les regards et les acheteurs jusqu’à des expositions dans la grande ville jusqu’aux grandes capitales de ce monde. Tout le monde veut se procurer des tableaux de Jaz. Tout le monde est séduit par la beauté qui s’en dégage.
Comment un vide personnel peut-il être traduit par de simples coups de pinceau? Michèle Vinet capture ces subtilités et ces nuances par ces mots : « rouge chagrin, rouge-élan, vert-naissance, bleu-tendresse, violets aussi glycines que sorciers ». Le tableau devient un champ de bataille où les émotions s’emparent des couleurs et les peines s’accaparent des pinceaux pour une lutte sans fin.
Un don commun de pouvoir exprimer leurs émotions vives
Les personnages respectifs Jaz, de Michèle Vinet, et Renée, de Muriel Barbery, sont des artistes nés. Des êtres touchés par la baguette magique de la fée de la beauté. Ils ont ce don de pouvoir exprimer leurs émotions vives et leur brillante intelligence dans la peinture, pour le cas de Jaz, ou dans les mots et les idées, pour le cas de Renée.
Souvent, ces personnes vivent l’entièreté de leur vie sans être découvertes mais, parfois, elles sont reconnues pour leur talent artistique par certains. Pour Jaz c’est l’aubergiste dans sa quête d’argent et de prestige qui pousse Jaz à exposer et vendre ses tableaux jusqu’à une réputation mondiale. Pour Renée, c’est une rencontre fortuite avec un homme japonais fort cultivé qui la reconnaitra désormais, non plus comme une simple concierge méprisée par certains ou tout simplement ignorée par d’autres, comme une femme intelligente et sensible.
Dans ces deux romans, les références à des œuvres d’art, à des classiques du cinéma ou de la littérature sont à la fois subtils et explicites.
Du chat de Renée appelé Léon en référence à Tolstoï jusqu’à Proust que Renée lit en cachette comme on lirait un roman damné. Quant à Vinet, elle ne se gêne pas à faire allusion à l’oeuvre Les Hauts de Hurlevent de Emily Brontë ou Le Rouge et le Noir de Stendhal, des romans qui ont séduit mon adolescence.
Peinture, art et littérature sont presque des personnages dans ces deux livres. Un délice pour tous ceux qui sont à la recherche de la beauté.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et du Groupe Média TFO.