La Cour suprême du Canada. Crédit image: Archives ONFR

OTTAWA — La traduction d’anciens jugements de la Cour suprême, comme l’exige la Loi sur les langues officielles, n’est pas possible pour « une question de moyens et de raisonnabilité », affirme le juge en chef de la plus haute cour au pays Richard Wagner.

La modernisation de la Loi sur les langues officielles, adoptée en juin dernier, oblige l’ensemble des tribunaux canadiens à traduire leurs décisions dans les deux langues officielles. Or les jugements rendus avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles ne sont pas disponibles en français et en anglais.

Dans sa conférence de presse annuelle lundi, le juge en chef de la Cour suprême du Canada Richard Wagner a affirmé que le plus haut tribunal avait « quand même regardé de bonne foi » à cette possibilité. Le résultat de la traduction de ces 6 000 jugements? Un coût de 10 à 20 millions, la nécessité de plus de 100 interprètes et près de dix ans de travail selon lui.

« On n’a pas cet argent-là. S’il y a quelqu’un qui l’a tant mieux… mais nous, on ne l’a pas », soutient le juge en chef.

De plus, « le problème ultime, c’est que ça ne serait jamais des versions officielles » alors que la Cour suprême est obligée d’avoir une version officielle dans chaque langue, soutient-il, ajoutant que les décisions rendues avant 1970 ont un intérêt juridique « très minime ».

« Il n’y a personne qui va se référer à un précédent de 1892 pour justifier son dossier. Le droit évolue tellement rapidement, surtout avec la Charte des droits et libertés en 1982, la toile juridique a complètement changé. »

« Bref, c’est une série d’embûches. Moi, j’aimerais ça, ne serait-ce que pour protéger notre patrimoine juridique de pouvoir le faire… Ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est une question de moyens et de raisonnabilité », ajoute-t-il.

Le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner, devant la Cour suprême du Canada. Archives ONFR

Blâmé par le commissaire aux langues officielles

En novembre 2023, Radio-Canada rapportait que le commissaire aux langues officielles avait conclu dans un rapport d’enquête que la non-traduction des décisions constituait une violation de la Loi sur les langues officielles. Un organisme québécois Droits collectifs Québec a déposé une seconde plainte en décembre 2023 se disant même prêt à amener la Cour suprême devant les tribunaux pour la forcer à traduire ses jugements antérieurs.

« On quête à la Cour suprême la capacité à se conformer à l’état de droit, c’est une question plutôt particulière », déplore son directeur général Etienne-Alexis Boucher.

Richard Wagner ne ferme toutefois pas la porte à trouver une issue lui qui a indiqué qu’il doit discuter avec la bâtonnière du Québec qui lui a signalé une possible solution à son problème.

La Fédération des associations de juristes d’expression française de common law se dit déçue de l’inaction dans ce dossier de la Cour suprême du Canada estimant que certaines décisions clés encore utilisées aujourd’hui comme jurisprudence pourraient être traduites.

« Je pense que la perspective de dire qu’on ne va pas rien faire est une approche très renfermée dans la vision de l’accès à la justice… Il y a plus d’une façon de régler le problème et dire non uniquement enfreint l’accès à la justice en français au Canada », juge son président Justin Kingston en entrevue.

Devant le commissaire aux langues officielles, la Cour suprême plaidait ne pas avoir à effectuer la traduction parce que ce n’était pas de la communication publique, mais du domaine judiciaire, a expliqué Richard Wagner.

Droits collectifs Québec n’accepte pas l’argument financier du juge en chef plaidant que le « respect de l’État de droit » doit passer avant.

« Ce n’est pas Droits collectifs Québec ou Etienne-Alexis qui a écrit la Loi. C’est l’État fédéral. Donc si la Cour suprême manque de ressources, je l’invite à se retourner vers le gouvernement et lui demander de lui offrir les ressources nécessaires pour respecter la loi », soutient Etienne-Alexis Boucher.