La Couronne et les peuples autochtones, une relation de traités
L’an prochain, la Proclamation royale de 1763, fêtera ses 260 ans. De nombreuses nations autochtones et la Couronne se sont historiquement fondées sur des traités pour garantir une reconnaissance et un respect mutuel. Pourtant, cette relation entre les deux, à ce jour, est mal comprise, voire vaguement établie. Les peuples autochtones, qui ne sont pas des sujets de la Couronne, réclament un pardon pour le manquement quasi continu des traités censés les protéger.
Le prince Charles et sa femme, en déplacement au Canada en mai dernier, étaient allés à la rencontre de plusieurs représentants autochtones. Durant leur visite, Rose Anne Archibald, cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, demandait des excuses pour le manquement continu de la Couronne à respecter les traités. Mais aussi que la reine Elizabeth II, en tant que cheffe d’État du Canada et de l’Église Anglicane, s’excuse à son tour – après le Pape en avril dernier – auprès des survivants des pensionnats.
Le prince Charles, lors d’une allocution au terme de sa visite, expliquait vouloir de nouvelles relations, et s’est dit dévoué à écouter. « On doit trouver de nouvelles façons de coopérer avec la noirceur du passé. C’est un processus qui commence par le fait d’écouter(…). Nous voulons forger une nouvelle relation pour le futur. »
Pourtant, les peuples autochtones regrettent le silence de la Couronne face à la disparation de femmes autochtones, des pensionnats et de la violation des traités. Certains voient un espoir dans l’élection de Mary Simon, comme première femme autochtone en tant que gouverneure générale. Ou encore, dans les excuses de l’archevêque de Cantorbéry, le chef de l’Église d’Angleterre. Il n’empêche que ce sont les excuses de la reine, chef suprême de l’église, qui sont ici demandées.
Là encore, des accords conclus avec la Couronne britannique auraient été bafoués selon plusieurs défenseurs des droits autochtones. La Proclamation royale indique par exemple que « les nations sauvages avec lesquelles nous avons quelques relations et qui vivent sous notre protection, ne soient ni inquiétées et ni troublées dans la possession de telles parties de nos domaines et territoires comme ne nous ayant pas été cédés, ni achetés par nous ». Cette section de la Proclamation fait référence aux territoires et plus tard aux partages des ressources naturelles.
Une relation vieille et complexe
La relation entre les autochtones et la Couronne britannique est loin d’être simple.
D’abord, comme l’indique Karine Vanthuyne, chaire en enseignement universitaire de l’Université d’Ottawa, « les traités remontent au premier contact. Ce sont des traités territoriaux et des traités d’amitié et de bonne entente. Ils ont d’ailleurs régulièrement été bafoués, c’est donc évident qu’il y ait une colère accumulée ».
Cette relation, vieille de centaines d’années, s’est forgée dans l’histoire coloniale. Dès 1761, par exemple, Minavavana, un chef ojibwé de l’ouest de Manitoulin avait présenté une perspective reflétant l’opinion selon laquelle les Premières Nations n’avaient pas été conquises.
Il déclarait ainsi : « Anglais, quoique tu aies vaincu les Français, tu ne nous as pas encore vaincus! Nous ne sommes pas vos esclaves. Ces lacs, ces bois et ces montagnes nous ont été légués par nos ancêtres. Ils sont notre héritage et nous ne les céderons à personne. (…) Anglais, votre roi ne nous a jamais envoyé de présents, ni conclu aucun traité avec nous, c’est pourquoi lui et nous sommes toujours en guerre, et, jusqu’à ce qu’il fasse ces choses, nous devons considérer que nous n’avons pas d’autre père ou ami parmi l’homme blanc, que le roi de France. Vous êtes parmi nous, dans l’espoir que nous ne vous agresserions pas. Ne venez pas armer, avec l’intention de faire la guerre, venez en paix, pour commercer avec nous, pour nous fournir les nécessités, dont nous manquons beaucoup. Nous vous considérerons donc comme un frère et vous pouvez dormir tranquille, sans crainte. En gage de notre amitié, nous vous présentons cette pipe, à fumer. »
Cette déclaration s’inscrivait dans un désir de relation de gouvernement à gouvernement, de nation à nation.
Dès 1763, avec la Proclamation royale et 1764, avec le traité de Niagara, dans la majeure partie du Canada, les rapports se sont fondés entre la Couronne et les nations autochtones sur la base d’une collaboration et du partenariat permanent avec les peuples autochtones. Bien que l’autonomie et la compétence des Premières Nations ne soient pas claires, puisque la Proclamation a été rédigée sous le contrôle de la puissance coloniale de l’époque.
Pour Karine Vanthyune qui travaille sur la mémoire, l’identité et la défense des droits des peuples autochtones, « la Proclamation est un document colonial. C’est l’autorité royale, si on veut, qui a décidé de comment tout ça allait se passer. En même temps, le traité de Niagara a été signé entre les nations autochtones et la Couronne. Par ce traité, on voulait continuer de travailler ensemble comme des nations qui cohabitent. Il n’y avait pas, dans ce contexte à l’époque, l’idée de soumission à un pouvoir colonial. On parlait de relation de nation à nation. Une sorte de cogérance ».
Des excuses pour une bonne relation
Est-ce utopique de demander des excuses à la reine? À cette question, Karine Vanthyune, pense que « symboliquement des excuses seraient appréciées. C’est pourtant compliqué, puisque la monarchie anglaise représente le pouvoir colonial, donc dans un sens, si elle s’excuse pour cette affaire, il faudra qu’elle s’excuse pour de nombreuses autres ingérences à travers le monde. Je ne suis pas sûre que ça arrive un jour ».
Dans une allocution du 20 mai, le prince Charles annonçait reconnaître la souffrance des survivants et réitérait son désir de « travailler à mieux comprendre leurs douleurs et leurs souffrances ».
Pour la professeure, « les excuses permettent à ceux qui les reçoivent de passer à autres choses, mais s’excuser c’est aussi reconnaître ses torts. Je doute que la Couronne puisse assumer cela. Puis l’autre chose, c’est qu’après les excuses, il faut réparer, mais la Couronne n’a pas ce pouvoir, elle ne peut rien faire ».
Outre les affaires de pensionnats, ce qui atteint la relation entre la Couronne et les autochtones se joue dans les traités. « Les Canadiens pensent pensionnat, car ce sont les crimes le plus médiatisés, mais cela s’inscrit dans une longue liste de torts, qui sont des violations des droits et des accords signés », renchérit Mme Vanthyune.
En effet, bien que ces traités aient été signés bien avant le règne d’Elizabeth II, la demande des nations autochtones reste « que la reine reconnaisse que ses prédécesseurs n’ont pas respecté les ententes », souligne la professeure.
Une relation d’égal à égal
Durant le mouvement de protestation Idle No More entre 2012 et 2013, la cheffe Theresa Spence de la Première Nation d’Attawapiskat avait lancé une grève de la faim, après avoir demandé de l’aide pour sa communauté. Pour rappel des faits, « suite à une surpopulation et à problème de logement, la population de sa communauté vivait dans une situation catastrophique. En hiver, il fait jusqu’à -50 degrés là-bas, c’était dangereux, les gens chauffaient leurs maisons et elles prenaient feu, car complétement détérioré. La Croix-Rouge est intervenue. On parle du Canada, pas dans un pays du Tiers Monde. Bref, elle a demandé de l’aide et elle ne l’a pas eu, parce qu’on l’a accusé d’avoir mal géré les fonds », explique Karine Vanthyune.
Après cet événement, la cheffe avait exigé une rencontre avec le premier ministre Stephen Harper et le gouverneur général David Johnston. Elle, ainsi que plusieurs de ses soutiens, ont écrit à la reine Elizabeth II en lui demandant d’ordonner au gouverneur général d’y assister.
« En faisant ce geste-là », raconte Mme Vanthuyne, « elle a rappelé qu’il y avait une entente de nation entre nation avec la Couronne britannique ».
« Cela démontre que pour les autochtones, ils n’ont jamais été conquis et c’est en fait fréquent – quand le gouvernement canadien ignore les autochtones – de se tourner vers de la Couronne. Ils se considèrent comme des co-souverains et veulent être reconnus comme tels. »
Pourtant, la relation entre les deux est sujette à beaucoup de ressentiment. En juillet 2021, après que plus de 750 tombes anonymes d’enfants qui avaient été découvertes sur le site d’un ancien pensionnat pour autochtones à Marieval. Les statues de la reine Victoria et de la reine Elizabeth II, avaient été déboulonnées à Winnipeg, au Manitoba.