La démarche du Québec bien accueillie en Ontario français
OTTAWA – Ces dernières années, le ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-Marc Fournier, a multiplié les visites auprès de la francophonie canadienne. Une démarche appréciée, qui pose toutefois plusieurs questions.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« C’est une bonne nouvelle pour l’Ontario de voir que le Québec veut se rapprocher de notre communauté, exercer le leadership que son volume de population lui permet et élargir l’espace francophone. On le voit notamment avec les nombreuses ententes que le Québec a signées avec les provinces », remarque Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).
Le 18 janvier, le Québec a renouvelé son entente avec le Nouveau-Brunswick pour favoriser la francophonie canadienne. Et lors de son passage à Ottawa, quelques jours plus tôt, pour présenter la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadienne de son gouvernement, M. Fournier a rencontré plusieurs organismes franco-ontariens.
« On a parlé des choses sur lesquelles on travaille. On a plusieurs dossiers en commun, notamment pour régler la pénurie d’enseignants de langue française au Canada ou sur le dossier de l’immigration francophone. Nous avons demandé à M. Fournier que sa province, sans s’ingérer, se manifeste quand les francophones mènent des luttes dans leurs provinces », juge M. Jolin.
Un allié naturel
S’il considère que la volonté du Québec de renouer le dialogue avec les communautés francophones de tout le pays est « une bonne nouvelle », François-Olivier Dorais, doctorant en histoire à l’Université de Montréal, rappelle que la démarche n’est pas nouvelle.
« Dans les années 60, les États généraux du Canada français avaient entraîné une rupture que les référendums sur la souveraineté de la province avaient accentuée, dans les années 90. Mais depuis 2000, sous le gouvernement de Jean Charest, le Québec a renoué le dialogue, notamment avec la création du Centre de la francophonie des Amériques. »
« Le Québec est le seul lieu où le français se vit en milieu majoritaire. Il y a des liens à tisser, notamment avec l’Ontario. » – François-Olivier Dorais
La politologue de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, juge d’ailleurs que l’ancien ministre Benoît Pelletier était encore plus actif que M. Fournier et que depuis, prévaut plutôt une sorte de statu quo.
« Rappelons également que le Parti québécois a lui aussi développé une politique d’affirmation et de relations avec la francophonie de l’extérieur du Québec », ajoute-t-elle.
M. Dorais estime que les francophones de l’extérieur du Québec ne peuvent pas se passer de leur allié historique.
Des mesures concrètes attendues
Reste que malgré les discours d’ouverture, le Québec s’est parfois opposé à l’avancée des droits des francophones au Canada, comme encore récemment devant la Cour suprême du Canada en militant contre les demandes de la communauté franco-yukonaise qui revendiquait le droit à la gestion de ses écoles.
« Cela n’a toutefois pas empêché, une fois la cause perdue devant les tribunaux, des discussions entre la communauté et leur gouvernement », note M. Jolin. « Le Québec peut aussi jouer un rôle derrière les portes closes. »
Mais pour Mme Cardinal, les bonnes intentions de M. Fournier et de son gouvernement demeurent floues.
« Je trouve la démarche intéressante, mais j’aimerais voir comment ils comptent, concrètement, être plus actifs pour la défense de la langue française. D’autant que le gouvernement fédéral n’est pas très présent dans le dossier. Le gouvernement québécois pourrait prévoir, par exemple, des échanges avec l’Ontario pour favoriser la mobilité entre les deux provinces, comme de proposer des séjours d’immersion en français au Québec pour les fonctionnaires ontariens, des bourses pour les étudiants franco-ontariens ou des collaborations entre les chercheurs. »
Dépolitiser la francophonie
Le doctorant en histoire rappelle que malgré les messages de M. Fournier à l’intention des francophones de l’extérieur du Québec, sa politique d’affirmation ne contient que très peu de mentions de la francophonie canadienne.
« Ce n’est pas un élément crucial dans le document. Et quand M. Fournier en parle, c’est avec des accents très utilitaristes et économiques, en insistant sur le bilinguisme comme un avantage comparatif. Il omet la place du français dans la culture, l’histoire et la mémoire du Canada et privilégie une vision linguistique et juridique de la francophonie, qui se rapproche de celle des organismes francophones. Pourtant, ce n’est pas forcément la vision des francophones sur le terrain qui pense encore faire partie des peuples fondateurs. Il y a une volonté de dépolitisation de cette question. »
L’optimisme de M. Fournier concernant la francophonie au Canada et en milieu minoritaire laisse aussi M. Dorais songeur.
« M. Fournier a tendance à omettre les tensions et à nier la réalité politique des rapports entre les deux langues officielles. Sa vision est très optimiste, alors qu’il n’y a pas de quoi quand on regarde le dernier recensement. »