La discrète et passionnée francophonie du Festival caribéen de Toronto
Des milliers de danseurs, un florilège de couleurs, de la musique tonitruante à bord d’énormes camions… Chaque année le Festival caribéen de Toronto en met plein la vue à plus d’un million de spectateurs. Immersion dans la Grande Parade au hasard de rencontres francophones.
« Le carnaval, ça représente beaucoup pour moi. C’est un temps joyeux où tu peux tout oublier, danser, bouger ton derrière », sourit Emma Babio. La jeune Franco-Torontoise originaire du Ghana ne raterait la fête pour rien au monde. Elle y participe depuis 14 ans et s’inscrit avec assiduité depuis cinq ans dans une des nombreuses troupes déguisées, communément appelés les Mas Band, en référence à la mascarade.
« Je suis ici pour m’amuser », confie-t-elle tout en ajustant son costume rose serti de bijoux et de chaines. « C’est excitant de rencontrer autant de gens au même endroit pour célébrer la diversité culturelle, l’émancipation et la liberté. La Grande Parade est le moment le plus grand. Tout est permis. On ne pense plus à rien d’autre qu’à danser et chanter. »
Tandis que la matinée s’achève, autour d’elle, ses amies attendent que le cortège démarre. Les grandes enceintes du camion le plus proche n’ont pas attendu le top départ pour déverser leur flot d’afrobeat mêlé de hip-hop, reggae et calypso, cette musique originaire de Trinité-et-Tobago, aux sources de la soca.
Nombre de participants sont originaires de cet État situé à l’extrême sud de l’archipel des Caraïbes où l’anglais, langue officielle, cohabite avec le créole et l’espagnol. C’est d’ailleurs le cas d’une grande partie des 700 îles, ce qui explique la présence discrète, voire cachée, de la francophonie au carnaval.
Kanesha Edwards fait mentir cette statistique. Être Trinidadienne et francophone, c’est possible! « C’est extraordinaire de représenter la culture que m’ont transmise mes parents. J’adore ce folklore et cela fait 16 ans que j’y participe. J’ai commencé dans la catégorie junior », relate-t-elle, parée d’une imposante structure colorée de vert et d’argent, sous l’œil d’un gigantesque lézard couronné. Plus tôt cette semaine, elle a tenté de rafler la couronne au concours Roi et Reine du carnaval, en compétition avec une cinquantaine d’autres déguisements géants.
Un peu plus loin, au beau milieu d’un impressionnant contingent de danseurs jamaïcains, Jade Bowen se détache. « Je suis Jamaïcaine et je parle le français depuis la maternelle et j’ai continué de pratiquer jusqu’à l’école secondaire », dévoile celle qui vit sa toute première Grande Parade. Tout comme Trinité-et-Tobago, la Jamaïque a pour langue officielle l’anglais, tandis que l’Espagnol y est largement répandu.
« On est tout un groupe », dit-elle en agitant les plumes qui reposent sur ses épaules au rythme de la musique. Elle est bientôt rejointe par ses amies, drapeaux verts, noirs et jaunes attachés à la taille. « On aime faire la fête et célébrer notre culture. C’est stimulant d’être avec d’autres femmes, quelles que soient leurs formes, leurs origines ou leur culture. »
Le cortège se met finalement en marche à la mi-journée en direction d’une grande scène à ciel ouvert où le public, massé sur des gradins au pied du stade BMO, voit défiler les danseurs. On crie, on s’agite, on se déhanche à l’annonce au micro du nom de chaque troupe, avant de s’engager dans une longue boucle du parc des expositions au boulevard Lakeshore, en passant par la Porte des princes.
C’est ici que l’on croise Betty Duala, entre marcheurs en échasses et musiciens percussionnistes. Cette Franco-Ottavienne aux racines camerounaises vit, elle aussi, sa première expérience carnavalesque à Toronto.
Elle se dit fascinée par ce qu’elle voit. « Tout est joli, esthétique, avec des couleurs et de la bonne humeur partout. J’aime danser, me déguiser. Eh puis, ça n’arrive qu’une fois par an! »
Elle raconte que tout a été très vite pour s’inscrire et que la démarche s’avère être à la portée de tout le monde : « J’ai trouvé un groupe sur Instagram. Je leur ai dit que je voulais jouer avec eux et ils ont dit oui. Ensuite, tu dois apprendre des chorégraphies et faire ton costume. Ce n’est vraiment pas dur. Il faut juste se lancer! »
Le carnaval attire chaque année plus d’un million de spectateurs. En 2022, après deux ans de pause pandémique, il aurait généré 465 millions de dollars de retombées économiques en Ontario, selon ses organisateurs.
Créé en 1967 à la faveur du centenaire de la Confédération canadienne, cet événement commémore, chaque premier samedi du mois d’août, l’émancipation des esclaves au Canada en 1838. Il célèbre aussi les contributions de la communauté des Caraïbes au pays.
Il figure depuis 2019 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.
Article écrit avec la collaboration de Sandra Padovani.