La fermeture de la frontière plonge un peu plus Windsor dans l’isolement
WINDSOR – Ottawa a annoncé aujourd’hui la fermeture de la frontière canado-américaine pour freiner l’épidémie de COVID-19. Une nouvelle comprise, mais redoutée, à Windsor qui entretient des liens historiques, culturels et économiques serrés avec Détroit.
Le gouvernement fédéral a franchi une nouvelle étape dans sa lutte contre la propagation du coronavirus en annonçant la fermeture temporaire de sa frontière avec les États-Unis, une première depuis le 11 septembre 2001. L’entrée en vigueur devrait intervenir dans les jours qui viennent.
Depuis lundi, il était interdit à tout voyageur étranger d’entrer dans le pays, exception faite des Américains, diplomates et membres d’équipage de compagnies aériennes. Désormais, les États-Unis ne font plus exception. Le premier ministre Justin Trudeau et le président Donald Trump ont convenu, d’un commun accord, de renforcer les mesures de sécurité à leurs portes, interdisant les déplacements qualifiés de « non essentiels ».
Seuls les citoyens et résidents canadiens restent autorisés – et sont vivement encouragés – à rentrer au pays. Les déplacements superflus sont proscrits, mais les flux de marchandises ne seront pas touchés, promet Ottawa.
Un centre-ville déserté depuis plusieurs jours
À Windsor, ce filtrage renforcé aux frontières a plongé beaucoup de résidents dans l’expectative.
« On dépend de Détroit ici », affirme sans détour Jerry Masiya, le directeur général de l’organisme Place du partage. « Les restaurants et tous les commerces dépendent de la clientèle américaine. Beaucoup de jeunes traversent aussi la frontière pour passer le week-end chez nous. »
Ce résident de Windsor, engagé dans l’accueil des nouveaux arrivants, décrit un centre-ville déserté depuis que le coronavirus s’est répandu, une ambiance étrange qui contraste avec les embouteillages à la frontière.
« Tout est presque fermé dans le centre-ville. Il y a moins de passants, moins de circulation. Mais il y a une file indienne impressionnante devant le pont Ambassador, à cause des contrôles. »
« On a plein de projets en cours qui sont suspendus » – Claude Saizonou
Claude Saizonou, un autre résident de Windsor, décrit un décor semblable. Cet ingénieur – par ailleurs président de l’Association des communautés africaines de Windsor – traverse tous les jours la frontière pour aller travailler à Détroit en passant par le tunnel. Il s’inquiète des nouvelles restrictions gouvernementales.
« On a plein de projets en cours qui sont suspendus dans ma société. Les entreprises avec qui on travaille en sous-traitance sont fermées. Ça se répercute sur notre activité. Je vais voir avec mon employeur comment on va s’organiser dans les prochains jours. »
M. Saizonou fait face à plusieurs inconnues : son déplacement sera-t-il considéré comme « essentiel »? À quelles aides gouvernementales aura-t-il droit? Combien de temps la fermeture sera-t-elle effective?
Comme beaucoup de Canadiens, il traversait aussi la frontière le week-end pour ses loisirs et se voit désormais cantonné à l’Ontario.
« Pour des raisons de santé, ces mesures sont bien, mais sur le plan professionnel, tout est incertain. On ne sait pas trop comment ça va se passer. »
Détroit, une bouée de sauvetage économique
Une chose est sûre, l’économie de Windsor sera affectée par la situation dont on ne connaît pas encore la durée. Le Sud-Ouest ontarien et le Sud-Est du Michigan partagent de nombreuses industries qui façonnent le paysage économique régional.
« Beaucoup de résidents de Windsor travaillent à Détroit, car les salaires y sont plus élevés du fait d’un taux de change favorable », analyse Julien Geremie, le directeur général du Conseil de coopération de l’Ontario. « Détroit est une bouée de sauvetage pour l’économie de Windsor en situation délicate avec plusieurs fermetures d’usine. »
« Cette région risque de prendre encore un méchant coup » – Julien Geremie
Toute la question est, selon lui, de savoir si les déplacements pendulaires des travailleurs transfrontaliers seront considérés comme essentiels ou non. « On n’a pas de réponse à ce stade-ci. On a besoin de clarification. »
« Cette région risque de prendre encore un méchant coup », poursuit-il, y compris dans le secteur agricole. « L’agriculture est un problème aigu dans le Sud de l’Ontario. Beaucoup de travailleurs saisonniers viennent travailler à partir du printemps pour la saison de l’ensemencement et des plantations. Qu’est-ce qui va se passer si on n’a pas assez de main d’œuvre? », interroge ce spécialiste de l’entreprise sociale coopérative.
Ce matin, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, a indiqué que les travailleurs étrangers temporaires seront autorisés à entrer au Canada. Mais ils devront se soumettre à une période d’isolement de 14 jours ce qui pourrait en dissuader certains.
Des services communautaires mis en sommeil
« On a tout fermé pour ne garder que les services essentiels », explique Jerry Masiya de la Place du partage. « Je travaille encore au bureau, mais le club de devoir a été fermé, car il n’y a plus d’élèves qui fréquentent notre organisme, les écoles étant fermées. Chaque semaine, on annule aussi les rendez-vous de notre clinique qui aidait les gens à remplir leur déclaration d’impôt. »
Comme partout en province, les écoles restent fermées jusqu’au 5 avril.
Le Centre communautaire francophone de Windsor-Essex-Chatham a lui aussi suspendu toutes ses activités durant cette période.
« Dans la mesure du possible, nos activités seront reportées », précise l’organisme sur les réseaux sociaux.
De son côté, le campus du Collège Boréal a suspendu ses programmes post-secondaires cette semaine et prépare des ressources afin d’appuyer les élèves pour suivre les cours en ligne. Les services aux étudiants sont toujours disponibles, mais le centre sportif, le centre Louis-Riel, le pub étudiant et les centres de ressources sont fermés.