La guerre à l’insécurité alimentaire rencontre la lutte au gaspillage

Tablier de la banque alimentaire de Nipissing Ouest. Crédit image: Étienne Fortin-Gauthier

NIPISSING OUEST – Chaque année, des tonnes d’aliments encore consommables sont jetés à la poubelle par les grandes chaînes de supermarchés, alors même que l’insécurité alimentaire gagne du terrain. Mais ces deux problèmes peuvent avoir une solution unique, comme le prouve une initiative à Nipissing Ouest, dans le Nord de l’Ontario.

Le sous-sol du centre communautaire de Sturgeon Falls bourdonne d’activités. Une demi-douzaine de personnes s’affairent à trier et à nettoyer des fruits et des légumes. Des aliments récoltés la veille auprès de plusieurs commerces de Nipissing-Ouest, une communauté de peu plus de 14 000 personnes à l’Est de Sudbury.

En début d’année, l’organisme a décidé que s’en était assez : il était inconcevable de constater la destruction d’aliments encore consommables par les commerces locaux, quand la banque alimentaire, elle, peinait à nourrir toutes les bouches de la communauté, confie son président, Ken Perrin. L’organisme a frappé à la porte des supermarchés pour obtenir leurs invendus.

Des fruits offerts par des supermarchés locaux à la banque alimentaire de Nipissing Ouest. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

« Plutôt que de nourrir les gens, tu préfères jeter des aliments à la poubelle? Pour moi, c’est un crime. Les gens ont besoin de cette nourriture. On est en situation d’urgence », lance-t-il, entouré de boîtes de victuailles à être distribuées dans moins de 48 heures. « On visait deux distributions par mois, mais les magasins de la communauté sont tellement généreux que nous pouvons maintenant le faire tous les vendredis, à chaque semaine », se réjouit-il.

Carole Renaud, vice-présidente de l’organisme de charité, est en train de trier différents produits avec d’autres bénévoles. « On a ramassé ces fruits hier, on est en train de les laver, de les trier. Parfois, il y a un fruit pourri et le commerce va jeter tout le sac », observe-t-elle. Si cela semble faire du sens d’un point de vue commercial, il s’agit d’un non-sens pour une communauté qui compte plusieurs citoyens en précarité.

Ken Perrin et Carole Renaud (2e à partir de la droite), en compagnie de bénévoles. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

Elle affirme que l’idée n’est pas nouvelle, mais les astres sont maintenant alignés. « Ça fait longtemps qu’on voulait faire ça. Mais ça n’a pas été facile de convaincre les commerçants. Là, on a la majorité d’entre eux. Avant, tous ces beaux fruits et légumes allaient aux poubelles. Pourtant, il n’y a rien de mauvais dans la majorité de ces produits. Grâce à nous, les supermarchés jettent aussi moins de choses à la poubelle. C’est donc profitable pour eux aussi », précise-t-elle.

Auparavant, la banque alimentaire devait acheter au prix fort dans les supermarchés l’ensemble des aliments à être distribués auprès de sa clientèle vulnérable. « Surtout l’hiver, tellement de gens ont besoin de fruits et de légumes, on leur en donne. Ils ne mangent pas bien sinon », ajoute Ken Perrin.

L’organisme doit cependant toujours se procurer grâce à ses budgets différents produits sanitaires essentiels et des aliments qui ne se retrouvent pas dans les dons des supermarchés, comme le lait, précise M. Perrin.

Le boulanger Dan Lelièvre, de la boulangerie Jean-Marc, a décidé de faire le saut. Il donne chaque semaine des invendus à la banque alimentaire. « Il vaut bien mieux que quelqu’un le mange, plutôt qu’on le donne aux cochons. Avant, j’avais quelqu’un qui devait amener mon pain et mes pâtisseries invendus aux cochons. C’est mieux maintenant », lance-t-il.

Le boulanger Dan Lelièvre. Crédit image : Étienne Fortin-Gauthier

« Je donne du pain, des tartes… j’espère que ça va aider les gens. Pourquoi gaspiller quelque chose pour lequel j’ai travaillé aussi fort », dit-il, affirmant qu’un commerce alimentaire doit se jeter entre 3 et 10% de ses produits àchaque semaine.

Des besoins en hausse

Il y a encore quelques années, la banque alimentaire de Nipissing Ouest aidait environ 70 familles. Maintenant, ça s’approche davantage de 200 familles par mois. Cela signifie qu’environ 400 personnes peuvent manger à leur faim grâce à l’organisme. « On a beaucoup de jeunes, beaucoup de familles. Des aînés aussi. Le coût de la vie est élevé. Plusieurs doivent faire un choix entre payer leur électricité ou manger », affirme Carole Renaud.

Des observations confirmées par la mairesse, Joanne Savage. « C’est difficile avec toutes les dépenses dans la vie. Il y a plusieurs facteurs qui expliquent cette détresse. Certains sont invalides, d’autres déménagent chez nous après avoir quitté Sudbury. Mais heureusement, nous avons une communauté accueillante et qui s’entraide », observe-t-elle.

La Ville de Nipissing Ouest offre dorénavant une subvention de 600 $ par mois à l’organisme pour l’aider à payer son loyer. « On absorbe maintenant 100 % du coût de location de l’organisme. Une famille chez-nous ne doit pas être démunie de nourriture et nous constatons les grands besoins, actuellement. Nous voulons les aider », insiste la mairesse.

Un radiothon annuel permet aussi à l’organisme de boucler son budget.

Pas tout le monde collabore

Un géant alimentaire ne collabore pas à l’initiative, il s’agit du supermarché Métro de Sturgeon Falls, a confirmé une porte-parole de la chaîne, Geneviève Grégoire. Il semble que le propriétaire de l’enseigne locale n’était pas au courant des efforts de Métro à l’échelle nationale pour justement encourager ses épiceries à collaborer avec les banques alimentaires. « Un mal entendu », affirme Mme Grégoire, laissant entendre que la décision pourrait bientôt être revisitée, au bénéfice des bénéficiaires de la banque alimentaire.

Ken Perrin, lui, ne nomme pas les commerçants qui sont récalcitrants. Il affirme que personne ne peut rester insensible bien longtemps à la petite révolution en cours dans la communauté. Il dit qu’il pourra, un jour ou l’autre, les convaincre. « Certains commerces pensent peut-être qu’il y a un risque d’être poursuivi. Mais c’est faux. C’est comme le concept de bon samaritain. Tu as une bonne intention, tu veux aider, on ne peut pas te poursuivre », tranche-t-il.


L’exemple de la France

En France, depuis février 2016, la loi oblige les supermarchés à donner les invendus. La loi de la lutte au gaspillage a permis la naissance de milliers de nouvelles banques alimentaires en moins d’un an.