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« La langue française, c’est une résistance pour eux » : Réagir face aux géants du web anglophones

Les grandes plateformes de diffusion risquent de défavoriser les contenus francophones, car biaisés par des algorithmes majoritairement contrôlés par les GAFAM. Photo : Getty

Au moment où l’utilisation du français sur Internet rétrograde à la 5e place, l’intelligence artificielle (IA) évolue à travers des biais algorithmiques qui favorisent l’exception anglo-saxonne, au détriment d’une diversité culturelle francophone. En cette Journée internationale de la Francophonie, l’idée de mettre l’IA au service du français est préoccupante dans la province, comme dans toutes les nations qui pratiquent la langue de Molière.

« La souveraineté culturelle va de pair avec la souveraineté numérique. Et il faut reconnaître une chose, c’est qu’on l’a perdue », soutient l’expert médias Alain Saulnier, également auteur du livre Tenir tête aux géants du web. Une exigence démocratique.

Dans un contexte où les cultures et les langues sont largement diffusées par des plateformes monopolisées par les géants du Web, à savoir Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (GAFAM), ces deux souverainetés font jeu égal sur la toile.

Hosni Zaouali, un entrepreneur franco-ontarien devenu conférencier à Stanford University sur l’impact de l’IA sur l’éducation en a très tôt compris les enjeux et en fait une analogie puissante avec la colonisation. « C’est une colonie digitale. Aujourd’hui les francophones n’utilisent aucun outil français et toutes leurs données s’en vont à Pékin ou dans la Silicon Valley », dit-il.

Au fur et à mesure qu’Internet devient interactif, les implications de l’IA sur la culture, telles que la traduction automatique (ou curation de contenu), risquent de s’appuyer sur des données et algorithmes biaisés, autrement dit entrainés à une culture initiale de leur choix.

« Ces plateformes utilisent des algorithmes plus agressifs dans le sens qu’ils sont conversationnels et ils sont encore plus obscurs parce qu’on ne connait pas la base de données », décrypte la Dr Hela Zahar, professeure agrégée et responsable du pôle d’études et de recherche en cultures numériques à l’Université de l’Ontario français (UOF).

Selon la chercheure et sociologue de numérique Hela Zahar, une guerre numérique se profile. Photo : Gracieuseté : Hela Zahar

Une guerre des algorithmes

À Paris le mois dernier, le Canada s’est érigé parmi les fervents défenseurs de la diversité linguistique lors du 18e Comité intergouvernemental pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO. La transparence des outils et plateformes n’a jamais été aussi cruciale à l’heure où l’espace numérique devient capable de façonner langues et cultures.

Alain Saulnier soutient de surcroît que l’IA n’est pas neutre et donc « surtout pas favorable à ce moment-là aux cas francophones ».

Basée à Ottawa, l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), a également anticipé le risque des algorithmes. Alexis Adamczyk, qui en est le coordinateur numérique, a mis en place des « guichets » d’aide au référencement des métadonnées des artistes francophones en Ontario et partout hors Québec, afin de favoriser la découvrabilité des acteurs de l’industrie musicale francophone.

En tant que coordinateur numérique de l’ANIM, Alexis Adamczyk (à droite) aide les professionnels de l’industrie musicale francophone en Ontario et partout en dehors du Québec. Photo : Gracieuseté : Alexis Adamczyk

Par ailleurs, la portée politique l’ANIM s’inscrit dans ses initiatives de lobbying pour la loi C-11 qui contraint les services de streaming à favoriser le contenu canadien. « C’est une bataille constante d’être un artiste francophone hors Québec, une bataille culturelle, identitaire et politique », affirme Pénélope Gaultier qui siège dans le conseil d’administration de l’organisation.

« C’est une guerre technologique qui est en train de se passer »
— Dr Hela Zahar, chercheure à l’UOF

Avec les pressions exercées par l’administration de Trump et les GAFAM, la nécessité d’exercer un droit souverain et de concourir à des politiques visant à protéger la langue et la culture francophone s’impose. En effet, selon la Dr. Zahar, le contrôle vient par le numérique « C’est une guerre technologique qui est en train de se passer », soutient-elle.

La francophonie est-elle en train de perdre pied?

Couvrant 38,7 % des contenus sur Internet, l’anglais jouit d’une présence si forte qu’il demeure difficile de dire comment le français pourrait tirer son épingle du jeu à court terme. Toutefois, M. Zaouali pense que la francophonie ne disparaitra pas.

Il affirme que l’Afrique qui représente près des deux tiers de la francophonie mondiale peut inverser la tendance. « D’ici 2050, un humain sur quatre sera africain. »

Dans cet ordre d’idées, l’impératif de sensibiliser la jeunesse à consommer, créer, innover et entreprendre sur la scène francophone est la clé pour assurer l’existence du français dans l’espace numérique.

Accolade entre Emmanuel Macron et Justin Trudeau
Accolade entre le président français Emmanuel Macron et Justin Trudeau, dont les pays représentent les deux principaux bailleurs de fonds de l’OIF. Photo : Pool / Collectif / Getty Images News via Getty Images

La stratégie de la Francophonie numérique 2022-2026 de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) met la pression sur les gouvernements pour investir pour favoriser un progrès culturel francophone. L’alliance entre le Canada et la France évolue au même titre que la révolution technologique place l’IA au cœur de cette amitié politique pour assurer son service à la langue française.

Ces derniers mois, une visite du président français à Ottawa et de l’ancien premier ministre Trudeau au Sommet sur l’IA à Paris a contribué à aligner l’agenda des deux chefs d’État sur la francophonie.

L’antagonisme entre souveraineté culturelle et numérique devient une source de frictions dans la mesure où la souveraineté démocratique des États pourrait entrer jeu. « Aujourd’hui, la souveraineté digitale est la plus importante souveraineté », lance Hosni Zaouali. En tant que pays bilingue, la quête du Canada vers une souveraineté numérique francophone est d’autant plus pertinente dans un pays où des minorités linguistiques doivent cohabiter et défendre de leur statut. « Pour construire nos propres outils, positionne-nous dès maintenant », conclut l’entrepreneur torontois.