La maison de Théophile Brunelle sera honorée, puis détruite
LAFONTAINE – Le conseil du canton de Tiny a rendu une décision unanime, mais incomplète mercredi, concernant la maison de Théophile Brunelle, l’homme qui a tué le fameux Loup de Lafontaine. Le bâtiment désaffecté sera démoli. Par contre, les élus cherchent toujours un moyen d’en honorer la mémoire patrimoniale avant de procéder.
La résolution du conseil est de retirer la maison du 4, Potato Court du registre d’intérêt patrimonial sur lequel elle se trouve depuis 2016, mais de demander la collaboration du propriétaire afin d’en retarder la démolition. Ce sursis devra permettre de trouver comment commémorer l’histoire de l’édifice de façon appropriée. La motion ne prévoit ni date ni de mesures concrètes et se base sur la bonne foi du propriétaire, l’entreprise Glenn Whiteside Farms Ltd.
Déception chez les francophones
Les élus ont basé leur discussion de mercredi sur les lettres qui leur ont été envoyées le 24 novembre par le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO) et le 6 décembre par Marc-André Belcourt. Ce dernier est un ancien résident de Lafontaine et descendant direct de Théophile Brunelle. Il travaille aujourd’hui au Manitoba, dans le domaine du patrimoine. Dans sa lettre, il reconnaissait le piètre état de la maison. Il proposait d’en retarder la démolition afin de se pencher sur une façon d’honorer le patrimoine, ce qui fut le cœur de la discussion du conseil.
M. Belcourt proposait aussi que le canton achète une partie du terrain, ce qui lui permettrait de sécuriser les lieux et de développer un projet commémoratif durable. Par exemple, les fondations de la maison auraient pu être conservées. Joint au téléphone, il s’est dit déçu que cet aspect n’ait même pas été mentionné.
« J’ai demandé deux choses. L’achat du terrain, et qu’on repousse la date de démolition. Ils ont abordé le second point, mais pas le premier. Je ne m’attendais pas à ce que ça aille à 100 % de mon côté, mais je suis un peu déçu. »
René Laurin, un descendant indirect de Théophile Brunelle, s’était présenté devant le conseil municipal le 23 novembre pour témoigner de l’importance de la maison. Il juge que les membres du conseil ne se sont pas assez informés sur le dossier.
« Ça n’a pas d’allure. J’ai entendu des commentaires [des élus] qui disaient qu’ils ne connaissaient pas trop la situation. Mais le sujet est à l’ordre du jour depuis plus d’un mois (…). Je me demande combien de membres du conseil sont allés se promener pour voir l’état de la maison, ou même connaître l’endroit où elle est située. »
Même son de cloche du côté de Nadine Lalonde, bénévole de La meute culturelle et leader du mouvement citoyen dans ce dossier. Elle voit l’abandon de la maison Brunelle comme un affront à tous les francophones de la province. Elle souligne toutefois l’ouverture du conseil à considérer l’héritage culturel humain lié à la maison. Selon elle, il faut récolter les souvenirs des quelques membres de la communauté toujours vivants qui ont déjà habité les lieux.
« J’aurais aimé plus, qu’ils désignent la maison en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario et qu’ils investissent. Maintenant, on a des compromis à faire. On aimerait que le compromis soit vraiment à l’écoute de la communauté. »
La militante souhaite qu’un comité indépendant du conseil municipal soit créé, incluant des experts et des citoyens. Son équipe de rêve comprendrait Marc-André Belcourt, un membre du RPFO, un membre du comité patrimonial du canton, André Desroches (un citoyen qui habite l’une des maisons figurant sur le registre d’intérêt patrimonial) et Denis Ouimette, professeur en techniques et technologies de l’architecture au collège Boréal.
Grand intérêt du Collège Boréal
Cela fait quelques années que Denis Ouimette veut lancer une étude sur l’art de bâtir chez les Franco-Ontariens. Le cas de la maison de Brunelle pourrait devenir le point de départ de ce projet d’envergure. L’architecte a déjà contacté la municipalité afin de proposer ses services de numérisation 3D. Il souligne que le collège Boréal possède l’équipement et l’expertise nécessaires.
« Notre intérêt n’est pas juste de faire la documentation en 3D. On veut en faire beaucoup plus. Présentement, moi je sais que le bâtiment fait partie du patrimoine franco-ontarien. Juste à le voir, on le sait tout de suite. Mais une fois qu’on va faire notre étude et nos relevés, on va découvrir des choses et on va commencer à parler beaucoup plus de l’art de bâtir franco-ontarien. »
La technologie qui serait utilisée par M. Ouimette et son équipe permettrait de rebâtir une réplique parfaite de la maison, de faire une maquette 3D ou de faire des visites en réalité virtuelle, par exemple.
Faire comprendre l’importance de la communauté francophone
Le loup de Lafontaine est le mythe fondateur de la communauté francophone du coin. La maison de Théophile Brunelle, le borgne qui a abattu le loup sur son terrain, revêt donc une importance patrimoniale particulière. Tous s’accordent pour dire que le bâtiment, laissé à l’abandon depuis une décennie, est dans un état pitoyable. Le propriétaire actuel a demandé à ce qu’une décharge soit signée par toute personne qui approcherait l’édifice dans le cadre du processus de commémoration. Nadine Lalonde parle d’un deuil pour la communauté.
D’autres maisons appartenant à l’histoire francophone figurent sur le registre d’intérêt patrimonial de Tiny. Il s’agit d’un inventaire de lieux au potentiel patrimonial, sans garantie de protection. René Laurin et Nadine Lalonde souhaitent voir des actions concrètes afin de protéger ces bâtiments avant qu’il ne soit trop tard. Ils sont d’avis que la mobilisation autour de la maison Brunelle a fait réaliser aux instances municipales l’importance du patrimoine franco-ontarien dans la région.
C’est aussi ce que pensent les membres du Comité du patrimoine bâti et religieux du RPFO, qui ont examiné la motion jeudi soir. L’organisme s’est impliqué pour amplifier la voix des citoyens et non mener le combat à leur place, selon l’agent de projet, Diego Elizondo. Le comité enverra une nouvelle lettre au conseil municipal pour souligner leur déception de ne pas avoir vu la maison Brunelle être désignée selon la Loi sur le patrimoine bâti de l’Ontario. Il souligne par contre « l’attachement manifesté depuis un mois par les francophones, de partout en province, à ce bâtiment » et souhaite que l’histoire serve d’exemple afin de protéger d’autres édifices.
Nadine Lalonde veut voir des actions concrètes pour rétablir la confiance entre les instances municipales et la communauté francophone. « Au moins, on a gagné du temps. Servons-nous-en à bon escient, pour communiquer clairement ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas. On ne veut pas que ça continue comme ça. »
La militante est consciente que les dés sont jetés, mais ne peut s’empêcher de rêver à un miracle. « Tant que la maison est encore debout, elle est encore debout. »