« La méthode Barbara » : une révolution de l’éducation
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
TORONTO – La principale du Lycée français de Toronto (LFT) Barbara Martin est une véritable magicienne de l’éducation. Plus jeune principale d’un collège de France à l’âge de 29 ans, elle est ensuite devenue cheffe des collèges de France, avant d’immigrer au Canada. Dans son premier roman La méthode Barbara, publié en 2022, elle raconte son expérience dans l’un des lycées les plus difficiles de la banlieue parisienne au milieu des tumultes d’une réforme, des protestations des gilets jaunes et d’une pandémie. Sa méthode d’éducation, fondée sur le respect et l’humanité, regagne la confiance de la jeunesse.
« Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler dans l’éducation?
Rien ne m’y prédestinait. Mes deux parents venant d’un environnement social très pauvre, ma mère étant fille d’immigrés polonais, mon père ayant été abandonné par sa famille, ils n’avaient aucun code sur l’éducation et avaient même vécu une certaine forme de violence institutionnelle discriminatoire, n’appartenant pas à l’élite.
Un jour, une ministre avait déclaré que « l’école est en priorité pour ceux qui n’ont qu’elle pour pouvoir s’en sortir », ce qui m’avait énormément marquée. Je me suis forgée à l’école. C’est là que j’ai tout appris de cet environnement. Enfant unique, j’étais très sociable et ma mère m’a inscrite au théâtre ce qui m’a donné encore plus d’aptitudes sociales.
Quelle filière aviez-vous initialement choisie?
J’étais une élève très moyenne mais après un baccalauréat scientifique, je me lance dans les études de biologie et de géologie de façon un peu intuitive et je deviens une bonne étudiante. Quand on étudie une matière qu’on adore, ça devient facile. C’est ce que je dis souvent à mes étudiants. Au moment de la maitrise (Master), les professeurs nous incitent à passer le concours de professeur pour ajouter une corde à notre arc.
Je le réussis haut la main, à ma grande surprise. Je deviens ainsi prof un peu malgré moi mais ça deviendra un révélation. J’ai décidé de rendre à l’école ce qu’elle m’a donné, elle qui avait été au centre de ma vie avec le sentiment que je n’avais qu’elle et dont j’ai tant appris sur l’humain.
À 29 ans vous êtes devenue la plus jeune proviseure de collège en France. Comment cette opportunité s’est-elle présentée?
J’étais dans ce collège dans lequel j’adorais enseigner les sciences de la vie et de la Terre, en particulier aux élèves en difficulté. Nous faisions tellement de projets pour les élèves qu’un collègue m’a proposé de passer le concours de personnel de direction pour qu’on puisse en organiser à plus grande échelle.
Énorme concours de circonstances : le critère d’âge est retiré cette même année (chose que je ne savais pas). C’est seulement grâce à ça que j’ai pu le passer. Sinon, j’aurais été trop jeune. Je le décroche notamment grâce à l’oral car je pense que le jury a été convaincu par mon optimisme intarissable et par mon engagement pour changer les choses dans l’éducation.
Vous avez aussi travaillé pour le ministère de l’Éducation nationale?
Après ces quatre années, en 2017, le ministre de l’Éducation nationale s’est intéressé à mon approche et m’a demandé de travailler au ministère en tant que cheffe des collèges de France pour plancher sur les politiques éducatives.
Après un an, le terrain me manquait. Je suis alors devenue proviseure du Lycée Joliot-Curie, un lycée assez difficile dans la banlieue parisienne mais justement un endroit où on peut se sentir utile et qui compte 1 700 élèves. C’est là que les enfants d’un milieu plus populaire ont besoin de l’école pour s’en sortir.
Votre livre relate tout particulièrement cette expérience. Comment l’idée d’écrire vous est-elle venue?
Je ne cherche jamais à être dans la lumière. On a donc dû venir à moi pour ça! J’ai eu l’occasion de rencontrer Sophie de Closets, la présidente de la maison d’Éditions Fayard. Elle a été bluffée par mon histoire et mes expériences si positives dans ce lycée difficile Joliot-Curie, vécues en même temps que les tourmentes de l’actualité avec la violence des gilets jaunes, la COVID et la réforme du baccalauréat. Elle m’a demandé de raconter mon histoire en travaillant avec un journaliste qui a fait un merveilleux travail de compilation et de rédaction.
En quoi consiste la méthode Barbara, du nom de votre livre?
Mon prénom dans le titre permet de montrer que, derrière cette approche, c’est la personne qui travaille avec son cœur et ses trippes. J’ai eu des échos absolument merveilleux de gens qui n’assumaient pas leur sensibilité dans notre société et qui maintenant osent agir avec le cœur. Pourquoi ne parlerions-nous pas humainement aux enfants comme on le ferait avec ses propres enfants? Je n’ai jamais été malmenée par les lycéens qu’on m’avait dit être violents et insolents.
On m’avait pourtant prédit qu’étant une femme jeune, je n’y arriverais pas. Loin de me décourager, j’ai appliqué la même méthode qu’avec mes enfants : une pédagogie positive, mais une pédagogie exigeante en leur témoignant du respect.
Pourriez-vous nous donner l’exemple d’un élève qui vous a particulièrement marquée?
J’ai l’expérience d’un élève qui était impulsif et qui revenait d’un conseil de discipline. La raison pour laquelle la confiance s’est établie, c’est parce qu’il savait que je le respectais et que je voulais qu’il réussisse, sans stratagème. Les discussions étaient d’humain à humain.
On doit prouver aux enfants qu’ils peuvent avoir confiance en nous. En termes de pédagogie, j’ai beaucoup de choses à dire mais c’est le côté relationnel qu’on doit bâtir en premier. Tout commence par l’école en rétablissant l’empathie, la confiance : laisser les émotions et la sensibilité être au premier plan.
C’est un travail du collectif. Armée de mon sourire, j’ai essayé d’irradier ce message dans ce lycée. Se sourire c’est la plus belle façon de connecter les uns avec les autres, c’est aussi ça ma méthode Barbara.
Où puisez-vous une telle force?
Il y a une forme de résilience. Même dans les moments difficiles, je puise dans ma joie intérieure, comme un carburant. Quand c’est dur, je le communique aussi et je donne l’exemple aux enfants et à mes équipes de faire de même. Le fait d’avoir cinq enfants me donne également cette force. J’ai trois enfants biologiques et mon compagnon a lui-même deux enfants. Par ailleurs, si une chose me parait juste, même non conventionnelle, je vais le faire en faisant fi des préjugés et des barrières.
Un jour, j’ai accueilli un jeune de 18 ans du lycée qui avait été mis à la rue de chez lui en décembre, avec aucune autre alternative. Il était hors de question de le laisser livré à lui-même. Il est donc resté un mois dans mon foyer avec ma famille. Ça m’a fait ressentir beaucoup de gratitude. Je le raconte dans le livre. Beaucoup de gens n’auraient pas osé le faire et c’est dommage. Ce sentiment de justice est ma boussole.
Vous avez reçu l’ordre national du Mérite français. Comment est-ce arrivé et qu’est-ce que ça vous a inspiré?
La petite fille polonaise en moi a été beaucoup touchée et j’ai trouvé que c’était un beau symbole de réussite pour ma famille. J’ai reçu cette belle distinction l’année dernière au Consulat général de France à Toronto, une volonté du ministère de l’Éducation nationale. C’est une très belle reconnaissance.
Vous avez pris la tête du Lycée français de Toronto en 2022 en pleine transition post-COVID-19. Qu’avez-vous entrepris à votre arrivée?
Ça a été un vrai moment de transition. L’année précédente, les élèves avaient manqué 26 semaines de classe en présentiel sur 36, ce qui a affecté tout le monde. J’ai donc joué le côté humain en premier lieu pour rétablir les liens et prendre soin de la santé mentale du personnel et des enfants.
En parallèle, il me fallait adresser la crise financière que traversait l’établissement, ce qui impliquait faire des coupes budgétaires car le bateau était en train de couler. Transparence, anticipation et accompagnement des personnes qui ont dû partir ont été essentiels. Cela a été un moment difficile mais ça a entériné une belle confiance.
Y-a-t-il des projets de rénovation prochainement dans le lycée?
Nous avons décidé de refaire entièrement la cour d’école, qui n’était que béton, pour en faire un espace de rassemblement pour prendre soin du corps, du cœur et de l’esprit. C’est devenu un projet collaboratif auquel tout le monde a participé pendant un an, même les parents, avec une levée de fonds. Nous allons y planter des arbres. Il y aura un terrain de soccer et même une salle de théâtre et une salle de classes extérieures.
Les travaux auront lieu en juillet et août pour une inauguration le 8 septembre 2023 à la prochaine rentrée scolaire. Cet investissement collectif a provoqué une vraie joie. Nous avons également le projet de changer toutes les fenêtres. Sur le long terme, nous souhaitons nous délocaliser pour doubler la capacité d’accueil, environ 800 à 900 élèves.
Quelle est la particularité du Lycée français de Toronto?
La Toronto French School (TFS) et le LFT ont ce point commun d’être des écoles accréditées par le ministère de l’Éducation nationale. La particularité du Lycée français de Toronto est que nous sommes les seuls à faire passer le baccalauréat français. Notre curriculum est donc français, notre socle est très solide.
J’essaye de croiser l’inclusion, la diversité, les compétences psycho-sociales et la créativité des écoles francophones, qui sont très fortes dans ces domaines, avec notre qualité d’enseignement pour prendre le meilleur des deux mondes.
Autre point qui nous identifie : nos enfants sont parfaitement bilingues. En termes d’effectifs, on a 60 % de Canadiens, 30 % de Français et 10 % d’autres nationalités. Les anglophones vont vraiment maitriser le français et les francophones vont vraiment maitriser l’anglais. On est l’école qui répond au bilinguisme, voire le plurilinguisme du fait de l’immersion culturelle totale.
L’enjeu du plurilinguisme est l’enjeu de l’ouverture d’esprit qui fait cesser toute forme de discrimination. Derrière ces questions de langue, il y a un enjeu de fraternité à apprendre aux enfants. »
LES DATES-CLÉS DE BARBARA MARTIN
1978 : Naissance en France
2001 : Devient professeure, année qui marque la fin de sa vie d’étudiante.
2013 : Nommée cheffe d’établissement d’un collège à 29 ans.
2018 : Devient proviseure d’un lycée polyvalent de 1 700 élèves et étudiants dans la banlieue parisienne.
2021 : Nommée proviseure du Lycée français de Toronto et vient s’installer avec ma famille au Canada.
2022 : Publie La méthode Barbara et reçoit l’ordre national du Mérite français
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.