La retraite militante d’Yvon Godin
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – En 18 ans de carrière sur les bancs de la Chambre des communes, Yvon Godin est devenu une figure incontournable en matière de langues officielles. Aujourd’hui retraité, l’ancien député néo-démocrate acadien ne reste jamais loin de la politique. #ONfr l’a rencontré lors d’une de ses visites dans la capitale nationale.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« On vous voit encore très actif dans l’espace public sur des enjeux politiques. N’êtes-vous pas retraité?
Quand j’ai annoncé que je ne me représenterai pas, je n’ai pas dit que j’allais au cimetière! Je suis un citoyen canadien et il y a des dossiers qui continuent de me tenir à cœur, comme le dossier des langues officielles. Alors, quand il y a quelque chose qui me dérange et qu’on me demande mon avis, je le donne, comme je l’ai toujours fait, y compris au niveau provincial quand on parle de privatiser le système de santé public.
Comment jugez-vous la situation des langues officielles au Canada?
Je suis d’autant plus inquiet que certaines régions, en Atlantique, perdent leurs francophones qui partent travailler ailleurs, notamment dans l’Ouest. On nous dit qu’on va attirer des immigrants francophones pour maintenir notre poids démographique, mais s’il n’y a déjà pas d’ouvrage pour les francophones d’ici, comment pourrait-il y en avoir pour nos nouveaux arrivants?
En ce moment, on insiste beaucoup sur le multiculturalisme, mais cela doit s’accompagner d’un discours politique fort de la part du gouvernement pour dire que si nous sommes un pays multiculturel, nous sommes aussi un pays bilingue avec deux langues officielles. Certains pays ont plusieurs langues officielles, nous n’en avons que deux, comment se fait-il qu’on ne soit pas capable de s’accorder là-dessus?
D’où viennent vos convictions en matière de défense des langues officielles?
En fait, ce n’est pas ce dossier qui m’a conduit à me lancer en politique. C’est celui de l’assurance emploi, qui est très important au Nouveau-Brunswick où on compte beaucoup d’emplois saisonniers. Je ne voulais pas devenir député, mais à l’époque, les libéraux avaient dit qu’ils allaient défendre les travailleurs et l’assurance emploi et ils ont fait pire que le gouvernement de Brian Mulroney! Ça m’a convaincu. Je me suis dit que plutôt que de crier dans la rue, je vais aller crier au parlement.
C’est en siégeant sur le comité des langues officielles, en entendant tous ces témoignages et ces histoires, que j’ai eu la piqûre des langues officielles et elle ne m’a pas quitté.
Vous avez été député à la Chambre des communes sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Comment jugez-vous celui de Justin Trudeau en matière de langues officielles?
S’il y a une chose que je dois reconnaître à M. Harper, c’est que quand ça venait aux langues officielles, il avait le mérite d’être direct. Quand on a proposé de rendre obligatoire le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada, il ne s’est pas caché derrière la constitution. Il a dit : « Je n’y crois pas, on va plutôt mettre la personne la plus compétente », ce qui était une manière de dire qu’il allait mettre qui il voulait.
Quand les libéraux sont arrivés au pouvoir en 2015, je me suis dit qu’il n’y avait plus aucune raison que ce projet de loi ne passe pas. Ils l’avaient appuyé à quatre reprises. Mais tout d’un coup, ils ont expliqué que ce serait une violation de la constitution!
Imaginez-vous : dans un pays officiellement bilingue, ce serait une violation de la constitution de demander que les juges de la plus haute cour du pays soient bilingues?
Il y a eu aussi la proposition de nommer Mme Meilleur au Commissariat aux langues officielles qui vous a fait intervenir?
C’est pire que sous M. Harper! Les libéraux ont voulu nommer une de leurs amies, sans aucune consultation et ils ont recommencé à ne pas consulter avec la nomination de Raymond Théberge.
Il y a un manque de respect de leur part pour les langues officielles. Ils veulent juste des personnes qui vont dire « oui, oui » et ne vont pas brasser la cage. Ça m’inquiète. Si ça ne dérange pas M. Trudeau de faire la promotion du pot, il me semble qu’il pourrait faire celle des langues officielles!
Le gouvernement ne démontre aucune sensibilité aux langues officielles. Combien de fois a-t-on entendu M. Trudeau parler des langues officielles ou de la dualité linguistique? Jamais.
Dans le dossier des juges bilingues à la Cour suprême du Canada, le nouveau chef du NPD, Jagmeet Singh, a semé la controverse en semblant remettre en cause son appui au projet de loi. Certains députés néo-démocrates, comme Romeo Saganash, jugent que cela pourrait nuire aux autochtones en empêchant leur nomination. Qu’en pensez-vous?
Quand j’ai entendu les paroles de M. Singh, j’étais en désaccord avec lui. Mais il s’est vite corrigé et a dit clairement qu’il appuie le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada.
Les lois de notre pays sont écrites en français et en anglais. Elles ont la même valeur. Il me semble donc normal de demander aux juges de comprendre les deux langues officielles afin de pouvoir entendre les citoyens et les avocats qui se présentent devant eux. Les interprètes font un excellent travail, mais ils ne saisissent pas toujours les nuances et peuvent faire des erreurs. La Cour suprême du Canada n’est pas une place où on peut se permettre de faire des erreurs.
D’un autre côté, il est vrai qu’il faut trouver le moyen de permettre aux autochtones d’accéder à la Cour suprême du Canada. Il y a déjà des personnes qualifiées, qui parlent les trois langues [français, anglais et une langue autochtone], il faut juste les nommer.
Lors de la course à la chefferie du NPD, vous aviez donné votre appui à Guy Caron. Que pensez-vous de la victoire de M. Singh?
Même si Jack Layton est devenu un très bon ami, je ne l’avais pas appuyé non plus quand il a gagné la course à la chefferie, en 2003. On ne peut pas appuyer tout le monde.
Aujourd’hui, je me range derrière le choix des militants et je suis impressionné par M. Singh. C’est une personne très charismatique, facile d’approche. À lui de se faire connaître. Jack Layton n’était pas connu quand il a été élu à la tête du parti. Pourtant, le NPD ne s’est jamais aussi bien porté que quand il était là. Nous aurions sans doute été au pouvoir s’il avait encore été là en 2015.
Ne regrettez-vous pas d’être parti, considérant que votre circonscription a été perdue par le NPD?
Je ne regrette pas d’avoir pris ma retraite. C’était le temps et j’y avais bien réfléchi. Pendant mes 18 ans à la Chambre des communes, je me suis donné à 150 %. J’ai réussi à faire avancer certaines choses, notamment sur la question de l’assurance emploi, même si j’aurais aimé faire mieux.
Aujourd’hui, ça me fait du bien d’être à la maison, de profiter de mes amis et de ma famille et de pouvoir voyager et faire de la moto. Mais je dois avouer que des fois, quand j’écoute la période des questions sur CPAC, je me dis que j’aimerais être là. Mon plus beau cadeau, c’est d’aller au Canadian Tire et de mettre 30 à 45 minutes pour aller à la caisse car les gens me reconnaissent, viennent me voir et me disent merci.
Je suis déçu par le député qui m’a remplacé, Serge Cormier [du Parti libéral du Canada]. Il a voté contre le projet de loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême et dans la circonscription, beaucoup de gens me disent qu’ils n’arrivent pas à le rencontrer et qu’il n’est pas accessible. Ça me fait de la peine, car quand tu vas en politique, c’est pour représenter tes citoyens.
La politique est-elle terminée pour vous?
Le mot « jamais » ne devrait pas exister. Il ne faut jamais dire jamais, mais ce n’est pas mon intention de me représenter.
En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?
Il y en aurait plusieurs! Mais la première, ce serait de dire haut et fort que je crois à la dualité linguistique et que mon gouvernement va être celui qui va arrêter de violer la Loi sur les langues officielles. Comme plus gros employeur du Canada, je pousserais pour mettre en place des mécanismes afin de développer le bilinguisme des jeunes qui viendraient ensuite offrir les services dans les deux langues officielles. Et puis, j’investirais de l’argent dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire. »
LES DATES-CLÉS D’YVON GODIN :
1955 : Naissance à St-Sauveur (Nouveau-Brunswick)
1982 : Président de la section locale du syndicat des Métallurgistes unis d’Amérique
1997 : Remporte l’élection fédérale dans Acadie-Bathurst
2000 : Devient le whip du caucus néo-démocrate à la Chambre des communes
2015 : Annonce sa retraite de la politique fédérale
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.